Imaginez la scène : vous êtes au Stade Océane, match tranquille de Ligue 2 entre Le Havre et le Paris FC, score vierge, ambiance plutôt bon enfant… Et soudain, dans le parcage visiteurs, ça part en vrille entre ceux qui sont censés soutenir le même maillot. Quelques coups, des insultes, des fumigènes balancés pour couvrir la honte, et puis le vide : un des deux groupes quitte la tribune avant même la mi-temps. Franchement, qui l’aurait cru pour un club comme le Paris FC, souvent cité en exemple pour sa gestion apaisée des supporters ?
Et pourtant, c’est bien arrivé ce dimanche. Les deux principaux mouvements ultras parisiens, le Old Clan et les Ultras Lutetia, se sont affrontés physiquement pendant quelques secondes qui ont paru une éternité pour ceux qui étaient sur place. Le club n’a pas attendu vingt-quatre heures pour réagir : convocation des leaders dès le mardi, promesse de sanctions exemplaires et discours sans ambiguïté de la direction. On va essayer de comprendre ce qui s’est vraiment passé, pourquoi ça a dégénéré, et surtout ce que cela dit de plus profond sur la gestion des groupes ultras en France.
Quand les ultras du même club se tapent dessus
Pour ceux qui suivent le Paris FC de loin, l’image renvoyée est souvent celle d’un club familial, presque sage comparé au mastodonte PSG de l’autre côté du périphérique. Charléty, 20 000 places, ambiance populaire mais rarement explosive, et des supporters plutôt fiers de porter les couleurs d’un « vrai » club parisien ». Sauf que, comme partout ailleurs, il existe plusieurs sensibilités dans les tribunes.
Le Old Clan, c’est le groupe historique, créé au début des années 2010, plutôt ancré à droite sur l’échiquier des tribunes, connu pour ses tifos très travaillés et son attachement viscéral au club. Les Ultras Lutetia, plus récents (2018), se revendiquent plus « mentaux », avec une identité très marquée autour de la culture ultra à l’italienne : chants non-stop vocal, déplacements massifs, parfois des prises de position plus radicales. Deux philosophies qui cohabitaient jusqu’ici sans trop de heurts… jusqu’à ce fameux dimanche normand.
On est très attentifs depuis l’origine du Paris FC sur le terrain de la violence, ce n’est pas toujours facile (…) Il y a eu quelques incidents hier entre nos ultras qui nous peinent beaucoup et qu’on va traiter de façon aussi énergique que d’habitude.
Pierre Ferracci, président du Paris FC
Le message est clair : pas question de laisser passer. Pierre Ferracci et Antoine Arnault (directeur général) sont même allés devant le parcage quelques minutes après l’incident pour signifier leur mécontentement. Geste rare, presque paternaliste, mais qui montre à quel point le club prend l’affaire au sérieux.
Que s’est-il réellement passé au Stade Océane ?
Les versions divergent, comme toujours dans ce genre d’histoire. Selon plusieurs témoins présents dans le parcage, tout serait parti d’une banale histoire de placement et de chants. L’un des groupes aurait reproché à l’autre de ne pas assez animer, ou au contraire de trop empiéter sur son espace vocal. Les esprits s’échauffent, quelques insultes, un fumigène balancé « pour l’ambiance » atterrit mal, et ça dégénère en bousculade.
En moins de trente secondes, les stadiers séparent les deux clans. Bilan : aucun blessé grave, mais une image désastreuse et surtout un groupe – le Old Clan – qui choisit de quitter le parcage en bloc avant la mi-temps, laissant les Ultras Lutetia seuls jusqu’à la fin du match. Symbole fort, presque humiliant pour ceux qui restent.
Ce qui choque le plus ? Le lieu et le timing. Se battre dans le parcage visiteur, devant les supporters adverses et les caméras de surveillance, c’est prendre le risque de tout perdre : interdictions de stade, dissolution de groupe, retrait de libertés en déplacement. Un suicide collectif, en somme.
Pourquoi maintenant ? Les tensions couvaient depuis longtemps
Pour être honnête, ceux qui fréquentent régulièrement Charléty le savaient : ça grinçait depuis plusieurs mois entre les deux groupes. Concurrence sur les tifos, sur qui anime le mieux la tribune Auteuil (oui, même à Charléty il y a une « Auteuil »), sur la gestion des déplacements ou même sur la ligne éditoriale des communiqués. Rien de bien méchant sur le papier, mais dans le microcosme ultra, ces détails deviennent vite des guerres de tranchées.
Le Paris FC monte en puissance sportivement et structurellement ces dernières années : nouveau centre d’entraînement, projet de stade, ambition Ligue 1… Tout cela attire aussi plus de monde en tribune, donc plus de tensions potentielles. Plus le club grandit, plus les ego grandissent avec.
- Rivalité sur l’animation vocale et les tifos
- Divergences idéologiques (même si les deux groupes restent dans un spectre plutôt « traditionaliste »)
- Concurrence sur les déplacements (qui prend le capot, qui gère le bus…)
- Frustration accumulée après plusieurs mois de cohabitation forcée en parcage réduit
Autant de petites braises qui n’attendaient qu’une étincelle. Elle est tombée au pire moment.
La réponse du club : tolérance zéro ou dialogue de sourds ?
Le Paris FC a toujours prôné une politique plutôt souple avec ses supporters : pas d’interdiction de matériel pyro à outrance, dialogue régulier avec les responsables de groupes, déplacements maintenus même après des incidents mineurs. Une approche qui a plutôt bien fonctionné jusqu’ici.
Mais là, le club semble avoir changé de ton. Convocation immédiate des leaders, promesse de sanctions individuelles et collectives, menace implicite de retrait de certaines libertés (abonnements tribune, déplacements organisés…). Certains parlent même, en off, de possibles interdictions de stade à titre conservatoire dans les prochains jours.
On va mettre au pas ceux qui ont fauté. On ne peut pas accepter ça, surtout entre supporters du même club.
Un proche de la direction (anonyme)
Est-ce que cette fermeté va calmer le jeu ou au contraire radicaliser certains ? L’histoire des tribunes françaises nous a appris que la répression pure et dure conduit parfois à l’effet inverse : des groupes qui se durcissent et passent dans la clandestinité.
Et maintenant ? Vers une tribune apaisée ou une guerre froide durable ?
À court terme, le prochain match à domicile contre Quevilly-Rouen Métropole (le 14 décembre) sera scruté de près. Est-ce que les deux groupes viendront ? Dans quelle tribune ? Avec quel matériel ? Le club a déjà prévenu : tout incident supplémentaire sera sanctionné immédiatement.
Certains supporters historiques espèrent même une médiation externe, comme cela s’était fait à Saint-Étienne ou Lens dans le passé. D’autres, plus radicaux, parlent déjà de boycott si « leur » groupe est trop sanctionné. Autant dire que la paix des tribunes est loin d’être acquise.
Ce qui est sûr, c’est que le Paris FC se trouve à un tournant. Continuer à grandir sans exploser en vol, c’est aussi apprendre à gérer ces passions contraires qui font la richesse – et la dangerosité – du football populaire. Car au final, ces ultras, même quand ils se battent entre eux, restent ceux qui font vivre le club au quotidien. Les sanctionner oui, mais sans les tuer, tel est l’équilibre impossible.
Affaire à suivre, donc. Très étroitement.
Et vous, vous en pensez quoi ? Est-ce que le club doit frapper fort pour l’exemple, ou privilégier le dialogue ? Les commentaires sont ouverts… mais on reste cool entre nous, hein ? 😉
