Imaginez la scène. Il est 13 h 30, l’heure où les enfants courent dans la cour, où les rires fusent et où les cartables traînent par terre. Et soudain, quatre silhouettes surgissent. Trois d’entre elles portent des cagoules. Elles courent, elles rattrapent un jeune homme, elles le frappent. Devant des gamins de 3 à 11 ans. À Nanterre, quartier Pablo-Picasso, au pied des tours Nuages, ça s’est passé comme ça, un mardi de décembre tout à fait ordinaire… jusqu’à ce qu’il ne le soit plus du tout.
J’ai encore du mal à y croire en écrivant ces lignes. Parce que, franchement, on a beau savoir que certains quartiers vivent sous tension permanente, on n’imagine pas que la violence puisse francher aussi facilement la grille d’une école. Et pourtant.
Quand le trafic de drogue s’invite à la récré
Les faits sont simples et glaçants. Vers 13 h 30, quatre individus font irruption dans la cour du groupe scolaire Maxime-Gorki. Trois sont masqués, le quatrième tente désespérément de fuir. Il n’ira pas loin. Les coups pleuvent. Les enfants, eux, restent figés. Certains pleurent, d’autres se cachent derrière les arbres ou les toboggans. Les enseignants hurlent pour essayer de protéger tout le monde, de faire rentrer les petits en classe.
En quelques minutes c’est fini. Les agresseurs repartent aussi vite qu’ils sont arrivés. Ils laissent derrière eux un jeune blessé, des enfants traumatisés et des parents qui, lorsqu’ils viennent récupérer leurs petits le soir, découvrent l’ampleur du choc.
« Ma fille m’a dit : “Maman, ils tapaient très fort, j’ai eu peur qu’ils viennent nous taper aussi.” Elle a 6 ans. Six ans. »
— Une mère de famille, encore bouleversée le lendemain
Un quartier sous pression permanente
Le quartier Pablo-Picasso, tout le monde le sait ici, c’est compliqué. Les tours Nuages, la cité Pablo-Picasso, c’est un secteur où le deal est installé depuis des années. Les points de vente tournent quasiment 24 h/24. Les guetteurs, les nourrices, les clients qui viennent de toute l’Île-de-France… c’est une économie parallèle qui brasse des milliers d’euros chaque jour.
Mais jusqu’à présent, il y avait comme une règle non écrite : l’école, on n’y touche pas. C’était le dernier îlot préservé. Ce mardi-là, cette frontière invisible a explosé.
Et ce n’est pas la première alerte. Il y a quelques mois déjà, des parents signalaient des échanges de drogue juste devant les grilles à la sortie des classes. Des jeunes qui fumaient des joints sur les bancs à côté des poussettes. Des allées et venues suspectes en pleine journée. On parlait, on se plaignait, on remplissait des mains courantes. Mais là, c’est autre chose. C’est l’intrusion pure et dure.
Les enfants, premières victimes collatérales
Le plus dur, c’est sans doute l’impact sur les enfants. Des psychologues de l’Éducation nationale sont venus dès le lendemain pour prendre en charge les classes. Parce que oui, il y a des gamins qui ont fait des cauchemars, qui ne voulaient plus retourner à l’école, qui demandaient à leurs parents si « les méchants allaient revenir ».
- Certains enfants ont décrit la scène avec une précision effrayante, comme s’ils revivaient un film d’action en boucle.
- D’autres, au contraire, se sont complètement fermés, refusant d’en parler.
- Quelques-uns ont même reproduit les gestes violents dans la cour les jours suivants, parce que c’est tout ce qu’ils ont vu ce jour-là.
À 8 ou 9 ans, on n’est pas censé savoir ce qu’est un règlement de comptes. On est censé apprendre à lire, à compter, à partager son goûter. Pas à se cacher derrière un mur parce que des adultes se battent comme dans un mauvais film.
Les parents entre colère et impuissance
Le soir même, ça a été la stupeur. Les groupes WhatsApp des parents ont pris feu. Tout le monde voulait comprendre, tout le monde voulait des réponses. Une réunion d’urgence a été organisée avec la direction, la mairie, la police. Et là, la colère a éclaté.
