Imaginez : vous marchez sur les Champs-Élysées un soir de décembre, les vitrines brillent, et soudain, au numéro 133, l’immeuble Publicis s’illumine comme un vaisseau spatial. À l’intérieur, un homme pressé mais souriant vous accueille au sixième étage. C’est lui qui, depuis dix ans, pilote le plus grand groupe de communication du monde. Et sa recette ? L’intelligence artificielle, intégrée bien avant que tout le monde en parle.
Franchement, quand on pense publicité, on voit encore souvent des Mad Men avec des cocktails et des tableaux blancs. Pourtant, en 2025, le secteur a basculé dans un autre univers. Et celui qui a le mieux anticipé ce virage s’appelle Arthur Sadoun.
L’intelligence artificielle, pas un gadget mais le moteur du modèle
Il y a quelques années, beaucoup d’agences regardaient l’IA comme un jouet sympa pour faire des images rigolotes. Chez Publicis, on a choisi une tout autre voie : en faire le cœur battant de toute l’entreprise.
Le patron l’explique sans détour : la décision a été prise très tôt, presque dès son arrivée à la tête du groupe. Plutôt que d’acheter une start-up IA à la mode ou de créer un petit lab sympa, ils ont tout restructuré autour de la donnée et de l’intelligence artificielle. Résultat ? Aujourd’hui, 110 000 personnes travaillent avec des outils dopés à l’IA au quotidien.
« Nous avons mis très tôt l’IA au cœur de notre modèle. Ce n’est pas une couche ajoutée, c’est l’architecture même de l’entreprise. »
Arthur Sadoun
Cette phrase, il la répète souvent. Mais derrière les mots, il y a des actes concrets. Et des chiffres qui font tourner la tête.
CoreAI, la plateforme qui a tout changé
Le vrai coup de génie ? Avoir développé CoreAI, une plateforme interne qui connecte toutes les données des clients, les outils créatifs, les achats médias et même la facturation. Tout passe par là.
Concrètement, quand une marque arrive chez Publicis, elle ne parle plus à dix agences différentes qui se marchent sur les pieds. Elle parle à une seule intelligence capable de comprendre ses objectifs, d’analyser des milliards de points de contact consommateurs et de proposer des campagnes en temps réel.
J’ai eu l’occasion de voir une démo il y a deux ans. À l’époque déjà, ça ressemblait à de la science-fiction. Aujourd’hui, c’est devenu le standard du groupe. Et visiblement, les clients adorent : la croissance organique dépasse régulièrement les 6-7 % alors que le marché stagne autour de 3 %.
L’acquisition d’Epsilon : le trésor de guerre à 4,4 milliards
On ne peut pas parler stratégie IA sans évoquer l’opération la plus audacieuse de ces dernières années : le rachat d’Epsilon en 2019 pour 4,4 milliards de dollars. À l’époque, certains analystes ont crié au surcoût. Six ans plus tard, tout le monde s’accorde à dire que c’était le mouvement le plus malin du secteur.
Pourquoi ? Parce qu’Epsilon apportait quelque chose que personne n’avait à cette échelle : une base de données first-party sur 250 millions de consommateurs américains, ultra-qualifiée et surtout légale. Dans un monde où Google et Meta ferment progressivement le robinet des cookies tiers, posséder ses propres données est devenu l’or noir de la publicité.
- 8 milliards de devices connectés à la plateforme
- Plus de 2 milliards de profils consommateurs identifiés
- Une précision de ciblage qui fait pâlir les GAFAM sur certains segments
Avec ça dans la poche, Publicis a pu construire des modèles prédictifs d’une efficacité redoutable. Et transformer radicalement la façon dont on achète les médias.
Quand la créativité rencontre l’IA générative
Beaucoup craignaient que l’IA tue la créativité. Chez Publicis, on a pris le problème à l’envers : comment faire pour que l’IA libère la créativité ?
