Vous souvenez-vous des soirées où l’on riait jaune devant les Guignols de l’info ? Cette voix qui faisait trembler les puissants avec trois phrases bien envoyées ? Eh bien figurez-vous que l’un des cerveaux derrière ces marionnettes caustiques a décidé de troquer le latex pour le bulletin de vote. Direction le 7e arrondissement de Paris, s’il vous plaît, rien que ça.
Oui, le très select, le très ministerial 7e. Celui des Invalides, de l’Assemblée, des ambassades et des loyers qui font pleurer même les hauts fonctionnaires. Bruno Gaccio, 68 ans bien tapés et toujours cette gouaille intacte, vient d’être officiellement désigné tête de liste La France insoumise pour les municipales de 2026. Autant dire qu’on passe direct de la télé à la vraie vie, et pas dans n’importe quel décor.
Du plateau de Canal+ aux conseils d’arrondissement : le grand saut
Reprenons depuis le début, parce que l’histoire mérite qu’on s’y attarde. Bruno Gaccio, ce nom vous dit forcément quelque chose si vous avez plus de trente ans et un minimum d’humour politique. Co-créateur et plume historique des Guignols entre 1988 et 2007, il a écrit certains des sketchs les plus cultes de l’histoire de la télévision française. PPD, Chirac qui dit « mangez des pommes », les « oui-oui-ouiiii » de Jospin… c’était lui, ou en tout cas son équipe.
Pendant près de vingt ans, il a été payé pour faire rire en disant tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas. Et puis un jour, il a décidé que rire ne suffisait plus. Que la satire, aussi mordante soit-elle, restait cantonnée au petit écran. Alors il a franchi le pas.
Un engagement qui ne date pas d’hier
Contrairement à certains people qui découvrent la politique le jour où ils cherchent un nouveau projet, Bruno Gaccio n’est pas tombé de la dernière pluie militante. Dès 2012, il cofonde le Collectif Roosevelt avec notamment Stéphane Hessel et Pierre Larrouturou. L’idée ? Proposer quinze réformes concrètes pour sortir de la crise, séparation des banques, taxe Tobin, relance par l’écologie… Du lourd.
L’année suivante, il participe à la création de Nouvelle Donne, ce petit parti de gauche qui voulait renouveler le paysage politique. Le mouvement fera long feu électoralement, mais il rejoindra la Nupes en 2022 puis le Nouveau Front populaire en 2024. Bref, l’homme n’a jamais vraiment raccroché le maillot.
« Je ne supporte plus de voir le pays aller à vau-l’eau pendant qu’on se contente de commenter. Il faut agir. »
– Bruno Gaccio, lors d’un meeting en 2022
2022, l’année du déclic Mélenchon
Le vrai tournant, c’est la présidentielle 2022. Bruno Gaccio intègre alors le Parlement de l’Union populaire, cette assemblée de personnalités venues aider Jean-Luc Mélenchon à peaufiner son programme L’Avenir en commun. Artistes, économistes, syndicalistes, associatifs… 200 personnes au total. Il y retrouve des gens comme Annie Ernaux (prix Nobel de littérature quelques mois plus tard) ou le rappeur Gaël Faye.
Pour la première fois, il n’est plus dans la salle de rédaction mais dans la salle des machines. Il participe à l’écriture de mesures phares : SMIC à 1600 euros, retraite à 60 ans, planification écologique. Et visiblement, l’expérience lui a plu. Tellement plu qu’il a décidé de passer de l’ombre à la lumière.
Pourquoi le 7e ? Justement parce que c’est le 7e
Maintenant, la question que tout le monde se pose : mais qu’est-ce qu’un mec comme Gaccio va faire dans un arrondissement où le revenu médian frôle les 60 000 euros annuels ? Où les électeurs votent à 70 % à droite depuis Pompidou ? Où Rachida Dati règne sans partage depuis 2008 ?
Justement. C’est tout l’intérêt. Choisir le 7e, c’est envoyer un message. C’est dire : même dans les quartiers où l’on pense que la gauche n’a rien à faire, il y a des gens qui galèrent. Des étudiants précaires dans des chambres de bonne minuscules. Des employés de maison logés à l’année par leurs patrons. Des retraités modestes coincés entre les loyers astronomiques et les charges. Et puis il y a tout simplement l’envie de secouer le cocotier.
