Imaginez-vous un matin d’hiver, brume légère sur le golfe du Morbihan, le bruit discret des vagues qui lèchent les parcs à huîtres… Et au milieu de tout ça, un ancien gardien de but international qui remplit tranquillement ses bourriches. Non, ce n’est pas le début d’un film feel-good un peu trop parfait. C’est simplement la nouvelle vie de Benoît Costil.
À 38 ans, celui qui a gardé les cages de Rennes, Bordeaux ou encore Auxerre pendant plus de quinze saisons a rangé les crampons pour de bon après une dernière pige en Italie. Mais arrêter le foot pro ne veut pas dire arrêter de vivre intensément. Loin de là.
Un Breton d’adoption qui a fini par dépasser les locaux
« Je suis devenu plus breton que les Bretons », lâche-t-il avec ce sourire franc qu’on lui connaissait déjà sur les pelouses. Et franchement, quand on voit le parcours, on veut bien le croire. Arrivé en prêt à Rennes à tout juste 21 ans, le gamin de Caen n’imaginait pas que cette région allait devenir sa maison pour toujours.
Six saisons sous le maillot rouge et noir, des vacances en caravane entre Quiberon et Crozon étant petit, des copains locaux… Le virus breton était déjà là. Mais c’est vraiment à l’approche de la retraite sportive que tout s’est accéléré. Les virées en bateau, les apéros qui s’éternisent, les discussions sur « ce qu’on fera après »… Et puis un jour, lors d’une sortie dominicale, glacière bien remplie évidemment, le regard qui tombe sur un chantier ostréicole abandonné depuis vingt ans.
« On refaisait le monde, on parlait avenir et de l’envie de monter une affaire ensemble. »
Philippe Le Pelvé, l’ami vannetais devenu associé
Ahoy : quand un salut marin devient un nom de marque
Le projet aurait pu s’appeler autrement. Au départ, les deux compères cherchaient plutôt une guinguette, un petit resto les pieds dans l’eau. Mais la loi littoral en a décidé autrement. Alors quand cette huîtrière abandonnée est apparue, ils n’ont pas hésité longtemps.
Le nom ? Ahoy. Simple, marin, efficace. Un salut qu’on se lance entre bateaux, parfait pour une aventure qui démarre entre potes. Benoît Costil avance une grosse partie du financement, ils trouvent Simon Picard, jeune ostréiculteur talentueux de 30 ans, et c’est parti.
Aujourd’hui, l’exploitation compte deux zones dans le golfe : un secteur avec des courants doux qui mêlent eau douce et salée, et un autre, plus exposé, baptisé « la Jument », où les huîtres prennent un sacré caractère. Résultat : deux goûts bien différents, tous les deux iodés, charnus, exactement ce qu’on attend d’une belle creuse bretonne.
- Quatre hectares de parcs actuellement
- Environ 20 tonnes produites par an
- Potentiel réel : le triple, voire plus
- Huîtres de 3 ans, calibres 3 et 4 principalement
Des waders à la place des crampons
Le plus surprenant ? Il y va vraiment. Presque tous les jours, surtout avec les fêtes qui approchent. Le coffre de sa Smart est rempli de cuissardes, les gants de gardien ont laissé place à ceux, bien épais, pour manipuler les poches d’huîtres.
Il sait déjà reconnaître un calibre 3 d’un 4 les yeux fermés, connaît le cycle exact de l’huître, et envisage sérieusement de passer son diplôme professionnel pour pouvoir prendre seul le chaland quand il faudra. On est loin du cliché du footballeur retraité qui se contente de poser son nom sur une étiquette.
Et quand il n’est pas dans l’eau, il est derrière le bar de la cabane rénovée. 120 m², une terrasse qui donne l’impression de manger directement dans le golfe, quelques tables à l’intérieur quand le vent se lève. Douzaine à 15 euros avec un petit muscadet, quelques langoustines ou bulots pour accompagner… L’esprit est clair : convivialité, produit brut, zéro chichi.
Le foot toujours là, mais autrement
Ne croyez pas qu’il a tourné la page complètement. Le ballon, il l’a encore dans la peau. Licence vétérans à Carnac, il joue piston sur les côtés, « juste pour le plaisir et la troisième mi-temps ». Sur RMC, il donne son avis chaque semaine, toujours avec bienveillance. Et il répond présent dès qu’un ancien appelle pour un match caritatif ou un stage gardiens.
Même son engagement au Vannes OC n’est pas anodin. Quand il revient d’Italie en 2024, le club est au bord du gouffre. Avec deux anciens de Rennes, ils reprennent tout en main : direction, commercial, entraînement des gardiens… Aujourd’hui le VOC respire de nouveau en National 3.
Les copains footballeurs viennent déjà goûter
Yoann Gourcuff, Laurent Koscielny, Benjamin André, Christophe Jallet… La liste des visiteurs commence à s’allonger. Forcément, quand tu sais que tu vas manger des huîtres à 50 mètres de l’endroit où elles ont grandi, avec un ancien coéquipier qui te fait la douzaine lui-même, tu fais le déplacement.
Le milieu du foot commence à parler d’Ahoy. Récemment, les salons du Roazhon Park ouvraient leurs portes à la marque lors d’un Rennes-Monaco. Le bouche-à-oreille fonctionne à plein régime, même jusqu’au Texas apparemment.
« Je ne m’invente pas une vie, je vis la mienne comme j’ai envie. J’ai jamais été dans le bling-bling du foot. »
Benoît Costil
Une reconversion qui fait du bien au foot français
Dans un monde où trop d’anciens joueurs se perdent après la fin de carrière – investissements hasardeux, dépression, retour forcé à la réalité –, voir un mec comme Costil se lever à 5 h du matin pour aller retourner des poches d’huîtres, ça fait un bien fou.
Pas de franchise de restaurant impersonnelle, pas de fonds qatari douteux, pas de télé-réalité. Juste un gars qui a aimé la Bretagne, qui a eu un coup de cœur pour un bout de littoral, et qui a bossé pour le faire revivre. Avec ses potes, avec ses valeurs.
Et quelque part, c’est aussi une belle réponse à tous ceux qui pensent que le foot pro formate des robots déconnectés. Non, certains restent fidèles à ce qu’ils sont. Des gars simples, travailleurs, qui aiment le contact, la mer, le produit bien fait.
Alors oui, Benoît Costil est peut-être devenu plus breton que les Bretons. Mais surtout, il est devenu un exemple. Preuve que la reconversion, quand elle est pensée, sincère et passionnée, peut être une des plus belles victoires d’une carrière.
Et si demain vous passez du côté de Baden, faites un détour par Ahoy. Vous risquez de croiser un ancien international en bonnet de marin qui vous ouvrira lui-même votre douzaine. Et là, vous comprendrez pourquoi certains gardiens, même loin des projecteurs, continuent de marquer des buts… dans la vraie vie.
PS : il parait qu’il apprend à ouvrir les huîtres plus vite. Mais pour l’instant, patience, il prend encore son temps. Comme sur un penalty.
