Imaginez un peu la scène : un homme d’affaires devenu milliardaire, déjà passé par le fauteuil de Premier ministre, qui revient sur le devant de la scène politique en s’alliant avec l’extrême droite. Et tout ça dans un pays au cœur de l’Europe, membre de l’OTAN et de l’Union européenne. On se croirait dans un scénario de série politique, mais non, c’est la réalité tchèque en cette fin d’année 2025.
Je dois avouer que quand j’ai vu l’information tomber, j’ai eu un petit frisson. Pas seulement parce que le personnage est haut en couleur, mais surtout parce que ce retour dit beaucoup de choses sur l’état actuel de l’Europe centrale et orientale. Allez, on plonge dans cette histoire qui mérite qu’on s’y attarde.
Un retour gagnant après une victoire en demi-teinte
Octobre 2025. Les élections législatives tchèques placent une nouvelle fois le mouvement ANO en tête. À sa tête ? Andrej Babiš, 71 ans, septième fortune du pays selon les classements habituels. Son parti rafle la mise, mais pas de majorité absolue. Loin de là.
Pour gouverner, il faut donc des alliés. Et là, ça se complique. Le choix se porte sur deux formations qui font grincer des dents : le SPD, classé à l’extrême droite, et un parti plus récent baptisé « La Voix des automobilistes », plutôt populiste et anti-écologique. Signature de l’accord de coalition le 3 novembre. Tout semble rouler.
Mais voilà, un obstacle de taille bloque la nomination : les conflits d’intérêts. Car notre homme n’est pas n’importe quel politicien. Il dirige encore (ou dirigeait jusqu’à récemment) le géant Agrofert, un empire qui touche à la chimie, à l’agroalimentaire, aux médias… Bref, un peu partout.
Le président de la République, Petr Pavel – un ancien général plutôt apprécié pour son profil pro-européen – pose donc son véto tant qu’une solution claire n’est pas trouvée. Et là, surprise : Babiš annonce qu’il transfère ses activités dans une structure indépendante. Le chemin est dégagé. Nomination officielle prévue le 9 décembre à 9 heures précises.
Andrej Babiš, l’homme qui se revendique « trumpiste »
Le terme n’est pas de moi. C’est lui-même qui l’utilise sans complexe. Chemise ouverte, ton direct, promesses de « mettre les Tchèques d’abord », critique virulente de l’aide à l’Ukraine, admiration affichée pour Donald Trump et Viktor Orbán… Tout y est.
« Je suis un homme d’affaires, pas un politicien de carrière. Je dis ce que je pense et je fais ce que je dis. »
Cette phrase, il l’a répétée des dizaines de fois pendant la campagne. Et visiblement, ça marche. Une partie notable de l’électorat tchèque se reconnaît en lui un pragmatisme, une capacité à parler cash dans un paysage politique souvent jugé trop policé.
Moi, ce qui me frappe, c’est la vitesse à laquelle le populisme version « milliardaire anti-système » s’installe en Europe. On l’a vu en Italie, en Hongrie, en Slovaquie avec Fico… La République tchèque semblait avoir résisté plus longtemps. Apparemment, c’était juste une question de temps.
Une coalition qui fait tousser Bruxelles
Le SPD de Tomio Okamura n’est pas vraiment connu pour sa modération. Discours anti-immigration musclé, rejet de l’euro, appels réguliers à un référendum sur la sortie de l’UE… Tout le kit du parfait parti radical.
Quant à « La Voix des automobilistes », emmenée par Filip Turek – oui, le même qui fait l’objet d’une enquête pour violences domestiques et qui a été filmé faisant des saluts pour le moins ambigus – le programme est simple : moins de limitations de vitesse, moins de normes écologiques, plus de liberté pour les conducteurs. En gros, l’anti-Greta version tchèque.
