Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, en pleine crise climatique, on continue à subventionner des carburants qui divisent autant les experts ? Hier soir, le Sénat a tranché dans le vif et rejeté la mesure phare du Budget 2026 qui voulait faire disparaître les avantages fiscaux du B100 et de l’E85. Un vote qui fait écho à celui des députés il y a quelques jours. Et franchement, on sent que ça chauffe sévère dans les couloirs de la République.
Un coup de tonnerre dans un budget déjà explosif
Le projet de loi de finances 2026 prévoyait purement et simplement de supprimer le tarif réduit de TICPE dont bénéficie le B100 – ce biogazole 100 % colza très apprécié des transporteurs routiers – et de réduire progressivement l’avantage fiscal du superéthanol E85, ce mélange contenant jusqu’à 85 % d’éthanol issu majoritairement de betterave et de blé. Objectif affiché : récupérer quelques centaines de millions d’euros pour calmer une dette publique qui fait peur à tout le monde.
Mais voilà, les sénateurs, toutes tendances confondues, ont dit non. Pas question de toucher à ces filières sans filet de sécurité. Résultat ? La mesure retoquée, comme à l’Assemblée nationale. On se dirige tout droit vers une commission mixte paritaire incertaine, et peut-être même un nouveau 49.3 d’ici la mi-décembre.
Qu’est-ce qui se cache vraiment derrière ces deux carburants ?
Commençons par le B100. C’est un carburant composé à 100 % d’esters méthyliques d’acide gras de colza. En clair : du colza français transformé en gazole renouvelable. Les flottes captives (bus, camions-bennes, poids lourds d’entreprises) l’adorent parce qu’il fonctionne dans la plupart des moteurs diesel récents sans modification et qu’il coûte nettement moins cher à la pompe grâce à la détaxation.
L’E85, lui, c’est l’autre star des stations-service alternatives. Entre 65 % et 85 % d’éthanol renouvelable mélangé à de l’essence classique. Les véhicules « flex-fuel » d’origine ou les boîtiers de conversion homologués permettent de rouler avec, et là encore, l’avantage fiscal rend le litre parfois 40 à 50 centimes moins cher que le SP95.
« Sans ces aides, le litre d’E85 pourrait grimper de 0,71 € à plus de 1,20 € en quelques mois. »
– Un industriel du secteur, dépité
Pourquoi tout le monde agricole est monté au créneau
La réponse est simple : la France est le premier producteur européen de bioéthanol et le deuxième de biodiesel. Derrière chaque litre de B100, il y a des agriculteurs qui cultivent du colza. Derrière chaque litre d’E85, des betteraviers et des céréaliers. Supprimer les niches fiscales, c’est menacer directement des dizaines de milliers d’emplois et une filière qui pèse plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Le puissant monde agricole a fait bloc. Manifestations de tracteurs devant les raffineries, communiqués incendiaires, lobbying intense dans les couloirs du Parlement… Tout y est passé. Et visiblement, ça a marché.
- Plus de 800 000 hectares de colza dédiés à la production de biodiesel
- Près de 500 000 hectares de betteraves pour l’éthanol
- 26 usines de transformation sur le territoire
- Des milliers d’emplois directs et indirects en zone rurale
Toucher à ça en période de tension sociale, c’était jouer avec le feu. Les parlementaires l’ont bien compris.
Mais alors, ces biocarburants sont-ils vraiment écologiques ?
C’est là que ça devient passionnant. À leur lancement, dans les années 2000-2010, on nous les vendait comme la solution miracle : 50 à 70 % de réduction de CO2 par rapport aux carburants fossiles. Sauf que depuis, la science a évolué.
Plusieurs études, dont un rapport accablant de la Cour des comptes européenne en 2023, ont montré que ces chiffres étaient souvent largement surestimés. Pourquoi ? Parce qu’on oubliait de compter le changement d’affectation des sols. Quand on transforme une prairie ou une forêt en champ de colza, le bilan carbone devient parfois négatif pendant des décennies.
J’ai personnellement été choqué de découvrir que certains chiffres : selon le mode de calcul (avec ou sans changement d’usage des terres), les réductions d’émissions peuvent passer de 70 %… à moins de 20 % !
Vers la deuxième et troisième génération : la vraie solution ?
L’Union européenne a pris le problème à bras-le-corps. Depuis quelques années, elle pousse les biocarburants dits « de deuxième génération » : ceux fabriqués à partir de résidus agricoles (paille, tiges), de déchets alimentaires ou forestiers. Leur bilan carbone est bien plus flatteur : jusqu’à 90 % de réduction selon certaines estimations.
En France, on commence à voir le bout du tunnel. En 2024, ces biocarburants avancés représentaient déjà 22 % du biodiesel et 31 % du bioéthanol consommés. C’est encourageant, mais encore insuffisant pour remplacer totalement les filières classiques.
Et puis il y a la « troisième génération » : des micro-algues ou des bactéries capables de produire du carburant sans occuper un seul mètre carré de terre agricole. Des projets pilotes existent, mais on est encore loin de l’industrialisation.
Et le contribuable dans tout ça ?
C’est l’argument massue du gouvernement : ces niches fiscales coûtent cher. Très cher. Plusieurs centaines de millions d’euros par an qui manquent dans les caisses pour financer l’hôpital, l’école ou la transition énergétique « sérieuse ».
Mais en face, les défenseurs des biocarburants répliquent que ces aides ont permis de créer une filière industrielle souveraine, de réduire la dépendance au pétrole importé (souvenons-nous des 150 dollars le baril en 2022), et de maintenir une activité économique en zone rurale.
Difficile de trancher. Ce qui est sûr, c’est que le débat est loin d’être terminé.
Ce qui nous attend dans les prochaines semaines
La commission mixte paritaire va être explosive. Si députés et sénateurs ne trouvent pas d’accord, le gouvernement reprendra la main et pourra imposer sa version initiale via le 49.3. Vu la fragilité de la majorité, tout reste possible.
En attendant, les agriculteurs restent mobilisés. Les transporteurs routiers aussi. Et les écologistes purs et durs continuent de pointer du doigt ces aides qu’ils jugent anachroniques.
Une chose est sûre : ce petit article du projet de loi de finances est devenu, en quelques semaines, le symbole de toutes les contradictions de la transition énergétique à la française.
Alors, victoire définitive des lobbys agricoles ou sursis temporaire avant une réforme inéluctable ? L’avenir nous le dira très vite. Mais une chose est certaine : le sujet n’a pas fini de nous passionner.
(Article mis à jour le 30 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
