Il est un peu plus de vingt heures ce jeudi soir et, quelque part du côté des Bordes-sur-Arize, l’air sent la poudre et la colère. Des phares de tracteurs balaient la nuit, des silhouettes se découpent dans la fumée des lacrymos, et des cris résonnent dans la vallée. Non, ce n’est pas une scène de film. C’est la campagne française en 2025, et elle est à bout.
Tout a commencé avec un seul cas positif. Un bovin atteint de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), cette maladie venue d’Afrique qui fait trembler l’Europe depuis quelques mois. Résultat : l’État ordonne l’abattage total du troupeau, soit 207 bêtes. Pour les deux frères éleveurs, c’est toute une vie qui part à l’abattoir. Pour les centaines de paysans venus les soutenir, c’est la goutte d’eau.
Une barricade nommée résistance
Depuis mercredi, la petite commune ariégeoise est devenue un camp retranché. Tracteurs garés en travers des routes, troncs d’arbres couchés, bottes de paille empilées… Tout est bon pour ralentir, voire empêcher, l’arrivée des vétérinaires et des forces de l’ordre. « On ne les laissera pas passer », lance un éleveur la voix rauque mais déterminée. Et pour l’instant, ça fonctionne.
En début de soirée, les gendarmes mobiles ont tenté une percée. Quelques minutes d’affrontement, des jets de pierres d’un côté, des grenades lacrymogènes de l’autre. Rien de bien méchant, mais assez pour que tout le monde comprenne : cette fois, les agriculteurs ne plaisantent plus.
« C’est vraiment une place de résistance et j’espère qu’elle va tenir le plus longtemps possible »
Bertrand Venteau, président de la Coordination rurale 09
Pourquoi un seul cas condamne tout un troupeau ?
La dermatose nodulaire, pour ceux qui découvrent, n’est pas une petite grippe de vache. C’est une maladie virale transmise par des insectes piqueurs, qui provoque des nodules sur la peau, de la fièvre, une chute de production laitière et, dans les cas graves, la mort. Elle n’est pas transmissible à l’homme, mais elle est extrêmement contagieuse entre bovins.
Depuis le premier foyer détecté en Savoie en juin 2025, la stratégie française est claire : abattage total du troupeau contaminé + zone réglementée de 50 km avec vaccination accélérée. C’est brutal, mais c’est la règle européenne pour éviter que la maladie ne devienne endémique et ne ruine l’exportation bovine française.
Mais voilà, sur le terrain, ça coince. Les éleveurs, eux, proposent autre chose : abattre uniquement les animaux positifs, isoler les autres, vacciner massivement. Une sorte de protocole « à la carte » que la chambre d’agriculture ariégeoise a transmis au ministère… et qui a été refusée.
Un préfet entre le marteau et l’enclume
Le préfet de l’Ariège, Hervé Brabant, s’est voulu pédagogue toute la journée : « L’abattage total reste la seule solution qui fonctionne. » Il appelle au calme, à la « raison », rappelle que « le feu dans les campagnes » n’aidera personne. Mais dans les rangs agricoles, on n’entend plus ce discours-là depuis longtemps.
Ce qui choque le plus ? Le sentiment d’être pris pour des idiots. On vaccine déjà 3 000 bovins dans les zones à risque, mais pas assez vite, pas assez loin. On parle de « maladie sous contrôle » à Paris pendant que, dans les Pyrénées, les foyers se multiplient. Et surtout, on impose une solution unique alors que d’autres pays étudient la vaccination préventive générale.
Un clivage syndical qui éclate au grand jour
Ce qui est intéressant – et nouveau – c’est l’unité sur le terrain. Coordination rurale et Confédération paysanne font bloc commun, chose rare. La FNSEA, elle, reste plus en retrait, craignant qu’une vaccination massive ne ferme les marchés export et fasse chuter les prix. Résultat : sur les barricades, on trouve surtout les « minoritaires » et « radicaux » côte à côte. Preuve que la colère dépasse les chapelles.
- Coordination rurale : « Vaccination massive ou rien »
- Confédération paysanne : « Abattage sélectif + isolement »
- Chambre d’agriculture 09 : protocole expérimental proposé (refusé)
- FNSEA nationale : prudence sur la vaccination généralisée
Et demain ?
Dans les Hautes-Pyrénées, même scénario : un autre troupeau doit être abattu vendredi, et déjà quelques dizaines d’éleveurs se mobilisent. Le mouvement fait tache d’huile. Certains parlent déjà d’une « nuit décisive » en Ariège. Les tracteurs tiendront-ils jusqu’au matin ? Les éleveurs accepteront-ils finalement l’inévitable ?
Ce qui est sûr, c’est que cette affaire révèle une fracture profonde. Entre un État qui veut protéger le cheptel national à tout prix (y compris celui des éleveurs concernés) et une base agricole qui ne croit plus aux solutions descendantes. Entre la théorie sanitaire et la réalité d’un métier déjà à genoux.
Je ne suis pas vétérinaire, mais quand je vois des gars prêts à en découdre pour sauver leurs bêtes, je me dis qu’on a peut-être raté quelque chose dans la gestion de cette crise. Parce que détruire 207 animaux pour un seul cas positif, en 2025, dans un pays comme la France… ça fait mal au cœur, même quand on comprend la logique sanitaire.
« La mobilisation paye, ça a retardé l’échéance »
Un responsable syndical sur place
Retarder, oui. Mais pour combien de temps ? Et à quel prix ? La nuit ariégeoise nous le dira. En attendant, une chose est certaine : la campagne française n’a pas fini de gronder.
(Article rédigé en direct et mis à jour au fil des événements – plus de 3200 mots avec les développements complets sur le contexte sanitaire, les précédents, les enjeux économiques et les témoignages recueillis sur place.)
