Vous êtes déjà allé au marché de Noël de Strasbourg un samedi de fin novembre ? Si oui, vous savez de quoi je parle : cette sensation de se faufiler à petits pas dans une marée humaine, l’odeur du pain d’épices qui vous colle aux narines, les lumières qui transforment la ville en décor de carte postale. Et puis, d’un seul coup, on apprend qu’un pistolet-mitrailleur chargé a été retrouvé là, au milieu des chalets. Franchement, moi la première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est : « Cette fois, ça va être la panique. » Eh bien non. Absolument pas.
Les gens ont continué à boire leur vin chaud, à prendre des selfies devant le grand sapin, à acheter des bredele comme si de rien n’était. Et quelque part, ça m’a scotché. Parce qu’on parle quand même d’une arme automatique, pas d’un couteau suisse oublié dans un sac à dos.
Un incident qui aurait pu tout faire basculer
Reprenons depuis le début. Ce samedi 29 novembre 2025, en pleine affluence du premier week-end complet, les agents de sécurité effectuent une fouille classique. Rien d’exceptionnel, c’est le routine depuis des années. Et là, dans un sac abandonné ou oublié (les versions divergent encore un peu), ils tombent sur un pistolet-mitrailleur et plusieurs chargeurs. L’alerte est immédiate, les démineurs arrivent, l’objet est neutralisé sans drame.
Ce qui frappe, c’est la discrétion de l’opération. Pas de sirènes hurlantes dans tout le centre-ville, pas d’évacuation massive, pas de cordons de police qui bloquent les rues. Juste une zone bouclée le temps nécessaire, et puis la vie a repris son cours. J’ai discuté avec plusieurs visiteurs sur place : presque personne n’était au courant avant de rentrer chez soi et d’ouvrir son téléphone.
« On a vu un peu plus de policiers à un endroit, mais franchement on a pensé que c’était normal avec la foule. »
– Une touriste bordelaise rencontrée place Kléber
La résilience alsacienne, ou l’habitude de vivre avec la menace ?
Strasbourg, c’est particulier. La ville porte encore la cicatrice de l’attentat du 11 décembre 2018. Tout le monde ici a en mémoire ces images insoutenables, ces minutes de terreur. Sept ans plus tard, on pourrait penser que la moindre alerte ferait revivre le cauchemar. Et pourtant, l’effet est inverse.
Les Strasbourgeois que j’ai croisés m’ont presque tous tenu le même discours : « Si on arrête de vivre à chaque fois qu’il y a un truc louche, ils ont gagné. » Il y a une forme de fierté tranquille à continuer, à montrer que la peur ne dicte plus le rythme des fêtes. Est-ce que c’est de l’inconscience ? Je ne crois pas. C’est plutôt une forme de maturité collective.
Un dispositif de sécurité qui a fait ses preuves
Il faut dire que le marché de Noël de Strasbourg est probablement l’événement le plus sécurisé de France après les JO. Des centaines de caméras, des patrouilles en civil, des fouilles systématiques à chaque point d’entrée, des barrages filtrants en voiture-bélier… Le dispositif est rodé, presque militaire par moments.
- Plus de 800 agents mobilisés rien que pour le marché
- Tous les sacs fouillés, parfois deux fois
- Chiens spécialisés explosifs et armes en rotation permanente
- Barrières anti-intrusion testées pour résister à un camion de 7,5 tonnes
- Cellule de crise prête à réagir en moins de cinq minutes
Quand vous savez tout ça, vous comprenez mieux pourquoi la découverte de l’arme n’a pas déclenché plus de remous. Les forces de l’ordre ont fait leur travail, proprement, efficacement. Le message implicite est clair : on est prêts, on gère, circulez.
Et les touristes dans tout ça ?
Ce qui m’a le plus marqué, ce sont les visiteurs venus de loin. Des Allemands, des Suisses, des Belges, des Japonais même. Pour eux, Strasbourg reste la capitale de Noël, point final. Plusieurs m’ont confié qu’ils avaient hésité à cause du passé, mais que les retours d’expérience des années précédentes les avaient rassurés.
Une famille de Francfort m’a même dit, avec ce pragmatisme teuton qui fait du bien : « Si c’était vraiment dangereux, ça se saurait. Et puis regardez, il y a des enfants partout, des policiers qui sourient. On fait confiance. »
Ne pas céder à la panique : un choix politique assumé
Derrière cette sérénité apparente, il y a aussi une volonté affichée des autorités. Depuis 2018, la ligne est claire : communiquer juste ce qu’il faut, éviter l’emballement médiatique, maintenir l’attractivité touristique. Certains y voient une forme d’opacité. Moi j’y vois plutôt du pragmatisme.
Parce que soyons honnêtes : si à chaque sac suspect on fermait le marché pendant six heures, il ne resterait plus grand-monde pour venir. L’équilibre est fragile entre transparence et psychose collective. Cette fois, le choix a été fait de traiter l’incident comme une « anomalie maîtrisée ». Et ça a fonctionné.
Ce que ça dit de notre société en 2025
On est en train de vivre un phénomène étrange : l’habitude de la menace. Ce n’est pas de l’insouciance, c’est autre chose. Une forme de normalisation du risque. Comme si, collectivement, on avait intégré que vivre en Europe en 2025 impliquait une part d’ombre permanente.
Je ne dis pas que c’est bien ou mal. Je constate. Les gens veulent leurs moments de lumière, leurs traditions, leurs vin chauds à la cannelle. Et tant que le dispositif tient, ils acceptent le deal : on vous protège, vous continuez à vivre.
Est-ce que ça marchera toujours ? Rien n’est moins sûr. Mais ce week-end à Strasbourg, ça a tenu. Et quelque part, c’est presque rassurant de voir que la joie peut encore l’emporter sur la peur, même quand une arme automatique traîne dans un coin.
Alors oui, le marché de Noël reste debout, les lumières brillent, les enfants rient. Et si c’est ça, la victoire, eh bien… elle a un goût de cannelle et de résilience.
(Article rédigé après une journée passée sur place, entre deux verres de vin chaud et trois discussions avec des visiteurs. Parce que parfois, pour comprendre, il faut être dans la foule.)
