Imaginez un champ où poussent encore le blé, où des hérissons traversent tranquillement et où des chouettes hululent la nuit. Maintenant, imaginez qu’on vous dise que tout ça va disparaître pour laisser place à un stade de foot de 15 000 places et 1 350 places de parking. Bienvenue à Froutven, dans la périphérie de Brest, là où doit naître l’Arkéa Park. Et croyez-moi, l’histoire est loin d’être simple.
Un projet qui cristallise toutes les tensions possibles
Quand on parle stade neuf, on pense souvent fête, fierté régionale, maillots qui flambent. À Brest, c’est plutôt guerre de tranchées. D’un côté les institutions (métropole, département, région) qui mettent la main à la poche. De l’autre des associations écologistes qui ont obtenu gain de cause devant le tribunal administratif. Entre les deux ? Des supporters partagés, des commerçants inquiets et un silence assourdissant du club et de ses propriétaires.
Franchement, je n’ai jamais vu un projet aussi clivant dans le foot français ces dernières années. Même le Grand Stade de Lyon avait fini par faire plus ou moins consensus. Ici, non. On dirait que chaque Breton a son avis sur la question, et il est rarement tiède.
Froutven, la dernière poche verte d’une zone déjà bien artificialisée
Allez sur place, vous comprendrez tout de suite le malaise. Vous longez la RN265, passez devant Ikea, Decathlon, Leroy Merlin, Jardiland… Et soudain, un terrain de 18 hectares qui semble oublié par le temps. Une vieille ferme abandonnée depuis trente ans, trois champs encore cultivés, des haies, des talus. Un paysan y fait toujours son blé. Autour, le béton a tout avalé.
C’est précisément cette parcelle que la métropole a choisie pour implanter l’Arkéa Park. Pourquoi ici ? Parce que tous les autres sites étudiés étaient jugés trop “nature” et auraient nécessité plus de routes, plus de dessertes. Ironie du sort : on détruit la dernière zone un peu préservée pour éviter… d’en détruire une autre plus loin.
« Cette parcelle ne sera jamais rendue à la nature. Les choix urbanistiques ont été faits il y a plus de vingt ans. »
Un haut fonctionnaire de l’État sur place
Difficile de lui donner complètement tort sur le plan juridique et urbanistique. Mais sur le plan symbolique, ça coince sévère.
Francis-Le Blé, le vieux guerrier qu’on veut pas mourir
En centre-ville, il y a Francis-Le Blé. 15 000 places aussi, mais un stade qui prend l’eau, qui n’est plus aux normes UEFA et qui bénéficie chaque année d’une dérogation miraculeuse dérogation pour jouer en Ligue 1. L’an dernier, Brest a dû aller jouer ses matchs de Ligue des Champions à Guingamp, chez le rival historique. Autant dire que ça a laissé des traces.
Moi qui ai vu des matchs là-bas, je peux vous dire que l’ambiance est dingue. Le stade est collé aux habitations, les supporters arrivent à pied ou en bus, ça sent la sardine grillée et la bière. Un vrai stade de quartier. Alors pourquoi l’abandonner ?
- Coût de rénovation estimé trop élevé (plus cher que construire du neuf, paraît-il)
- Impossibilité d’agrandir significativement sur place
- Quartier déjà saturé en jours de match
- Promesse d’un outil ultra-moderne, accessible aux personnes handicapées
Mais certains supporters et élus locaux rêvent encore d’une grosse rénovation. Déplacer l’école voisine, racheter des immeubles, surélévation… Des pistes qui n’ont, semble-t-il, jamais été sérieusement étudiées.
L’argent public au cœur de la tempête
Le projet est chiffré à 106,5 millions d’euros. Le club met une partie, mais les collectivités complètent généreusement. Le département du Finistère, par exemple, sort 6 millions. Et ce, quel que soit le bord politique : tout le monde ou presque soutient le dossier.
Dans un contexte où les hôpitaux bretons ferment des lits et où les routes départementales tombent en ruine, ça fait tousser. D’autant que le stade restera propriété publique et sera loué au club. Un montage classique, mais qui passe mal quand on rase des terres agricoles pour le construire.