« On paie des impôts, nos enfants vont à l’école publique, et on doit avoir peur qu’un dealer vienne régler ses comptes dans la cour ? C’est quoi ce délire ? »
Beaucoup de parents pointent du doigt l’absence de surveillance renforcée malgré les signalements répétés. D’autres parlent carrément de déménager, même si c’est compliqué financièrement. Parce que oui, dans ce quartier, il y a aussi des familles qui n’ont pas les moyens de partir, qui font avec, qui essaient de protéger leurs enfants comme ils peuvent.
La réponse des autorités : trop peu, trop tard ?
La mairie a réagi vite, il faut le reconnaître. Renforcement immédiat de la police municipale aux abords de l’école, installation de nouvelles caméras, promesse de rondes plus fréquentes. L’académie a dépêché une cellule psychologique. Sur le papier, tout est fait.
Mais dans les faits ? Beaucoup de parents restent sceptiques. Parce que les caméras, il y en avait déjà. Parce que les rondes, elles passent parfois, mais pas toujours aux bons moments. Parce que le problème, il est plus profond que quelques patrouilles supplémentaires.
Le vrai sujet, c’est le trafic lui-même. Tant qu’il y aura des dizaines de milliers d’euros qui circulent chaque semaine à deux pas de l’école, il y aura des risques de débordement. Les règlements de comptes, les intimidations, les fusillades même – oui, il y en a déjà eu dans le quartier – tout ça fait partie du « business ».
Et maintenant, on fait quoi ?
La question qui brûle toutes les lèvres, c’est celle-là. Parce que fermer les yeux, dire « c’est la banlieue, c’est comme ça », ce n’est plus possible quand ça touche directement les enfants.
Certains parlent de fermer carrément l’école le temps que les choses se calment – idée vite abandonnée. D’autres réclament une présence policière permanente dans l’enceinte, ce qui pose évidemment question sur le climat que ça installerait pour les petits. Il y a ceux qui veulent des travaux pour condamner certaines entrées, rendre l’école plus hermétique. Et puis il y a ceux qui disent qu’il faut frapper le trafic à la racine, avec des moyens bien plus importants.
Ce qui est sûr, c’est que cet événement a agi comme un électrochoc. Dans le quartier, on commence à parler plus fort. Des collectifs de parents se montent. Des habitants qui, jusqu’ici, baissaient la tête, commencent à dire stop.
Un symptôme d’un mal bien plus large
Ce qui s’est passé à l’école Maxime-Gorki, ce n’est pas un « incident isolé ». C’est le énième épisode d’une guerre souterraine qui pourrit la vie de milliers de familles en Île-de-France. On pourrait citer dix autres quartiers où la situation est similaire, où les enfants grandissent avec le bruit des deals et la peur au ventre.
Et le pire, c’est qu’on a l’impression que tout le monde s’est habitué. Les pouvoirs publics gèrent au coup par coup. Les médias en parlent quand ça pète vraiment fort. Et puis on passe à autre chose. Sauf que là, ça a pété dans une cour d’école. Et ça, ça change tout.
Parce que toucher à l’école, c’est toucher au dernier sanctuaire.-toi. C’est dire aux enfants : même ici, vous n’êtes plus en sécurité. Et ça, c’est inacceptable.
Alors oui, il y aura des caméras en plus, des patrouilles en plus, des cellules psycho en plus. Mais tant que le trafic continuera à gangrener le quartier, le risque restera. Et un jour, peut-être, ça sera pire.
En attendant, les enfants de Maxime-Gorki essaient de retrouver le goût de la récré. Certains sourient à nouveau. D’autres regardent encore derrière eux quand ils courent. Et ça, ça fait mal.
Ce qui s’est passé à Nanterre n’est pas qu’une anecdote de faits divers. C’est un signal d’alarme. Un de plus, mais peut-être celui qui fera enfin bouger les lignes. Parce que non, on ne peut pas accepter que des enfants de 6 ans assistent à des règlements de comptes. Point final.
