Imaginez : vous marchez rue de Rivoli un soir d’automne 2026, les lumières des vitrines se reflètent sur les pavés humides, et soudain vous apercevez, derrière une immense baie vitrée qui fut autrefois celle de la Fondation Cartier, une salle où la lumière est plus douce, plus intime, presque chuchotante. À l’intérieur, une femme en blanc dirige une brigade silencieuse et précise. Cette femme, c’est Anne-Sophie Pic. Et ce moment que vous venez d’imaginer deviendra bientôt réalité.
Un déménagement qui fait déjà beaucoup parler
Quand la nouvelle est tombée, beaucoup ont d’abord cru à une rumeur. Fermer un restaurant qui tourne bien, qui a une étoile, une clientèle fidèle, une belle visibilité… pour aller s’installer quelques centaines de mètres plus loin, dans un lieu plus grand, plus prestigieux, mais aussi beaucoup plus exposé ? Le choix peut sembler audacieux, voire casse-cou.
Pourtant, quand on connaît un peu la personnalité d’Anne-Sophie Pic, on comprend rapidement que ce n’est ni un caprice ni une fuite en avant. C’est une vraie réinvention, réfléchie, presque organique dans sa logique.
Pourquoi quitter la rue du Louvre ?
La Dame de Pic, depuis 2012, c’était un peu le laboratoire parisien de la cheffe. Un endroit élégant, très féminin dans son décor, avec cette touche poudrée et délicate qui faisait écho à l’univers Pic. Mais aussi un espace contraint : belle surface, certes, mais pas immense, et surtout très peu de possibilités d’évolution architecturale ou de scénographie.
Le nouvel écrin rue de Rivoli offre tout le contraire : de la hauteur sous plafond, une monumentale façade vitrée, une profondeur qui permet de jouer sur plusieurs espaces (salle principale, bar, éventuellement petit salon privé), et surtout une visibilité exceptionnelle sur l’une des artères les plus mythiques de la capitale.
Quand on peut installer sa cuisine dans un lieu qui raconte déjà une histoire, on n’hésite pas longtemps.
un proche du projet
Et l’histoire du bâtiment est loin d’être anodine. Ancien espace de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, il porte encore dans ses murs cette aura de création, d’avant-garde maîtrisée, de dialogue entre l’art et le public. Pour une cheffe qui n’a jamais cessé de dire que sa cuisine était une forme d’art de vivre, le symbole est puissant.
L’imprégnation, toujours et encore
Ceux qui suivent Anne-Sophie Pic depuis plusieurs années le savent : sa signature, c’est cette fameuse imprégnation. Une technique, une philosophie, presque une obsession. Faire infuser les saveurs les unes dans les autres, laisser le temps faire son travail, obtenir des harmonies que personne d’autre n’obtient de la même façon.
- Bergamote et jasmin dans une même préparation
- Framboise et betterave qui se répondent pendant trois minutes en bouche
- Vanille et caviar qui ne se disputent jamais la vedette
Chaque nouvel établissement devient l’occasion d’aller un peu plus loin dans cette quête. La question que tout le monde se pose aujourd’hui est simple : dans un lieu aussi spectaculaire, avec autant de moyens techniques et de liberté d’aménagement, jusqu’où la cheffe va-t-elle pousser cette recherche ?
Je me souviens d’un dîner à Valence il y a quelques années. À un moment, on nous avait servi un plat apparemment très simple : une langoustine juste saisie, une émulsion au thé fumé et une pointe de yuzu. Sur le papier, rien d’extravagant. En bouche… c’était comme si la langoustine avait toujours vécu sous l’eau de mer parfumée au thé. Une impression troublante. J’ai l’intuition que la nouvelle adresse parisienne va multiplier ce genre de moments.
Un bar signature qui promet beaucoup
Autre nouveauté très attendue : le bar. Pas un bar d’hôtel classique ni un speakeasy caché, mais un véritable espace à part entière, avec une carte de cocktails pensée en miroir de la cuisine.
Si l’on se fie à la logique Pic, on peut s’attendre à des créations où les alcools eux-mêmes seront imprégnés d’ingrédients signature : infusions longues, macérations à froid, distillations maison… Peut-être même des accords mets-cocktails poussés à l’extrême.
Pour beaucoup, c’est là que se jouera une partie de la magie du lieu. Pouvoir commencer la soirée au bar, continuer à table, et terminer par un dernier verre en regardant la rue de Rivoli s’endormir… le programme a de quoi faire rêver.
Le parcours d’une dynastie qui ne s’arrête jamais
Derrière la cheffe, il y a toujours la famille. Quatre générations de Pic, depuis l’arrière-grand-père André qui ouvrait déjà une table en 1891. C’est rare, dans le monde de la gastronomie actuelle, de voir une telle continuité.
- 1891 – André Pic ouvre son premier établissement à Valence
- 1934 – première étoile sous la direction de son fils
- 1972 – deuxième étoile avec Jacques Pic
- 2007 – troisième étoile avec Anne-Sophie
- 2020s – une expansion internationale très maîtrisée
Et pourtant, malgré ce poids de l’histoire, Anne-Sophie n’est jamais apparue comme une héritière qui se repose sur le passé. Au contraire : elle n’a cessé de questionner, de déconstruire, de reconstruire. Chaque nouveau projet est une nouvelle page, jamais une redite.
Paris, capitale gastronomique : et maintenant ?
La capitale reste, malgré toutes les annonces de crise et de saturation, l’une des villes les plus regardées au monde en matière de gastronomie. Chaque ouverture, chaque fermeture, chaque déménagement est disséqué.
Avec ce projet rue de Rivoli, plusieurs lignes bougent en même temps :
- un retour très fort de la haute gastronomie féminine dans le paysage parisien
- l’occupation d’un lieu culturel emblématique par la gastronomie
- le choix assumé d’un emplacement ultra-visible et touristique
- la volonté de créer un lieu qui soit à la fois gastronomique et expérientiel
Beaucoup se demandent si ce type de positionnement va durablement fonctionner dans un Paris où l’on voit apparaître de plus en plus de tables plus intimistes, plus confidentielles. Personnellement, je trouve que les deux modèles ont leur place. Les très grands restaurants de destination ont toujours existé et continueront d’exister. Ils font partie de l’identité de la ville.
Ce que l’on attend avec impatience
Parmi les éléments qui suscitent le plus de curiosité :
- Le traitement de la grande baie vitrée : va-t-on voir la rue ou sera-t-elle masquée pour créer une bulle ?
- Le design intérieur : qui a été choisi ? On parle déjà d’un grand nom du design français
- La capacité totale : combien de couverts ?
- Le positionnement tarifaire : restera-t-on dans la même fourchette que La Dame de Pic ou va-t-on monter d’un cran ?
- La continuité ou non de certains plats signature
Toutes ces questions resteront en suspens encore de longs mois. Et c’est peut-être ça le plus excitant.
En attendant l’automne 2026, une chose est déjà sûre : Anne-Sophie Pic ne compte pas se reposer sur ses (nombreuses) étoiles. Elle continue d’écrire, à sa façon très personnelle, l’histoire de la gastronomie française contemporaine. Et cette fois-ci, elle a choisi l’une des plus belles adresses possibles pour le faire.
Vous serez à la première séance ?
