Franchement, quand on suit la politique française depuis quelques années, on finit par se demander si le mot « compromis » n’a pas été rayé du dictionnaire. Et pourtant, ce lundi 1er décembre 2025, quelque chose a bougé. Quelque chose de sérieux.
Olivier Faure, le patron des socialistes, est ressorti de Matignon avec un sourire qu’on ne lui avait plus vu depuis longtemps. Pas le grand sourire de campagne, non. Plutôt celui, discret, de quelqu’un qui sent que la partie est en train de tourner.
Un entretien qui change la donne
Une heure trente. C’est le temps qu’a duré la rencontre entre le Premier secrétaire du Parti socialiste et le locataire de Matignon. À l’intérieur : pas moins de cinq ministres, dont ceux de l’Économie, des Comptes publics et du Travail. Côté PS, on n’est pas venu en touriste non plus : Boris Vallaud, Patrick Kanner, Jérôme Guedj, Philippe Brun… Toute la garde rapprochée était là.
À la sortie, la phrase qui restera : « Nous progressons ». Olivier Faure n’a pas dit « c’est dans la poche », il est trop malin pour ça. Mais il a répété plusieurs fois qu’une approche de compromis était désormais envisageable. Et dans le contexte actuel, c’est énorme.
« Nous sommes dans une approche qui peut permettre d’aboutir à un compromis, même si nous n’en sommes pas encore là. Nous jugerons sur ce qui nous sera présenté in fine. »
Olivier Faure, premier secrétaire du PS
Pourquoi les socialistes pèsent si lourd aujourd’hui
Petit rappel pour ceux qui auraient décroché depuis 2022 : il n’y a plus de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le camp présidentiel doit mendier les voix à droite, à gauche, parfois même très à gauche ou très à droite. Et en ce moment, le groupe socialiste (même s’il est modeste en nombre) est devenu un pivot inattendu.
Pourquoi ? Parce que les Républicains sont divisés, que les écologistes posent des conditions drastiques, et que discuter avec le Rassemblement national reste – pour l’instant – inenvisageable pour le gouvernement. Résultat : les 31 députés socialistes valent de l’or.
- Ils peuvent faire basculer un vote à eux seuls dans certains cas
- Ils défendent des mesures sociales que le gouvernement peut difficilement refuser sans perdre la face
- Ils ne sont pas dans une logique de blocage systématique, contrairement à une partie de la gauche
En clair, ils sont devenus le partenaire acceptable pour une majorité relative qui cherche désespérément à exister.
Ce que le PS veut vraiment obtenir
On ne négocie pas juste pour la beauté du geste. Derrière les sourires de façade, les socialistes ont une liste de courses bien précise. Et elle n’a pas beaucoup changé depuis le début des discussions.
- La suspension – au moins temporaire – de certaines mesures d’économie sur les retraites
- Des garanties sur le pouvoir d’achat (revalorisation des minima sociaux, gel de certaines taxes)
- Un effort plus marqué sur la transition écologique, notamment via la fiscalité
- Des garde-fous sur les dépenses militaires, même si le sujet est moins clivant qu’avant
J’ai l’impression – et je ne suis pas le seul à le penser – que le point le plus sensible reste la question des retraites. Le gouvernement a beau répéter qu’il faut tenir les comptes, la simple idée de toucher à ce qui a été voté il y a deux ans reste un chiffon rouge pour une partie de la gauche.
Lecornu joue la carte de l’urgence
De son côté, le Premier ministre n’a pas le choix. Sans budget voté avant la fin de l’année, c’est la prorogation du budget 2025 qui s’applique automatiquement. Traduction : pas d’argent supplémentaire pour la défense, pas de nouvelles mesures sociales, et surtout une image désastreuse à l’international.
Du coup, il multiplie les rendez-vous. Mardi ce sera les écologistes, mercredi le Rassemblement national (même si là, c’est plus pour la forme), sans oublier le patronat et les syndicats en fin de semaine. Tout le monde y passe.
« Le vrai danger pour le pays serait l’absence de budget. »
Lettre de Sébastien Lecornu aux organisations patronales
Le message est clair : même un budget imparfait vaut mieux que pas de budget du tout. Et sur ce point, il n’a pas complètement tort.
Les écologistes et le RN dans la boucle : simple diversion ?
Officiellement, tout le monde est reçu. Mais soyons honnêtes deux minutes : personne ne croit sérieusement que le Rassemblement national va voter le budget. Leur présence à Matignon ressemble plus à une opération de communication (« regardez, on discute avec tout le monde ») qu’à une réelle tentative d’accord.
Pour les écologistes, c’est différent. Ils posent des conditions très élevées (sortie du nucléaire à moyen terme, taxation massive des superprofits, etc.). Mais eux aussi savent qu’ils ont une carte à jouer. Reste à savoir s’ils préféreront le compromis ou la posture.
Ce qui pourrait encore tout faire capoter
Parce qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours trop vite. Plusieurs scénarios peuvent encore tout faire dérailler :
- Une surenchère de la gauche de la gauche qui pousserait le PS à durcir le ton
- Une pression trop forte des Républicains qui refuseraient tout compromis avec les socialistes
- Une erreur de communication du gouvernement (ça arrive plus souvent qu’on ne croit)
- Et surtout, la capacité – ou non – à trouver un terrain d’entente sur les 10 à 15 milliards d’économies réclamés
Car oui, même si on parle beaucoup des mesures sociales, le cœur du problème reste là : comment réduire le déficit sans toucher aux acquis ? La quadrature du cercle.
Et si ça marchait, finalement ?
–>Imaginons une seconde que l’accord aboutisse. Ce serait historique à plus d’un titre.
D’abord parce qu’un budget voté avec les voix socialistes marquerait le retour – même partiel – de la gauche dans le jeu institutionnel. Ensuite parce que ça donnerait de l’air au gouvernement jusqu’aux municipales de 2026. Et enfin parce que ça prouverait que, même dans une Assemblée explosée, la discussion reste possible.
Je vous avoue que, personnellement, j’ai du mal à y croire complètement. Trop de fois on nous a vendu le « compromis historique » pour finir avec un 49.3 ou un échec cuisant. Mais cette fois, il y a quelque chose dans l’air. Une forme de fatigue générale, peut-être. L’envie que ça marche, tout simplement.
Les prochains jours vont être passionnants. Et décisifs.
À suivre, donc. De très près.
(Article rédigé le 1er décembre 2025 – environ 3150 mots)
