Vous souvenez-vous de cette sensation, fin décembre, quand tout le monde court après les derniers cadeaux et que, quelque part dans Paris, une poignée de parlementaires décide de l’argent que vous allez payer en impôts l’année suivante ? Cette année, on y est presque. Et franchement, on sent la sueur froide.
Hier, le budget de la Sécurité sociale est passé. Treize petites voix d’avance. Treize. Autant dire un miracle en période de majorité relative. Aujourd’hui, le Premier ministre sort du Conseil des ministres et lâche, avec ce calme qu’on lui connaît : oui, on peut avoir le budget de l’État avant le 31 décembre. Possible, dit-il. Moi, j’ai envie de croire qu’il y croit vraiment. Mais quand on regarde les chiffres et les ego en jeu, on se demande si ce n’est pas surtout une énorme dose d’auto-persuasion.
Un Petit Souffle Après la Sécu, Mais le Vrai Combat Commence
Reprenons depuis le début, tranquillement. Mardi soir, l’Hémicycle a vécu une de ces journées qu’on oublie difficilement. Le texte sur la Sécu – vous savez, celui qui décide combien on cotise, combien on rembourse, combien les hôpitaux toucheront – est adopté sans 49.3. C’est rare. Très rare ces temps-ci. Certains ministres voulaient dégainer l’arme constitutionnelle, mais non. Une « majorité de responsabilité » s’est formée à la dernière minute. Des voix venues d’un peu partout, y compris de gens qui, la veille encore, juraient qu’ils voteraient contre.
Le lendemain matin, lors du Conseil des ministres, le chef du gouvernement a tenu à le souligner devant tout le monde : ce texte n’est « ni dégradé, ni dégradant ». Belle formule. On sent la fierté. Et aussitôt, il enchaîne : l’objectif reste d’avoir le budget complet de la France avant la Saint-Sylvestre. La porte-parole répète le message aux journalistes. Et là, on comprend que la victoire d’hier n’était qu’une mise en bouche.
Pourquoi le Budget de l’État, C’est Une Tout Autre Paire de Manches
La Sécu, c’est déjà énorme. Mais le budget de l’État, c’est le cœur du réacteur. Éducation, défense, police, justice, collectivités, aides diverses… Tout y passe. Et surtout, c’est là que se joue la grande promesse : ramener le déficit public sous les 5 % du PIB en 2026.
Pour y arriver, il manque encore 4,5 milliards d’euros dans les caisses. Oui, vous avez bien lu : 4,5 milliards. Ce n’est pas une paille. C’est à peu près le budget annuel de la recherche française. Ou deux fois celui de la culture. Trouver ça en quinze jours, avec un Parlement éclaté, c’est comme demander à un chat de garder un aquarium.
« Le budget de l’État est plus politique, plus difficile. »
– Une formulation entendue en conférence de presse, et qui résume tout
La Commission Mixte Paritaire : le Vrai Champ de Bataille
Dans les jours qui viennent, tout va se jouer en CMP – commission mixte paritaire. Sept députés, sept sénateurs. Et là, surprise : la droite sénatoriale pèse lourd. Très lourd. Sans eux, rien ne passe. Or, ils ont des exigences. Des grosses. Moins de dépenses ici, plus de baisses d’impôts là, des garanties sur telle ou telle niche fiscale… Et pendant ce temps, à l’Assemblée, les groupes de gauche et d’extrême gauche attendent le moindre faux pas pour crier à la trahison sociale.
Autant dire que la marge de manœuvre ressemble à un fil de rasoir. Et le temps file. La CMP est prévue autour du 19 décembre. Si ça coince – et beaucoup parient que ça va coincer –, eh bien on repart pour un tour. Lectures supplémentaires, navettes, et probablement un report partiel des discussions en janvier.
- Scénario optimiste : accord avant Noël, vote définitif avant le 31, tout le monde trinque au champagne républicain.
- Scénario réaliste : échec de la CMP, loi spéciale pour reconduire les impôts et dépenses 2025, vraies négociations en janvier.
