Vous est-il déjà arrivé de regarder votre vieux four avec une pointe de nostalgie en vous disant qu’il venait peut-être d’une usine française ? Moi oui, surtout ces derniers jours. Parce que derrière ces appareils qui ronronnent dans nos cuisines depuis des décennies, il y a des centaines de familles qui tremblent pour leur avenir. Et là, en ce début décembre 2025, l’histoire de Brandt prend un tournant que personne n’avait vraiment anticipé.
Quand une marque centenaire vacille sur le bord du précipice
Imaginez un peu : une entreprise qui fabrique des cuisines depuis plus de cent ans, qui a survécu à deux guerres mondiales, aux Trente Glorieuses, à la concurrence asiatique… et qui pourrait bien disparaître à cause d’une crise immobilière. C’est absurdement cruel, non ? Pourtant c’est exactement ce qui arrive à ce fleuron de l’électroménager hexagonal.
Près de 750 personnes travaillent encore dans les quatre sites français. Deux usines en région Centre-Val de Loire, à Orléans et Vendôme, spécialisées dans les appareils de cuisson. Un centre de service après-vente dans le Val-d’Oise. Un siège dans les Hauts-de-Seine. Et surtout, des marques historiques : Vedette, Sauter, De Dietrich. Des noms qui sentent le made in France d’antan.
Le coup de massue du redressement judiciaire
Tout a basculé quand l’entreprise s’est placée en redressement judiciaire. La production est presque à l’arrêt. Les salaires ne pourront plus être payés après mi-décembre. Et surtout, parmi tous les projets de reprise déposés, aucun ne prévoyait de garder les deux usines du Centre-Val de Loire. Autant dire que pour les territoires concernés, c’était la catastrophe assurée.
J’ai discuté avec des gens qui connaissent bien le dossier. Ce qui frappe, c’est la violence du choc. Des sites industriels modernes, des savoir-faire uniques en Europe sur certains types de cuisson… et potentiellement tout à la poubelle parce que le marché du gros électroménager traverse sa pire crise depuis des décennies.
« On est au bord du gouffre, c’est la seule issue pour sauver des emplois »
– Un représentant syndical du groupe
La Scop : cette solution qu’on ressort quand tout le reste a échoué
Et puis est arrivée cette idée : et si les salariés reprenaient eux-mêmes leur outil de travail ? Une Scop, une société coopérative et participative. Le principe est simple sur le papier : les employés deviennent actionnaires majoritaires et dirigent collectivement l’entreprise. En France, on en compte environ 3 500, mais dans l’industrie lourde, c’est plutôt rare.
Ce qui change tout dans ce projet-là, c’est que l’État a décidé de mettre la main à la poche. Pas juste quelques encouragements sympathiques : on parle de cinq millions d’euros d’engagement direct. C’est du jamais vu à cette échelle pour une Scop dans l’industrie.
- Un soutien financier massif de l’État (5 millions annoncés)
- L’appui d’un industriel français connu pour ses reprises réussies
- Une volonté affichée de préserver les sites de production en région Centre
- Environ 300 emplois qui pourraient être sauvés sur 750
Pourquoi maintenant ? La crise qui n’en finit pas
Pour comprendre pourquoi on en est là, il faut remonter un peu. Le gros électroménager, ce n’est pas comme les smartphones. On n’en change pas tous les deux ans. Quand les gens achètent un four ou une plaque de cuisson, c’est souvent parce qu’ils emménagent ou rénovent leur cuisine.
Or depuis 2023, le marché immobilier est en crise profonde. Moins de transactions, moins de constructions, moins de déménagements. Résultat : les ventes d’appareils de gros électroménager ont chuté de près de 4% l’an dernier. Et quand votre chiffre d’affaires dépend à ce point d’un secteur en souffrance…
Le groupe réalise encore 260 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce n’est pas rien. Mais avec la production presque arrêtée et des dettes accumulées, la situation est devenue intenable. D’où le redressement judiciaire et cette course contre la montre avant l’audience décisive.
Le projet Scop en détails : ce qu’on sait vraiment
Concrètement, le projet repose sur plusieurs piliers. D’abord, le soutien d’un groupe industriel français qui connaît bien le secteur alimentaire et la distribution. Ce partenaire ne prendrait pas le contrôle mais viendrait en appui technique et commercial – ce qui est plutôt malin.
Ensuite, les 5 millions de l’État. Ce n’est pas un cadeau : c’est probablement sous forme de subventions, avances remboursables ou prises de participation minoritaire. Mais dans le contexte actuel, c’est une bouffée d’oxygène vitale.
Le chiffre qui circule, c’est environ 20 millions d’euros nécessaires pour relancer vraiment l’activité. Les 5 millions publics ne couvrent donc qu’une partie. Reste à convaincre des investisseurs privés d’ici mercredi. Autant dire que les prochaines 48 heures vont être tendues.
Les questions qui dérangent
Soyons honnêtes : est-ce que 300 emplois sauvés, c’est une victoire ? Évidemment oui, pour les 300 familles concernées. Mais cela signifie aussi potentiellement 450 suppressions de postes. C’est le dilemme terrible auquel sont confrontés les syndicats et les salariés.
« Soit on pense qu’on va pouvoir garder tout le monde, mais il n’y a pas d’avenir, soit on est prêt à accepter un recentrage de la stratégie »
– Le ministre délégué chargé de l’Industrie
Cette phrase est brutale, mais elle a le mérite de la clarté. Il vaut mieux une entreprise plus petite mais viable qu’une disparition totale. C’est la réalité du capitalisme industriel en 2025.
Et si ça marchait vraiment ?
Il y a quand même des raisons d’y croire. Les Scop, quand elles réussissent, c’est souvent parce que les salariés sont ultra-motivés. Ils ne travaillent plus pour enrichir un actionnaire lointain, mais pour leur propre outil de travail. Le taux de survie à cinq ans des Scop est d’ailleurs nettement supérieur à celui des entreprises classiques.
Et puis il y a ce savoir-faire français dans la cuisson haut de gamme. Les marques du groupe ne sont pas n’importe quelles marques discount. Ce sont des produits qui se vendent encore bien en France et à l’export. Avec une gestion plus agile et des coûts mieux maîtrisés, pourquoi pas ?
Ce que cette affaire dit de l’industrie française
Plus largement, cette histoire est un révélateur. Elle montre à quel point notre industrie reste fragile, même pour des secteurs où nous avons des avantages compétitifs réels. Elle montre aussi que l’État est prêt à aller très loin pour préserver des emplois industriels – ce qui n’était pas forcément acquis il y a quelques années.
Et surtout, elle pose la question : avons-nous encore les moyens de nos ambitions industrielles ? Veut-on vraiment une France qui fabrique encore ses propres fours et ses plaques de cuisson en 2030 ? Ou accepte-t-on de tout délocaliser progressivement ?
Mercredi, le tribunal de commerce de Nanterre rendra sa décision. D’ici là, les salariés, les élus locaux, les syndicats, tout le monde retient son souffle. Moi le premier. Parce que derrière les chiffres et les projets industriels, il y a des vies entières qui se jouent.
Et quelque part, dans ma cuisine, mon vieux four Brandt continue de tourner. En espérant qu’il ne sera pas bientôt le dernier témoin d’une époque où la France fabriquait encore ses propres appareils électroménagers.
(Article mis à jour le 1er décembre 2025 – l’issue définitive sera connue après l’audience du tribunal de commerce)