- Refus de nouvelles aides militaires à l’Ukraine
- Promesse d’augmenter les retraites et allocations
- Critique virulente des sanctions contre la Russie
- Rapprochement affiché avec Budapest et Bratislava
Autant dire que cette future équipe risque de faire des vagues à Bruxelles. D’autant que Babiš a cofondé avec Viktor Orbán le groupe « Patriotes pour l’Europe » au Parlement européen. On commence à bien connaître la musique.
Les casseroles qui suivent le futur Premier ministre
Parce qu’évidemment, on n’arrive pas là où il est sans laisser quelques traces. L’affaire la plus lourde ? Une enquête pour fraude aux subventions européennes datant de 2007-2008, concernant un complexe touristique appelé « La Ferme de la Cigogne ». Babiš clame son innocence et parle de complot politique. L’enquête dure depuis des années et empoisonne sa carrière.
Il y a aussi tout le chapitre Agrofert. Même en transférant ses parts dans un trust, beaucoup doutent de la réelle indépendance future. Rapporteurs de l’Union européenne ont déjà pointé du doigt des conflits d’intérêts lorsqu’il était au pouvoir entre 2017 et 2021. On prend les mêmes et on recommence ?
Et puis il y a les médias. Le groupe Agrofert possède une partie importante de la presse tchèque. Difficile de ne pas y voir un levier d’influence considérable quand on sait à quel point le contrôle de l’information compte dans les démocraties modernes.
Quelles conséquences pour l’Europe et l’Ukraine ?
C’est probablement la question qui me préoccupe le plus. La République tchèque était jusqu’ici un allié solide de l’Ukraine – livraisons d’armes, accueil de réfugiés, soutien sans faille aux sanctions. Avec ce nouveau gouvernement, tout peut basculer.
On voit déjà le tableau se dessiner : Prague, Budapest, Bratislava (et peut-être demain Varsovie si la Pologne reste à voir) formant un bloc eurosceptique et prorusse au cœur de l’Europe. Ajoutez à ça un Donald Trump qui revient à la Maison Blanche en janvier… et vous avez une équation géopolitique qui donne froid dans le dos.
Car ne nous y trompons pas : quand Babiš dit vouloir « mettre les Tchèques d’abord », ça veut aussi dire potentiellement moins d’argent et d’armes pour Kiev. Et dans le contexte actuel, chaque voix compte.
Un populisme qui répond à de vraies frustrations
Il serait trop facile de tout réduire à du cynisme ou de l’arrivisme. Derrière le personnage clivant, il y a un ras-le-bol bien réel dans une partie de la population tchèque. Inflation, hausse des prix de l’énergie, sentiment que Bruxelles impose ses règles sans écouter… Babiš a surfé sur tout ça avec un talent certain.
Et puis il y a cette image d’homme qui « fait » plutôt que de parler. Usines, emplois, croissance quand il était au pouvoir avant 2021, beaucoup s’en souviennent encore. Alors oui, les méthodes sont brutales, les alliances douteuses, mais pour une partie des électeurs, ça passe après le portefeuille.
C’est d’ailleurs fascinant de voir à quel point le modèle « milliardaire populiste » fait recette. Trump aux États-Unis, Babiš en République tchèque, Berlusconi en son temps en Italie… Comme si l’argent et le pouvoir politique formaient désormais un cocktail gagnant.
Et maintenant ?
Le 9 décembre 2025, Andrej Babiš prêtera serment. Un nouveau chapitre s’ouvre pour la République tchèque. Reste à voir si ce sera celui d’un pragmatisme assumé ou celui d’un dangereux glissement autoritaire.
Ce qui est sûr, c’est que l’Europe va devoir composer avec un acteur de plus en plus encombrant au centre du continent. Et nous, observateurs, on risque de ne pas s’ennuyer dans les mois qui viennent.
Personnellement, je garde un œil inquiet mais passionné sur cette histoire. Parce qu’elle dit beaucoup de notre époque : la colère, les promesses simples, le rejet des élites… Tout ce qui fait que, parfois, un milliardaire peut redevenir Premier ministre en s’alliant avec l’extrême droite. Et que ça ne choque plus autant qu’avant.
A suivre, donc. Très attentivement.