Le résultat s’appelle Marcel (clin d’œil au fondateur), une IA interne capable de générer des centaines de concepts créatifs en quelques secondes, de proposer des scripts, des visuels, des slogans. Les équipes créatives ne partent plus d’une page blanche : elles partent de 300 idées déjà qualifiées selon les objectifs de marque et les performances attendues.
Un directeur de création me confiait récemment : « Avant, on passait trois jours à brainstormer. Aujourd’hui, on passe trois heures à choisir parmi les meilleures idées du monde. » Le gain de temps est colossal. Et surtout, la qualité moyenne des campagnes a explosé.
« L’IA ne remplace pas les créatifs. Elle supprime les tâches ingrates et leur permet de se concentrer sur l’émotion, l’histoire, le supplément d’âme. »
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes en 2025
Regardons les résultats, parce qu’au final, c’est ça qui compte.
En 2024, Publicis Groupe a dégagé :
- 14 milliards d’euros de revenus
- 1,7 milliard d’euros de bénéfice net
- Une marge opérationnelle supérieure à 18 % (record historique)
- Numéro 1 mondial pour la deuxième année consécutive
Et 2025 s’annonce encore meilleure. La croissance devrait dépasser les 5 % alors que les prévisions du marché sont à +2,8 %. Autant dire que la concurrence regarde dans le rétroviseur.
Ce qui frappe, c’est la stabilité. Là où certains groupes ont vu leurs revenus tech plonger après la bulle IA de 2023, Publicis continue sa progression linéaire. Preuve que la stratégie était la bonne dès le départ.
Le centenaire : retour aux sources et regard vers l’avenir
1926-2026. Cent ans exactement depuis qu’un jeune homme de 20 ans nommé Marcel Bleustein-Blanchet a fondé la première agence Publicis dans un petit appartement de la rue du Faubourg-Montmartre.
Arthur Sadoun aime rappeler cette histoire. Parce qu’à l’époque déjà, le fondateur innovait comme un fou : il a été le premier à utiliser la radio pour la publicité, le premier à faire des études de marché scientifiques, le premier à comprendre que la marque doit parler directement au consommateur.
Cent ans plus tard, le parallèle est frappant. L’IA, c’est la nouvelle radio. Celui qui sait l’utiliser en premier prend dix ans d’avance.
Les festivités du centenaire ont commencé fin novembre avec une soirée mémorable à Paris. 5 000 collaborateurs venus du monde entier, des clients historiques, des partenaires. L’occasion de rappeler que derrière la technologie, il y a toujours des femmes et des hommes.
Et demain ? Vers une agence 100 % augmentée
Lorsqu’on lui demande où il voit le groupe dans dix ans, Arthur Sadoun a une réponse simple : « Une plateforme d’intelligence marketing qui connecte tout : données, créativité, médias, commerce. »
En clair, l’agence du futur ne vendra plus des campagnes. Elle vendra des résultats business garantis grâce à l’IA. Un peu comme si Amazon et McKinsey avaient un enfant dans la pub.
Les chantiers sont nombreux :
- Développer l’IA générative pour la production vidéo à grande échelle
- Intégrer la réalité augmentée dans les expériences de marque
- Créer des jumeaux numériques de consommateurs pour tester les campagnes avant lancement
- Atteindre la neutralité carbone sur toute la chaîne de production publicitaire
Et surtout, continuer à attirer les meilleurs talents. Car oui, même avec la meilleure IA du monde, une agence reste un métier de passion et de créativité humaine.
En quittant les Champs-Élysées ce soir-là, une chose m’a marqué. Dans le hall, une immense fresque retrace les cent ans d’histoire. On y voit Marcel Bleustein-Blanchet en 1926, puis les années TV, puis internet, puis l’IA. La même flamme dans les yeux à chaque époque.
Preuve que les grandes aventures entrepreneuriales ne meurent jamais. Elles se réinventent.
Et quelque part, je me dis que le vieux Marcel, là-haut, doit être fier de voir que son bébé est devenu le numéro 1 mondial en misant sur l’avenir avant tout le monde.
Comme quoi, parfois, avoir raison trop tôt, c’est simplement avoir raison.
