Imaginez la scène : l’hémicycle est plein à craquer, les caméras braquées, et tout le monde retient son souffle avant le résultat. 412 voix pour, 72 contre. Un score écrasant pour un simple « vote symbolique ». Hier, l’Assemblée nationale a dit oui au principe d’une augmentation massive du budget de la Défense pour 2026. +6,7 milliards d’euros rien que l’année prochaine. Dans le climat actuel de rigueur budgétaire, ça fait presque tourner la tête.
Et pourtant, personne n’a vraiment voté les crédits. C’était juste un test. Un galop d’essai avant le vrai combat budgétaire qui s’annonce féroce. Alors pourquoi organiser ce show parlementaire maintenant ? La réponse tient en un mot : blocage.
Un vote blanc pour déminer le terrain
Le gouvernement n’a plus de majorité absolue depuis les législatives de 2022. Chaque ligne du budget 2026 va donc se négocier dans la douleur. Sauf, apparemment, sur la Défense. Là, miracle, tout le monde (ou presque) semble d’accord pour sortir le chéquier.
Le ministre des Armées est venu en personne défendre son bébé : la poursuite de la loi de programmation militaire 2024-2030 qui prévoit de passer de 47 milliards en 2025 à plus de 53 milliards en 2026. Une trajectoire validée sous Macron en 2023, mais qui risque aujourd’hui de sauter avec le psychodrame budgétaire actuel.
« Je vous demande simplement d’approuver le principe, je dis bien le principe, d’une augmentation du budget de la Défense »
Le ministre, micro en main, face aux députés
Traduction : aidez-moi à sanctuariser ces crédits avant que les arbitrages finaux ne les réduisent en miettes.
Un consensus qui dépasse les clivages
Ce qui frappe, c’est l’ampleur du vote. Les Républicains ont voté oui (évidemment). Le Rassemblement national aussi (sans surprise). Mais une partie non négligeable de la Nupes s’est abstenue ou a voté pour. Même certains écologistes ont lâché un « oui » du bout des lèvres.
Comment expliquer ce front uni ? Trois raisons majeures.
- Le retour de la guerre en Europe avec l’Ukraine a changé la donne. Plus personne n’ose dire que l’armée c’est du gaspillage.
- Les industriels de l’armement (Dassault, Naval Group, Thales…) pèsent des dizaines de milliers d’emplois dans quasiment toutes les circonscriptions.
- La dissuasion nucléaire reste le totem intouchable de la souveraineté française. Y toucher, c’est politique suicidaire.
Résultat : la Défense devient le seul poste de dépense où gauche et droite arrivent encore à se parler. Drôle d’époque.
Les 6,7 milliards qui font débat… sans trop débattre
Concrètement, que va-t-on financer avec cette hausse ? Voici les grandes masses, telles que présentées hier :
| Poste | Montant supplémentaire 2026 |
| Renouvellement équipements majeurs | +2,1 Md€ |
| Cyberdéfense et renseignement | +1,4 Md€ |
| Condition du personnel (salaires, casernes) | +1,2 Md€ |
| Munitions et stocks | +1,1 Md€ |
| Autres (drone, espace, marine) | +0,9 Md€ |
On notera que les munitions arrivent en quatrième position. Après trois ans de dons massifs à l’Ukraine, les stocks sont au plus bas. Certains généraux parlent même de « creux capacitaire » inquiétant.
Le piège du vote symbolique
Mais attention, tout ça reste théorique. Le vrai vote du budget viendra plus tard, probablement avec un 49.3 ou un compromis de dernière minute. Et là, les belles intentions risquent de fondre comme neige au soleil.
J’ai déjà vu ce film : en 2018, on nous promettait monts et merveilles avec la LPM précédente. Résultat ? On a fini avec des reports de charge et des soldats qui bricolaient leurs véhicules avec du scotch. L’histoire bégaie-t-elle ?
Certains députés de gauche qui ont voté oui hier prévenaient déjà : « C’est bien joli le principe, mais on regardera les chiffres réels. » Traduction : si on coupe dans l’hôpital ou l’école pour payer les Rafale, on dira non.
Et l’opinion publique dans tout ça ?
Les sondages sont clairs depuis deux ans : les Français placent la Défense parmi leurs priorités budgétaires, loin devant la culture ou même l’environnement pour certains. Le contexte international y est pour beaucoup.
Mais il y a un paradoxe. La même population qui veut une armée forte refuse catégoriquement toute hausse d’impôts. Or, avec 10 milliards de déficit en plus chaque mois, l’équation devient compliquée.
D’où l’intérêt du vote d’hier : mettre tout le monde devant ses responsabilités. Difficile désormais pour un député de dire qu’il est « pour une armée forte » tout en refusant les crédits nécessaires.
Ce que ce vote nous dit de la France 2025
Au-delà des milliards, ce moment parlementaire en dit long sur l’état du pays.
On assiste à une forme de réarmement idéologique. La souveraineté redevient un mot qui fait consensus. Même les plus pacifistes admettent qu’on ne peut plus compter uniquement sur l’OTAN ou les Américains – surtout avec Trump qui pourrait revenir.
L’Europe de la défense, dont on nous parle depuis trente ans, commence à prendre chair. La France pousse pour des projets communs (char du futur, avion de sixième génération). Et pour ça, il faut de l’argent. Beaucoup d’argent.
Enfin, ce vote montre que dans la tempête budgétaire actuelle, la Défense est devenue le dernier rassembleur national. Un peu comme l’équipe de France en 1998. Tout le monde derrière, et on discute après.
Et maintenant ?
Le vrai test aura lieu dans quelques semaines, quand le projet de loi de finances 2026 arrivera dans l’hémicycle. Tiendra-t-on les 53 milliards promis ? Ou verra-t-on, comme trop souvent, les arbitrages de Bercy raboter les ambitions ?
Une chose est sûre : après hier : celui qui osera toucher à la hausse du budget Défense se prendra un retour de bâton politique violent. Le consensus d’hier n’était pas que symbolique. C’était un avertissement.
La France a choisi de redevenir une puissance militaire qui compte. Reste à savoir si elle acceptera d’en payer le prix. Parce qu’entre les principes votés dans l’enthousiasme et les réalités budgétaires, il y a souvent un monde.
A suivre, donc. Très attentivement.
