Vous êtes-vous déjà arrêté devant un arbre en ville et avez-vous vraiment regardé son tronc ? Pas juste un coup d’œil distrait, non, vraiment observé. Moi oui, surtout depuis quelques jours. Parce que ce qui s’est passé place des États-Unis et avenue d’Iéna, dans le très chic seizième arrondissement de Paris, laisse une drôle d’impression. Comme un coup de couteau dans le ventre d’un quartier qui se croyait à l’abri.
Fin novembre, quelqu’un – ou plusieurs personnes – a pris le temps d’écorcer méthodiquement 79 arbres. Pas des petits griffouillis d’amoureux transis. Non. Des blessures circulaires complètes, à hauteur d’homme, parfois sur toute la circonférence du tronc. Le genre de geste qui ne pardonne pas.
Un vandalisme qui coûte un demi-million d’euros
Le chiffre a de quoi faire tourner la tête : près de 400 000 euros de préjudice. Pour des arbres. Oui, vous avez bien lu. Et non, ce n’est pas une lubie d’écolos parisiens qui auraient confondu un platane avec une œuvre d’art contemporain. Il existe une méthode, froide, précise, presque administrative, pour arriver à ce montant.
Et franchement, quand on creuse un peu, on comprend mieux pourquoi la municipalité sort la calculette dès qu’un tronc est abîmé.
Le « barème de l’arbre » : quand la ville fixe un prix à la vie végétale
En 2021, le Conseil de Paris a adopté une délibération qui a fait jaser à l’époque – et qui prend aujourd’hui tout son sens. Un barème de l’arbre a été créé. Un peu comme on évalue un tableau ou un bijou volé, mais pour du vivant. Chaque espèce, chaque âge, chaque emplacement a une valeur précise.
Et quand l’écorce est arrachée, on ne parle plus de simple griffure. On parle d’une blessure qui peut condamner l’arbre à plus ou moins long terme.
« Une écorce arrachée sur toute la circonférence, c’est comme couper l’autoroute de la sève. L’arbre peut survivre un temps, mais il est très gravement menacé. »
– Un arboriste consulté sur ce type de dégradations
Le principe est simple : plus la blessure est importante par rapport à la circonférence du tronc, plus le pourcentage appliqué est élevé. Jusqu’à 100 % de la valeur totale de l’arbre si le cercle est complet. Et là, on ne parle plus de quelques milliers d’euros. On parle de dizaines de milliers par sujet.
Pourquoi l’écorce, c’est vital (et vous ne le saviez probablement pas)
On a tous en tête l’image de l’arbre qui « respire » par ses feuilles. C’est vrai. Mais la circulation de la sève, elle, passe par l’écorce. Plus précisément par le cambium, cette fine couche vivante juste sous l’écorce extérieure.
Quand on écorce un arbre sur tout le tour, on sectionne cette voie vitale. La sève élaborée (celle qui descend des feuilles vers les racines) ne passe plus. L’arbre se retrouve en situation de stress extrême. Il peut tenter de cicatriser, mais c’est long, coûteux en énergie, et souvent… il n’y arrive pas.
- Champignons et bactéries s’installent dans la plaie
- Le bois exposé pourrit
- La structure mécanique est affaiblie
- En quelques années, l’arbre devient dangereux et doit être abattu
Résultat ? Un arbre qui valait 20 000, 30 000 ou 50 000 euros (oui, ça existe dans les quartiers huppés) passe à la caisse à 100 %. Multiplié par 79… faites le calcul.
Un acte gratuit ? Pas si sûr
Ce qui trouble, c’est la méthode. Ce n’est pas l’œuvre d’un ivrogne avec un cutter. C’est propre, régulier, à la même hauteur sur chaque arbre. Soit quelqu’un qui connaît très bien les arbres et qui sait exactement où frapper pour faire un maximum de dégâts. Soit… quelqu’un qui voulait juste faire mal, mais avec une étrange rigueur.
J’ai discuté avec un riverain place des États-Unis. Il m’a dit, un peu sonné : « On a l’impression que c’est un message. Mais à qui ? »
Message écologique radical ? Règlement de comptes déguisé ? Simple folie ? L’enquête est en cours, mais pour l’instant, aucun témoin, aucune caméra utile, aucun motif clair.
Et maintenant ? Sauver ce qui peut encore l’être
Les équipes d’arboristes de la ville sont déjà à pied d’œuvre. On applique des mastics cicatrisants, on pose des bandages spéciaux, on surveille. Certains arbres vont s’en sortir. D’autres… probablement pas.
Ce qui est sûr, c’est que le quartier ne regardera plus jamais ses platanes de la même façon. Moi le premier.
Parce qu’au fond, ces 400 000 euros, ce n’est pas qu’une ligne comptable. C’est le prix d’un patrimoine vivant qu’on croyait intouchable. Et la preuve, s’il en fallait une, que même dans les arrondissements les plus protégés de Paris, la violence peut prendre des formes qu’on n’imagine même pas.
Alors la prochaine fois que vous passerez place des États-Unis, levez un peu les yeux. Et descendez-les aussi, jusqu’aux troncs. Vous verrez les cicatrices. Elles seront là pendant des années. Comme un rappel.
Un rappel qu’un arbre, ce n’est pas juste du décor. C’est un être vivant qui met des décennies à grandir. Et que certains gestes, même silencieux, peuvent coûter très cher.
