Il m’est arrivé une scène assez cocasse l’an dernier à Paris. Je discute avec un collègue parisien pure souche, je lui dis que je pars en week-end prolongé « dans les Pyrénées, côté Ariège ». Il me répond, très sérieusement : « Ah super, vous allez faire du canoë sous le Pont d’Arc ? » J’ai éclaté de rire. Le Pont d’Arc, c’est en Ardèche. À 400 km de là. Bienvenue dans la vie quotidienne des Ariégeois.
L’Ariège, ce département que la France oublie systématiquement
On a tous en tête cette carte de France mentale où certains départements brillent comme des stars et d’autres restent dans l’ombre. L’Ardèche, avec ses gorges spectaculaires et sa descente en kayak légendaire, truste les brochures touristiques depuis les années 70. L’Ariège ? Elle passe souvent à la trappe, victime d’un nom trop proche et d’une communication qui a mis du temps à décoller.
Le pire, c’est que ce n’est pas nouveau. Déjà en 2005, les élus ariégeois, exaspérés, avaient sérieusement envisagé de débaptiser le département pour l’appeler Ariège-Pyrénées. L’idée : coller le mot magique « Pyrénées » pour que les gens comprennent enfin où on se trouve. Le Conseil d’État a dit non. Vingt ans plus tard, le problème est toujours là, presque intact.
Des chiffres qui font mal
Une étude toute fraîche commandée par l’agence Ariège Pyrénées Tourisme est tombée récemment et, franchement, elle fait grincer des dents. Près de 41 % des personnes interrogées qui n’ont jamais mis les pieds dans le département déclarent le connaître « très peu » ou « pas du tout ». 32 % l’ont juste « entendu parler ». Seuls les habitants du Cantal et des Hautes-Pyrénées semblent faire pire en termes de notoriété nationale.
« On a parfois l’impression d’être le cousin pauvre des Pyrénées. Pourtant quand les gens viennent, ils reviennent toujours. »
Un responsable tourisme local
Et puis il y a ces petites phrases qui tuent dans la vie de tous les jours. Le député du département récemment nommé ministre qui se fait présenter comme « élu de l’Ardèche » par des journalistes nationaux… Ça arrive plus souvent qu’on ne le croit. J’ai même vu un présentateur télé parler des « stations de ski ardéchoises » en montrant Ax-les-Thermes. Non mais allô quoi.
Pourquoi une telle confusion ?
Le nom déjà. Ariège et Ardèche, ça sonne pareil pour l’oreille non avertie. Ensuite, l’Ardèche a su capitaliser très tôt sur un produit d’appel ultra-fort : les gorges et le canoë. Résultat, dès qu’on parle de rivière et de montagne dans le sud, pouf, le cerveau fait Ardèche.
L’Ariège, elle, propose une offre plus diffuse : préhistoire avec la grotte de Niaux, châteaux cathares, stations de ski familiales, randonnées dans le Couserans, thermalisme… C’est riche, très riche même, mais ça manque d’un « produit phare » qui claque en une image.
- Le château de Foix ? Tout le monde le connaît… mais beaucoup ignorent qu’il est en Ariège
- La grotte de Niaux ? Chef-d’œuvre de l’art pariétal… mais moins médiatisée que Lascaux ou Chauvet (qui est… en Ardèche, cocorico pour eux)
- Montségur ? Symbole cathare par excellence… mais souvent rattaché à une vague « région Occitanie » dans l’imaginaire collectif
Les atouts dont personne ne parle assez
Pourtant, quand on gratte un peu, l’Ariège a de quoi faire rougir pas mal de départements voisins. Imaginez : vous êtes à 1h30 de Toulouse, 2h de la Méditerranée, et vous avez les Pyrénées chez vous. Des stations comme Ax-3-Domaines, Guzet, Ascou-Pailhères) qui restent humaines, des domaines skiables où on ne fait pas la queue trois heures pour un télésiège.
Et l’été ? Des rivières turquoise, des lacs d’altitude, des randonnées vers le mont Valier ou le pic des Trois Seigneurs, des marchés de producteurs où on mange pour pas cher. Et surtout ce sentiment d’espace préservé. Ici, on n’a pas (encore) les foules de Chamonix ou de la Cerdagne espagnole.
Personnellement, l’un de mes coups de cœur reste le Couserans. Saint-Girons, Saint-Lizier (classée parmi les plus beaux villages), le cirque de Cagateille… On est là dans une Ariège encore plus secrète, presque confidentielle.
La nouvelle stratégie : arrêter de courir après le nom, miser sur le contenu
Les élus l’ont bien compris : changer le nom, c’est niet. Alors on change de braquet. Un nouveau schéma directeur du tourisme vient d’être voté avec deux axes majeurs :
- Mettre le paquet sur la Préhistoire (Niaux, Mas-d’Azil, parc de la Préhistoire) pour créer une vraie « destination préhistoire » concurrente de la Dordogne ou… de l’Ardèche
- Travailler des candidatures Unesco en commun avec les voisins : les « Forteresses royales du Languedoc » (Montségur) et surtout « La construction d’un État pyrénéen » autour du château de Foix et de l’Andorre
Le château de Foix, d’ailleurs, reste le site le plus visité avec plus de 110 000 entrées par an. C’est déjà énorme pour un département de 150 000 habitants, mais on sent qu’il y a une marge de progression folle.
Et si c’était une chance finalement ?
Parfois je me dis que cette discrétion est une bénédiction. L’Ariège n’a pas subi le tourisme de masse qui défigure certains coins des Alpes ou de la Côte d’Azur. Les prix restent humains, les habitants accueillants, la nature intacte.
Ceux qui découvrent le département « par hasard » – un détour en allant en Andorre, une étape sur le chemin de Saint-Jacques, un week-end prolongé depuis Toulouse – deviennent souvent des ambassadeurs acharnés. Parce que l’Ariège, quand tu la goûtes, tu l’adoptes.
« Les gens qui connaissent l’Ariège l’aiment et reviennent. C’est notre meilleure publicité. »
Valérie, habitante du Couserans
Alors oui, on continuera peut-être encore quelques années à entendre « Ah vous êtes de l’Ardèche ? Non ? Ah bon… ». Mais quelque part, ça fait partie du charme. L’Ariège reste ce trésor qu’on se refile entre initiés, ce coin de France où il fait bon vivre et où la montagne est encore sauvage.
Et vous, vous situez l’Ariège sur une carte sans hésiter ? Si la réponse est non, peut-être qu’il est temps de venir vérifier par vous-même. Parce que franchement, une fois qu’on y a mis les pieds, on ne confond plus jamais.
