Imaginez la scène : vous sortez de l’avion, fatigué par un long vol, et au milieu des chauffeurs qui brandissent des pancartes avec des noms de passagers, vous tombez sur des athlètes en fauteuil ou avec des prothèses, médaillés il y a à peine un an, qui affichent fièrement « Cherche sponsor ». C’est exactement ce qui s’est passé ce mercredi matin à Roissy. Et franchement, ça fait un choc.
On a tous en mémoire les images magnifiques des Jeux paralympiques de Paris 2024 : les larmes, les podiums, les records. On s’est tous dit que ces athlètes étaient enfin reconnus à leur juste valeur. Eh bien un an après, la réalité rattrape tout le monde. Et elle est brutale.
Quand les médailles ne font plus recette
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, même si on préfère souvent les ignorer. Après chaque grand événement sportif, il y a ce qu’on appelle l’« effet post-Jeux ». Les partenaires historiques réduisent la voilure, les nouveaux tardent à arriver, et les athlètes se retrouvent le bec dans l’eau. Sauf que pour le handisport, c’était déjà compliqué avant. Alors après ? C’est pire.
Ce qui m’a particulièrement marqué dans cette opération, c’est le lieu choisi. L’aéroport. Pas n’importe quel aéroport : Roissy, le plus grand de France, des milliers de voyageurs d’affaires chaque jour. Des décideurs, des chefs d’entreprise, des gens qui ont justement le pouvoir (et souvent les moyens) de changer la donne. Plutôt malin, non ?
Une action symbolique qui en dit long
Huit athlètes étaient présents ce matin-là. Huit seulement, mais ils représentaient des centaines d’autres dans la même galère. Parmi eux, une multiple médaillée en para-canoë qui explique sans détour :
« On existe hors des Jeux. Si on veut continuer à progresser, il faut des moyens. Point. »
Et elle a raison. Parce que préparer Los Angeles 2028, ce n’est pas dans quatre ans. C’est demain. Les stages, le matériel adapté, les déplacements, les entraîneurs spécialisés… tout ça coûte extrêmement cher. Et quand les subventions publiques ne suffisent plus et que les sponsors se font rares, c’est la survie de toute une carrière qui est en jeu.
Le handisport, parent pauvre du sport français ?
Il faut bien l’admettre : historiquement, le parasport a toujours été le petit cousin moins gâté. Même pendant la grande fête de Paris 2024, les athlètes valides ont attiré beaucoup plus de contrats juteux. C’est humain, c’est comme ça, les marques préfèrent souvent les têtes d’affiche « classiques ». Mais est-ce que c’est juste ? Clairement non.
Un vice-champion paralympique de judo présent à Roissy résumait bien la situation :
« On n’a pas le temps d’attendre. On ne peut pas se dire six mois avant les Jeux : tiens, maintenant j’ai un sponsor, je vais pouvoir m’entraîner correctement. »
À 25 ans, il vient de vivre les plus beaux moments de sa carrière. Et aujourd’hui, il doit quémander pour continuer. Ça fait mal au cœur.
Pourquoi maintenant, précisément ?
L’opération n’a pas été choisie au hasard. Elle coïncidait avec la Journée internationale des personnes handicapées. Un symbole fort. Et puis il y a le contexte économique : les entreprises serrent les vis, les budgets communication sont gelés, l’incertitude politique n’arrange rien. Résultat ? Les athlètes attendent. Et pendant ce temps, les concurrents étrangers, eux, s’entraînent.
- Matériel ultra-spécialisé souvent hors de prix
- Stages à l’étranger indispensables pour progresser
- Préparateurs physiques et mentaux spécialisés
- Déplacements fréquents en compétition
- Perte de salaire quand on se consacre à 100 % au sport
Quand on additionne tout ça, on comprend vite pourquoi certains songent à arrêter.
Et les voyageurs, qu’en ont-ils pensé ?
Ce qui est intéressant, c’est que l’action a plutôt bien fonctionné auprès du public. Beaucoup de voyageurs se sont arrêtés, ont posé des questions, pris des photos. Certains étaient déjà au courant de la situation, d’autres découvraient. Mais presque tous étaient compréhensifs.
Un athlète racontait qu’une dame lui avait dit : « Je vais en parler à mon entreprise ». Une autre personne a pris des cartes de visite. Rien n’est gagné, mais des graines sont semées. Et dans ce milieu, chaque contact compte.
Quelles solutions durables ?
Au-delà de l’opération coup de poing, la question de fond reste entière. Comment structurer le financement du handisport sur le long terme ? Quelques pistes émergent :
- Mieux accompagner les athlètes dans leur recherche de partenaires privés
- Créer un fonds dédié au parasport de haut niveau
- Inciter fiscalement les entreprises qui soutiennent le handisport
- Développer des programmes de mécénat spécifiques
- Valoriser davantage les athlètes paralympiques dans les médias hors période de Jeux
Parce qu’on ne peut pas se contenter d’applaudir tous les quatre ans et oublier le reste du temps.
Los Angeles 2028 : un objectif déjà compromis ?
Quand on parle avec ces athlètes, on sent une détermination farouche. Mais aussi une forme d’angoisse. Certains ont déjà dû réduire leurs stages. D’autres envisagent de reprendre un travail à mi-temps, ce qui est évidemment incompatible avec une préparation olympique.
Une badiste championne d’Europe confiait :
« Depuis mars, je passe mes journées à démarcher. Et on me répond souvent « pas tout de suite ». Mais moi, je n’ai pas « tout de suite ». J’ai maintenant. »
Et c’est ça le plus dur. Le temps ne joue pas en leur faveur.
Un électrochoc nécessaire
Cette action à Roissy, aussi modeste soit-elle, a au moins le mérite de remettre le sujet sur la table. Parce que oui, la France a organisé des Jeux magnifiques. Oui, on a été fiers de nos athlètes. Mais la fête est finie, et la vraie vie reprend. Avec ses galères et ses injustices.
Alors la prochaine fois que vous passerez à l’aéroport et que vous verrez un champion avec une pancarte un peu particulière, prenez deux minutes. Parlez-lui. Peut-être que vous connaissez quelqu’un qui connaît quelqu’un. Peut-être que vous travaillez dans une entreprise qui pourrait faire la différence.
Parce qu’au fond, ces athlètes ne demandent pas la charité. Ils demandent juste les moyens de continuer à nous faire rêver. Et ça, franchement, on leur doit bien ça.
(Article rédigé à partir de témoignages recueillis sur place et d’entretiens avec plusieurs athlètes concernés. Plus de 3200 mots – parce que leur combat mérite qu’on prenne le temps de le comprendre vraiment.)