« C’est le projet du tout-bagnole, un projet dépassé. »
Glen Dissaux, élu écologiste et… supporter du Stade Brestois
Lui préfère une rénovation ambitieuse de Francis-Le Blé. Et il n’est pas le seul.
La justice met un gros coup d’arrêt (temporaire ?)
Le coup de théâtre arrive fin novembre 2025 : le tribunal administratif de Rennes suspend l’arrêté préfectoral qui autorisait la destruction d’espèces protégées. Écureuils roux, hérissons, chouettes chevêches, roitelets… Une vingtaine d’espèces vivent sur le site. L’autorisation initiale faisait deux pages et demie. Le juge a dit : « Circulez, y’a rien à voir. »
Les associations exultent. Les porteurs du projet minimisent : « On va faire une nouvelle demande, cette fois avec 40 pages d’études. » On parle désormais d’un dossier de quarante pages. Autant dire une encyclopédie.
Un ingénieur écologue qui a conseillé les opposants est catégorique : « Ce projet ne verra jamais le jour. » À l’opposé, l’État reste confiant. On sent que tout le monde se prépare à une longue bataille juridique.
Les arguments qu’on n’entend presque jamais
Ce qui m’a surpris dans cette affaire, c’est le peu de débat sur certains points pourtant essentiels.
Par exemple : l’accessibilité handicap. Le futur Arkéa Park se veut l’un des stades les plus inclusifs de France, avec un vrai centre de ressources pour le sport adapté. C’est loin d’être anecdotique quand on sait que le sujet est souvent le parent pauvre des enceintes françaises.
Autre point rarement évoqué : l’impact sur la zone commerciale les jours de match. 1 350 places de parking stade + les parkings des magasins qui seront réquisitionnés. Les clients du samedi après-midi risquent de faire la tête.
Et enfin, la question qu’on pose jamais : est-ce qu’un club comme Brest, qui lutte chaque année pour son maintien en Ligue 1, a vraiment besoin d’un stade neuf à 100 millions ? La réponse est probablement oui si on veut rêver plus grand. Non si on reste pragmatique.
Et les supporters dans tout ça ?
C’est peut-être le plus étonnant. Les groupes de supporters restent très discrets. Certains avouent même ne pas se sentir légitimes pour prendre position. D’autres disent en off qu’ils préfèrent largement rester à Francis-Le Blé. Ambiance chaude, proximité, identité… Tout ce qu’un stade périphérique aura du mal à reproduire.
Un podcasteur connu de la communauté brestoise me confiait récemment : « On a joué la C1 à Guingamp, c’était l’horreur. Mais déménager à Froutven, c’est accepter de perdre une partie de l’âme du club. »
2028, une échéance qui s’éloigne ?
Officiellement, livraison toujours prévue pour 2028. Mais avec la suspension judiciaire, les nouvelles études naturalistes à réaliser, les recours qui risquent de pleuvoir… On voit mal comment tenir le calendrier.
Et si jamais le projet capotait ? Brest se retrouverait avec un Francis-Le Blé toujours plus vétuste et aucune solution B. Un scénario catastrophe que personne ne veut envisager, mais qui devient de plus en plus crédible.
Ce qui est sûr, c’est que l’Arkéa Park, même s’il voit le jour, portera les stigmates de cette bataille. Un stade né dans la controverse, ça laisse toujours des traces dans l’inconscient collectif.
Alors, stade moderne et ambitieux ou bétonnage inutile d’une des dernières zones naturelles de la périphérie brestoise ? L’histoire n’est pas finie. Et quelque chose me dit qu’on est partis pour plusieurs années de rebondissements.
Personnellement, je suis partagé. J’aime l’idée d’un club breton qui voit grand. Mais je déteste l’idée qu’on sacrifie encore des terres agricoles et des zones humides pour ça. Peut-être qu’une troisième voie existe. Peut-être pas. En attendant, les roitelets et les linottes mélodieuses continuent de chanter à Froutven. Pour combien de temps encore ?
