L’autre jour, en traversant la campagne normande, j’ai réalisé un truc qui m’a serré le cœur. Pas une seule hirondelle. Rien. Juste le vent dans les peupliers et un silence bizarre là où, enfant, on entendait leurs cris joyeux toute la journée. Et pourtant, à quelques centaines de kilomètres, en Camargue, les flamants roses sont si nombreux qu’on dirait une mer rose qui ondule. Comment est-ce possible ? Pourquoi certaines espèces s’écroulent pendant que d’autres, parfois au bord de l’extinction, font un retour fracassant ?
C’est la question que tout le monde se pose, et les dernières études sont formelles : tout se joue sur quelques facteurs clés, souvent liés à nos choix de société. Alors prenons le temps de décortiquer ça tranquillement, sans jargon, avec des exemples concrets. Parce que comprendre, c’est déjà agir.
Le grand écart de la biodiversité : perdants et gagnants
Commençons par le plus dur à entendre. Certaines espèces ont perdu jusqu’à 80 % de leurs effectifs en trente ans. Oui, 80 %. C’est énorme. Et ce ne sont pas des bestioles rares dans des coins perdus de la planète. Ce sont nos voisins de tous les jours.
Les hirondelles rustiques : l’effondrement silencieux
Les hirondelles de cheminée, celles qui nichent sous les avant-toits, ont vu leur population divisée par trois, parfois par quatre selon les régions. Pourquoi ? Parce que tout leur écosystème s’est effrité.
D’abord, les insectes. Elles se nourrissent exclusivement d’insectes volants. Or, avec l’usage massif d’insecticides et la disparition des haies, il n’y a plus rien à manger. Une hirondelle, c’est 850 grammes d’insectes par jour pour nourrir une couvée. Imaginez le désert alimentaire que c’est devenu.
Ensuite, les lieux de nidification. Les vieilles granges sont rénovées, les étables deviennent des lofts, les trous dans les murs sont bouchés pour l’isolation. Résultat : plus de maison. Et quand elles migrent, elles trouvent des bâtiments neufs, lisses, sans prise. Triste, non ?
« On a perdu l’habitude de cohabiter. Avant, une hirondelle dans la cour, c’était signe de chance. Aujourd’hui, c’est vu comme une salissure. »
– Un ornithologue de terrain que j’ai croisé récemment
Le moineau friquet : disparu des champs
Le moineau friquet, ce petit brun avec sa calotte chocolat, était l’oiseau le plus commun de nos campagnes il y a quarante ans. Aujourd’hui, dans certaines régions, il a pratiquement disparu. Pas migrateur, il reste toute l’année. Donc aucune excuse climatique. Tout vient de l’intensification agricole.
- Disparition des haies et des bosquets où il nichait
- Monocultures immenses sans graines en hiver
- Pesticides qui tuent les insectes dont les poussins ont besoin les premières semaines
- Même les chaumes après moisson sont broyés immédiatement, plus de graines au sol
Résultat ? Une chute libre. Et le pire, c’est que personne ne s’en rend vraiment compte, parce qu’on le confond avec le moineau domestique des villes, qui lui, paradoxalement, se maintient plutôt pas mal.
Les espèces qui reviennent : l’espoir existe
Maintenant, respirons un peu. Parce qu’il y a aussi des histoires magnifiques. Des retours qu’on n’osait plus espérer.
Le flamant rose, par exemple. Dans les années 1960, il ne restait presque plus rien en France. Quelques dizaines d’individus en Camargue, c’est tout. Aujourd’hui ? Plus de 20 000 couples nicheurs. Comment ? Grâce à une protection stricte de la zone (réserve naturelle, interdiction de dérangement, gestion de l’eau) et surtout grâce à la création de l’étang du Fangassier, un site artificiel conçu exprès pour eux dans les années 70. Preuve que quand on veut, on peut.
La mouette rieuse, elle, profite de la protection des zones humides et de l’interdiction du DDT dans les années 70. Elle a reconquis les côtes, les gravières, même certains toits de supermarchés. On l’entend rire partout, et franchement, ça fait du bien.
Ce qui fait vraiment la différence
Alors, qu’est-ce qui sépare les gagnants des perdants ? Trois choses principales, d’après toutes les études récentes.
- La protection légale efficace – Les espèces bénéficiant de réserves, d’arrêtés de protection et de plans de restauration s’en sortent.
- La disponibilité de l’habitat – Zones humides restaurées, haies replantées, prairies permanentes maintenues : ça marche.
- La réduction des pressions directes – Moins de pesticides, moins de chasse illégale, moins de collisions (éoliennes, baies vitrées, voitures).
Et là où ça devient intéressant, c’est que certaines espèces opportunistes (goélands, corneilles, pigeons) profitent même des changements climatiques et de l’urbanisation. Elles s’adaptent. Les autres, plus spécialisées, n’ont pas cette chance.
Et nous, on peut faire quoi à notre échelle ?
On parle souvent des grands plans nationaux, mais franchement, chacun peut agir. Et pas qu’un peu.
Dans mon jardin, j’ai laissé une zone en friche. Résultat : les insectes sont revenus, puis les hirondelles ont suivi. Trois nids cet été. Trois. J’étais comme un gosse.
- Planter des haies champêtres (prunellier, aubépine, troène)
- Laisser une bande enherbée le long des champs ou du jardin
- Poser des nichoirs adaptés (hirondelles, moineaux, chauves-souris)
- Réduire les pesticides, même dans son petit potager
- Éteindre les lumières extérieures la nuit (pollution lumineuse tue les insectes nocturnes)
- Garder son chat à l’intérieur au printemps (un chat tue en moyenne 30 à 50 oiseaux par an)
Rien de révolutionnaire. Juste du bon sens. Et pourtant, multiplié par des milliers de personnes, ça change tout.
Les solutions qui marchent déjà
Il y a des initiatives qui donnent vraiment espoir. Par exemple, le programme “Des terres et des ailes” qui rémunère les agriculteurs pour maintenir des bandes enherbées et des haies. Résultat : +30 % d’oiseaux dans certaines zones en cinq ans.
Ou encore les agriculteurs bio. Chez eux, les populations d’hirondelles et de moineaux se maintiennent, voire augmentent. Preuve que l’agriculture peut être compatible avec la nature quand on accepte de gagner un peu moins, ou différemment.
Et puis il y a les citoyens. Les associations qui posent des milliers de nichoirs artificiels chaque année. Les communes qui retardent la fauche des bords de route jusqu’à fin juillet pour laisser les poussins voler. Les petites actions qui, mises bout à bout, font basculer la tendance.
« On a cru pendant longtemps que la nature s’adapterait toute seule. On sait maintenant que non. Elle a besoin de nous. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’elle rebondit très vite quand on lui donne un coup de main. »
– Un responsable de réserve naturelle
Alors oui, les hirondelles pleurent encore un peu. Mais si on agit tous, ensemble, elles pourraient bientôt chanter à nouveau. Et ça, ça vaudrait toutes les victoires du monde.
Parce qu’au fond, la biodiversité, ce n’est pas qu’une histoire d’oiseaux. C’est notre histoire. Celle d’un monde où l’on accepte encore d’entendre le rire d’une mouette ou le cri d’une hirondelle qui rentre d’Afrique. Et ça, ça n’a pas de prix.