- Le 7e, c’est 55 000 habitants pour 400 hectares de prestige
- Un revenu moyen qui dépasse de 70 % la moyenne parisienne
- Un taux de pauvreté officiellement bas… mais des invisibles partout
- Des conseils d’arrondissement où l’on débat encore du sens de circulation des calèches
Bruno Gaccio l’a dit lui-même récemment : « Je veux parler à ceux qui n’ont pas l’habitude qu’on leur parle. » Traduction : il ne vient pas pour gagner (même s’il y croit), il vient pour faire bouger les lignes. Pour rappeler que Paris n’est pas seulement le Paris des cartes postales et des ministères.
Un casting qui en dit long sur la stratégie LFI
Il n’est pas seul, évidemment. Sa candidature s’inscrit dans une vague plus large portée par Sophia Chikirou, candidate LFI à la mairie centrale. Fin novembre, elle présentait ses têtes de liste d’arrondissement comme « l’image du nouveau Paris populaire ». On y retrouve pêle-mêle des militants de quartier, des syndicalistes, des associatifs… et donc un ex-Guignol.
Le message est clair : LFI veut incarner une gauche décomplexée, qui n’a plus peur de parler fort, même là où on l’attend le moins. Quitte à provoquer. Quitte à polariser. D’ailleurs, quand on regarde la carte des candidatures, on sent la volonté de créer des symboles forts :
- Le 7e avec Gaccio face à Dati
- Le 8e avec un autre profil surprise
- Le 16e qui devrait suivre le même schéma
C’est une forme de guérilla électorale. On ne gagne peut-être pas l’arrondissement, mais on oblige tout le monde à parler de nous. Et surtout, on plante des graines pour l’avenir.
Les sujets qui fâchent (et qui vont faire campagne)
Alors concrètement, que va défendre Bruno Gaccio dans le 7e ? On a déjà quelques indices. Logement, évidemment : encadrement des loyers renforcé, réquisition de logements vacants (il y en a des centaines appartenant à des ambassades ou à des congrégations), développement du logement social (actuellement à peine 8 % dans l’arrondissement contre 25 % à Paris).
Ensuite, la vie de quartier. Le 7e est connu pour ses marchés chic, mais beaucoup d’habitants déplorent la disparition des petits commerces au profit des boutiques de luxe. Il y aura sans doute un discours sur la préservation du commerce de proximité, la piétonisation de certaines rues, la lutte contre les cars de tourisme qui asphyxient le quartier Gros-Caillou.
Et puis il y a le sujet qui divise à gauche comme à droite : la sécurité. Le 7e est plutôt épargné par la délinquance de rue, mais les cambriolages dans les beaux quartiers font régulièrement la une. Comment une liste LFI va-t-elle se positionner ? Police municipale ou pas ? Vidéo-verbalisation ? On attend les premières sorties avec curiosité.
Rachida Dati, l’adversaire qui ne l’attendait pas là
De l’autre côté du ring, Rachida Dati doit se marrer jaune. Elle qui pensait avoir la partie facile dans son fief imprenable se retrouve avec un adversaire qui a passé vingt ans à la caricaturer à la télé. Ironie de l’histoire. Elle n’a pas encore réagi publiquement, mais on l’imagine déjà affûter ses punchlines.
Car oui, entre l’ex-ministre de Sarkozy et l’ex-auteur de Canal+, il y a de la matière à duel. Deux personnalités fortes, deux parcours atypiques, deux façons radicalement opposées de voir le monde. Ça promet des débats musclés dans les salles des fêtes du 7e.
« Le 7e n’est pas un arrondissement muséifié pour riches. Il y a de la vie, des galères, des espoirs. Et on va en parler. »
Et nous, qu’est-ce qu’on en pense ?
Sincèrement ? J’aime bien l’idée. Pas parce que je suis forcément d’accord avec tout le programme LFI (loin de là sur certains points), mais parce que ça secoue la torpeur. Le 7e avait besoin d’un électrochoc. D’une campagne qui sorte des sempiternels débats sur le stationnement résidentiel et les terrasses de café.
Bruno Gaccio, avec son franc-parler et son passé de trublion, a toutes les chances de mettre les pieds dans le plat. De forcer les habitants à se poser des questions qu’ils n’ont pas l’habitude de se poser. Et ça, déjà, c’est une forme de victoire.
Après, soyons honnêtes : les chances de l’emporter sont minces. Très minces. Le 7e reste un bastion de droite dur comme du granit. Mais parfois, en politique locale, il ne s’agit pas seulement de gagner des sièges. Il s’agit de faire bouger les lignes, d’ouvrir des brèches, de préparer le terrain pour plus tard.
Et quelque part, je me dis que si un ancien Guignol arrive à faire parler du logement social entre la rue de Grenelle et le boulevard des Invalides… eh bien ce sera déjà énorme.
Affaire à suivre. Très sérieusement.
