Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe quand, dans une salle d’audience censée incarner la justice et le calme, tout bascule en quelques secondes ? Quand la tension accumulée pendant des jours explose littéralement sous les yeux des magistrats, des avocats et des familles ? C’est exactement ce qui s’est produit début décembre au tribunal de Créteil. Et franchement, on a rarement vu un procès déraper à ce point.
Quand la « loi du quartier » craque sous la pression
Reprenons depuis le début. Un jeune homme, Mansour, a été abattu de deux coups de fusil dans le dos en 2022 à Gentilly. Un règlement de comptes classique, diront certains, mais qui cache une réalité bien plus lourde : celle des bandes, du silence imposé, de la peur de parler. Cinq accusés comparaissaient devant la cour d’assises du Val-de-Marne. Et pendant plusieurs jours, le mur du silence a tenu. Jusqu’à ce fameux lundi soir.
Un des accusés, Sofiane, est interrogé. Il tourne autour du pot, comme les autres. Il reconnaît être monté dans la voiture, mais jure qu’il n’a rien vu, rien entendu. Et puis, sous la pression répétée du président, il craque. Il désigne celui qui, selon lui, porte toute la responsabilité : Elijah, le tireur présumé. « C’est à cause de lui qu’on est tous là ! » La phrase tombe comme un couperet.
Derrière lui, Elijah s’agace : « J’ai quoi à voir moi ? » C’était la phrase de trop.
Une explosion de violence en plein tribunal
Ce qui suit est difficilement imaginable dans une enceinte judiciaire. Sofiane se retourne et décoche un violent coup de pied en plein visage d’Elijah. Le sang gicle. En quelques secondes, c’est la mêlée générale : coups de poing, coups de pied, chaises qui volent. Les policiers tentent de s’interposer, mais la furia est trop forte. Il faudra plusieurs minutes pour séparer les belligérants.
Pire : la violence déborde hors de la salle. Dans le hall du tribunal, une partie du public s’en prend à Fouad, qui comparaissait libre. Bilan ? Traumatisme crânien, attelle à la main, hospitalisation. L’homme manquera même l’audience du lendemain matin.
Je vous avoue que, même en ayant couvert pas mal d’affaires sensibles, ce genre de scène laisse pantois. On a beau renforcer la sécurité, installer des portiques, multiplier les effectifs… quand la haine est aussi brute, elle trouve toujours un chemin.
L’enquête ouverte : une réponse logique, mais discutée
Réaction immédiate du parquet de Créteil : ouverture d’une enquête préliminaire pour violences en réunion. Le commissariat local est saisi. Objectif ? Identifier précisément les auteurs des coups, dans le box comme dans le hall. Car oui, frapper dans un tribunal, ce n’est pas anodin. C’est une atteinte directe à l’institution.
« Il vous faudra répondre de ces violences », avait prévenu l’avocate générale quelques jours plus tôt. Prophétique.
Certains avocats de la défense, eux, relativisent. L’un d’eux confie même « avoir du mal à comprendre » cette saisine, estimant que cette explosion a permis une forme de « libération » dans le procès. Selon lui, son client n’aurait fait que protéger un autre accusé. Mouais… Difficile de défendre l’idée que tabasser quelqu’un dans le box aide à la manifestation de la vérité.
La douleur des familles : l’autre visage du drame
Du côté de la partie civile, on préfère parler de souffrance extrême. L’avocat de Fouad – celui qui a pris les coups dans le hall – est clair : ces violences sont « la pire expression possible de la douleur d’une famille en deuil ». Et pourtant, son client refuse de porter plainte. Un choix fort, presque bouleversant. Comme si, dans ce contexte, la vengeance n’avait plus de sens.
Cette retenue dit beaucoup sur l’état d’esprit de certaines familles touchées par ces drames. Elles savent que la spirale de violence ne s’arrête jamais vraiment. Elles préfèrent laisser la justice – la vraie – faire son travail, même si elle est lente, même si elle est imparfaite.
Un verdict sous très haute tension
Le procès s’est poursuivi dans une atmosphère électrique. Huis clos partiel, renforcement policier massif, fouilles systématiques. Le jour du verdict, la salle était bondée, l’air irrespirable. Quand les peines sont tombées – jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle pour le tireur –, les insultes ont fusé. Elijah a même crié son innocence une dernière fois. Réponse de la salle ? Cris, menaces, larmes.
- Un acquittement sur cinq accusés
- Quatre condamnations pour assassinat
- Peines allant de 9 à 30 ans de prison
- Une cour qui insiste : « La mort de Mansour est le résultat d’un choix collectif »
Trente ans. C’est énorme. Et en même temps, quand on pense à un jeune homme fauché en pleine rue, deux balles dans le dos, on se dit que rien ne ramènera jamais l’équilibre.
Ces violences en procès : un phénomène qui s’aggrave ?
Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Ces dernières années, les tribunaux constatent une montée inquiétante des incidents. Rixes entre bandes dans les couloirs, menaces contre les magistrats, bagarres dans le box… À Bobigny, à Nanterre, à Paris, les exemples se multiplient.
Les raisons ? Une judiciarisation croissante des conflits de quartier, des accusés de plus en plus jeunes, une culture du « no snitch » poussée à l’extrême, et parfois une sécurité débordée. Résultat : des audiences qui ressemblent parfois plus à des arènes qu’à des temples de la justice.
Les réponses ? Renforcement des effectifs, boxes blindés, extraction immédiate des fauteurs de trouble… Mais on sent bien que l’on colmate plus qu’on ne résout. Car le problème est aussi dehors, dans les cités, dans l’absence de perspectives, dans la loi du plus fort qui remplace trop souvent celle de la République.
Et maintenant ?
L’enquête sur les violences du 1er décembre suit son cours. Des images de vidéosurveillance existent, des témoins aussi. Il y aura sans doute des mises en examen supplémentaires, des peines complémentaires. Mais au-delà des sanctions, c’est tout un système qu’il faudrait parvenir à apaiser.
Ce procès, avec son lot de cris, de sang et de larmes, nous renvoie une image brutale de notre société. Une image où la justice tente, tant bien que mal, de tenir face à des passions qui la dépassent. Et où, parfois, le simple fait de dire la vérité peut déclencher l’enfer.
Alors oui, Elijah a pris 30 ans. Oui, les autres écopent de lourdes peines. Mais dans la salle, personne n’a vraiment gagné. Ni les accusés, ni les familles, ni même, peut-être, cette justice qui vacille sous les coups.
Ce genre d’affaire nous rappelle une chose essentielle : derrière chaque dossier criminel, il y a des vies brisées. Des mères qui pleurent, des frères qui serrent les dents, des gamins qui grandissent dans la haine. Et nous, on regarde ça de loin, en se disant que « ça n’arrive qu’aux autres ». Sauf que non. Ça nous arrive à tous, un peu, quand la violence prend le pas sur la raison.