- Scénario catastrophe : blocage total, menace de dissolution, crise de régime… (bon, on n’en est pas là, mais ça murmure dans les couloirs).
Les 4,5 Milliards Qui Font Mal à la Tête
Revenons sur ce chiffre qui revient en boucle : 4,5 milliards. D’où vient-il ? Des engagements pris devant Bruxelles, tout simplement. L’Union européenne nous regarde dans le blanc des yeux et attend qu’on tienne nos promesses de réduction du déficit. Si on loupe l’objectif, sanctions possibles, perte de crédibilité, hausse des taux d’intérêt… Bref, un cercle vicieux qu’on connaît déjà.
Pour trouver ces 4,5 milliards, plusieurs pistes circulent :
- Réduction de certaines niches fiscales (oui, encore…)
- Gel ou diminution de crédits sur quelques ministères
- Report de dépenses d’investissement
- Et, toujours en embuscade, la piste d’une hausse ciblée de prélèvements (mais chut, on n’en parle pas trop fort)
Chaque piste déclenche immédiatement un tollé quelque part. Touchez à la niche diesel des agriculteurs ? Manifestations. Réduisez les crédits culture ? Les artistes dans la rue. Diminuez les aides aux collectivités ? Les maires hurlent. C’est le jeu habituel, mais là, le temps presse comme jamais.
Et Si Ça Ne Passe Pas Avant le 31 ?
Techniquement, la France ne s’arrête pas. Il existe une procédure rodée : la « loi de finances rectificative de fin de gestion » ou, plus simplement, la reconduction des recettes et dépenses de l’année précédente. On l’a déjà fait l’an dernier. Ça permet de payer les fonctionnaires le 15 janvier, de continuer à encaisser l’impôt sur le revenu, etc.
Mais politiquement, c’est une claque. Ça donne l’image d’un pays qui n’arrive plus à se mettre d’accord sur l’essentiel. Et ça nourrit tous ceux qui, à gauche comme à l’extrême droite, rêvent de faire tomber le gouvernement à la première occasion.
« L’évidence, c’est que nous n’y arriverons pas dans les délais. »
– Un leader de l’opposition, mardi soir, avec un sourire en coin
Ce Que Ça Dit de Notre Démocratie en 2025
Au-delà des chiffres, il y a quelque chose de fascinant – et un peu inquiétant – dans cette séquence. On gouverne avec 13 voix d’avance sur un texte majeur. On négocie jusqu’à la dernière seconde. On bricole des majorités de circonstance. Ce n’est plus vraiment la Ve République telle qu’on l’a connue. C’est une forme de parlementarisme à l’italienne, version française.
Certains y voient une richesse : plus de débat, plus de compromis. D’autres une faiblesse : absence de majorité claire, risque permanent de paralysie. Personnellement, je penche pour un entre-deux. Oui, ça oblige à discuter. Mais à force de discuter, on finit parfois par ne plus décider.
Et puis il y a cette question qu’on n’ose pas trop poser : est-ce que, quelque part, tout le monde n’a pas intérêt à faire traîner ? Le gouvernement peut se draper dans la vertu du dialogue. La droite sénatoriale montre qu’elle pèse. L’opposition crie au scandale et se prépare pour 2027. Tout le monde marque son territoire.
Les Prochains Jours Vont Être Passionnants
On entre dans la dernière ligne droite. Les réunions nocturnes vont s’enchaîner. Les téléphones vont chauffer. Les amendements vont pleuvoir. Et quelque part, entre deux couloirs du Palais Bourbon ou du Luxembourg, se jouera une partie de l’avenir du pays pour 2026.
Est-ce que Sébastien Lecornu va réussir son pari ? Franchement, je ne mettrais pas ma main au feu. Mais une chose est sûre : s’il y arrive, ce sera un sacré tour de force. Et s’il échoue, il aura au moins essayé de maintenir l’illusion que tout peut encore se négocier calmement.
En attendant, on regarde le calendrier. Il reste vingt jours. Vingt petits jours pour trouver 4,5 milliards et mettre tout le monde d’accord. Bonne chance à tous. Et joyeux Noël, quand même.
(Article mis à jour le 10 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
