Imaginez la scène : un jeune homme de 18 ans décide, un soir de 2012, de foncer avec une voiture-bélier sur la porte de la sous-préfecture de Corte. Explosion, fumée, sirènes. Huit ans de prison plus tard, le voici adoubé par Marine Le Pen pour diriger la liste du Rassemblement National aux municipales de Bastia. Vous avez dit étonnant ? C’est peu dire.
Cette histoire, aussi incroyable soit-elle, est pourtant bien réelle. Et elle dit beaucoup, peut-être trop, sur l’évolution stratégique du principal parti d’opposition français à l’approche des municipales 2026.
Une alliance qui fait grincer des dents
L’annonce a été officialisée il y a quelques jours seulement, mais l’accord était dans les tuyaux depuis plusieurs semaines. Nicolas Battini, figure du mouvement nationaliste corse Mossa Palatina, portera les couleurs d’une liste d’union avec le RN dans la préfecture de Haute-Corse. Un mariage que peu d’observateurs avaient vu venir.
Ce qui choque ? Le passé judiciaire du candidat. En 2012, alors qu’il n’avait même pas vingt ans, Battini participe à un attentat à la voiture-bélier. Résultat : huit ans de prison ferme, six réellement purgés. À sa sortie en 2019, il reste inscrit plusieurs années au fichier des auteurs d’infractions terroristes. Autant dire que son CV n’a rien d’un long fleuve tranquille.
« Je l’ai rencontré, c’est un garçon qui mérite d’être connu parce qu’il a des idées qui sont vraiment très solides »
Marine Le Pen, décembre 2025
La phrase est signée Marine Le Pen elle-même. Et elle a de quoi laisser pantois quand on se souvient que Jordan Bardella, président du parti, jurait il y a encore quelques mois n’investir que des candidats au casier judiciaire vierge. Visiblement, les principes ont parfois des exceptions corses.
« Il a renoncé à la violence » : l’argument de la rédemption
Face à la polémique qui montait, la patronne du RN a choisi la carte de la réinsertion. Selon elle, Battini a été « aspiré dans une spirale de violence » à une époque où, en Corse, certains pensaient encore que la bombe était un moyen légitime de se faire entendre. Aujourd’hui, il aurait tourné la page.
« Il a payé sa dette à la société » résument certains cadres du parti. Un autre va plus loin : « On peut être pyromane à 18 ans et pompier à 30 ». L’image est forte, presque trop. Elle sous-entend qu’un passé terroriste peut devenir, avec le temps, un atout politique.
D’ailleurs, Battini lui-même joue cette carte à fond. Depuis sa sortie de prison, il répète qu’il a changé, qu’il croit désormais à la voie démocratique. Et force est de constater que son discours actuel, très axé identité corse et souveraineté populaire, colle plutôt bien avec certaines thématiques portées par le RN version 2025.
Bastia, terre de conquête nationale-populiste ?
Pourquoi Bastia ? Tout simplement parce que la ville représente un symbole. Deuxième agglomération de l’île, bastion historique du nationalisme modéré, elle n’a jamais vraiment basculé à l’extrême droite. Mais les temps changent.
Ces dernières années, le RN a progressé partout en Corse, profitant du désamour envers les partis traditionnels et d’une droitisation sensible de l’électorat sur les questions d’immigration et de sécurité. Lors des dernières législatives, Battini lui-même, sous une étiquette purement nationaliste, avait déjà frôlé les 5 % dans la circonscription. Preuve que le terrain est fertile.
- Rejet croissant des partis parisiens
- Montée des préoccupations identitaires
- Désillusion vis-à-vis des élus autonomistes actuels
- Volonté de « parler vrai » sur l’immigration
Tous ces ingrédients font de Bastia un laboratoire grandeur nature. Si l’expérience fonctionne, d’autres villes corses pourraient suivre. Et pourquoi pas, à terme, Ajaccio ?
Un précédent qui dérange… même à droite
Ce qui frappe, c’est le contraste avec d’autres dossiers. Prenons l’exemple d’un maire sortant du Var, accusé de corruption : le RN lui retire immédiatement l’investiture et le pousse vers la sortie. Pour Battini, condamné pour terrorisme, on ferme les yeux. Cherchez l’erreur.
À gauche, on crie au scandale. À droite modérée, on s’étrangle. Même certains électeurs historiques du RN avouent leur malaise. « Soutenir quelqu’un qui a fait de la prison pour terrorisme, c’est un pas que je ne franchirai pas » confiait récemment un sympathisant varois à un ami.
Mais dans le même temps, d’autres applaudissent la « réalpolitik ». Parce qu’en politique, gagner reste le seul critère qui compte vraiment. Et si pour gagner Bastia il faut serrer la main d’un ancien du FLNC nouvelle génération, eh bien… on la serre.
Et maintenant ?
À six mois du scrutin, plusieurs scénarios sont possibles.
- Battini crée la surprise et arrive en tête au premier tour, obligeant tout le monde à recomposer
- Il fait un score honorable (15-20 %) et devient faiseur de roi au second tour
- La polémique nationale plombe la campagne et il reste cantonné sous les 10 %
Personnellement, je penche pour la deuxième hypothèse. Battini a un vrai socle chez les jeunes nationalistes déçus et chez une partie de l’électorat populaire qui en a marre des « beaux parleurs ». Avec le soutien logistique et financier du RN, il peut faire mal.
Mais l’aspect le plus intéressant n’est pas là. Ce qui se joue à Bastia, c’est la capacité du RN à normaliser des alliances autrefois impensables. Après les anciens communistes, les chevènementistes, voici venu le temps des repentis du terrorisme corse ?
Si cette stratégie paye, attendez-vous à voir fleurir ce genre d’unions dans d’autres régions où l’identité locale est forte et où le RN peine à percer seul : Pays basque, Bretagne, Alsace… La boîte de Pandore est ouverte.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Un ancien condamné pour terrorisme peut-il légitimement prétendre diriger une grande ville française ? Ou bien la realpolitik justifie-t-elle tous les compromis ?
Une chose est sûre : les municipales 2026 risquent d’être passionnantes. Et pas seulement en Corse.
Note : cet article n’engage que son auteur et reflète une analyse personnelle des faits publics connus à ce jour.
