Vous souvenez-vous du moment où on pensait que la paix en Europe était acquise pour toujours ? Moi non plus. Et pourtant, en ce 10 décembre 2025, le Premier ministre vient de rappeler brutalement la réalité à l’hémicycle : la guerre est revenue aux portes du continent et la France ne peut plus faire l’économie d’un effort militaire supplémentaire.
Mercredi après-midi, Sébastien Lecornu, ancien ministre des Armées devenu chef du gouvernement, a pris la parole pour sa déclaration de politique générale sur la stratégie de défense nationale. Et le message était clair, presque brutal : il faut augmenter le budget de la défense dès 2026. Pas dans cinq ans. Pas « si les finances le permettent ». Dès l’an prochain.
Une hausse qui ne surprend plus personne… ou presque
Franchement, quand on regarde la carte du monde en ce moment, on se demande plutôt pourquoi on a fallu attendre aussi longtemps. Guerre à grande échelle en Ukraine depuis presque quatre ans, tensions extrême-orient, prolifération nucléaire, cyberattaques quotidiennes… Le contexte géopolitique s’est durci à une vitesse folle.
Et Lecornu n’a pas tourné autour du pot. Il a demandé aux députés d’« approuver le principe » d’une augmentation budgétaire dès 2026. Autrement dit : on ne parle plus de savoir si on va augmenter, mais de combien et comment.
« Nous devons collectivement accepter l’idée que la paix a un prix, et que ce prix augmente. »
Sébastien Lecornu, le 10 décembre 2025
La phrase a fait mouche dans l’hémicycle. Certains ont applaudi, d’autres ont grimacé. Parce que oui, on parle bien d’un pays dont le déficit public frôle les 6 % du PIB et qui vient de faire voter un budget de la Sécu en dérapage contrôlé (ou presque).
Où en est-on exactement aujourd’hui ?
Petit rappel pour ceux qui auraient décroché depuis 2023. La dernière loi de programmation militaire (LPM 2024-2030) prévoyait déjà un effort historique : passer de 40,9 milliards en 2023 à 69 milliards en 2030. Soit +60 % en sept ans. C’était déjà énorme.
Mais voilà, entre-temps, la guerre en Ukraine a changé la donne. Les besoins explosent : munitions, drones, blindés, défense antiaérienne, cyber… Et surtout, les prix ont flambé avec l’inflation mondiale sur les matières premières et l’énergie.
- 2025 : environ 52 milliards d’euros prévus
- 2026 : la LPM actuelle table sur 55-56 milliards
- Mais les militaires estiment le besoin réel autour de 60-65 milliards dès 2026
Autrement dit, on parle d’un « trou » potentiel de 8 à 10 milliards par an dès l’année prochaine. Et ça, même en serrant les boulons partout ailleurs, c’est compliqué à combler sans décision politique forte.
Pourquoi maintenant ?
Parce que le temps presse, tout simplement. Les armées françaises sont actuellement dans une situation paradoxale : elles n’ont jamais été aussi engagées depuis la guerre d’Algérie (Sahel, Indo-Pacifique, Europe de l’Est, protection du territoire…) mais elles sont aussi au bord de la rupture capacitaire sur certains points.
J’ai discuté il y a quelques mois avec un colonel qui m’a résumé la situation en une phrase : « On peut encore faire illusion deux ou trois ans, après c’est la cata. » Charmant.
Concrètement :
- Les stocks de munitions sont au plus bas après les dons massifs à l’Ukraine
- Certaines unités tournent avec du matériel des années 80-90
- Le recrutement patine (moins 15 % de candidatures en 2025)
- Les industriels de l’armement sont saturés de commandes mais manquent de main-d’œuvre
Lecornu le sait mieux que personne. Il a passé cinq ans rue Saint-Dominique. Il connaît chaque dossier par cœur. Et quand il dit qu’il faut agir maintenant, il ne fait pas du théâtre.
Les arguments des « pour »
Ils sont nombreux, et pas seulement à droite.
D’abord, l’argument sécuritaire pur : la France reste une cible prioritaire. Puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité, présence militaire sur tous les continents… On ne peut pas se permettre de faiblesse.
Ensuite, l’argument économique : l’industrie de défense, c’est 200 000 emplois directs, des centaines de PME, des leaders mondiaux (Dassault, Naval Group, Thales…). Augmenter le budget, c’est aussi investir dans la réindustrialisation et la souveraineté technologique.
Enfin, l’argument européen : si la France baisse la garde, qui va protéger l’Europe ? L’Allemagne augmente timidement, les Britanniques sont en difficulté budgétaire, les pays de l’Est comptent sur nous… On reste le dernier pilier militaire crédible du continent.
Les arguments des « contre » (ou plutôt des prudents)
Parce qu’évidemment, ça coince.
Comment financer 8 à 10 milliards supplémentaires alors que le déficit explose déjà ? Couper dans la santé ? L’éducation ? Les retraites ? Impensable politiquement.
Augmenter les impôts ? Essayez de vendre ça en période de ras-le-bol fiscal.
Et puis il y a la question du contrôle : qui nous dit que l’argent sera bien dépensé ? On se souvient tous des surcoûts du porte-avions Charles de Gaulle ou des ratés de certains programmes.
« On est au fond du trou et on continue de creuser. »
Un député de l’opposition, hier dans les couloirs
La phrase est dure, mais elle résume le sentiment d’une partie de l’hémicycle.
Et maintenant ?
Lecornu a été malin. Il n’a pas donné de chiffre précis. Il a juste demandé un « principe ». C’est une façon de mettre tout le monde devant ses responsabilités sans déclencher immédiatement la guerre budgétaire.
Prochaines étapes :
- Vote symbolique à l’Assemblée sur ce principe (probablement avant Noël)
- Arbitrages fin janvier-février pour le budget 2026
- Éventuelle révision de la LPM au printemps 2026
Autrement dit, on n’a pas fini d’en entendre parler.
Personnellement, je trouve que l’argument du « on n’a pas le choix » commence à être usé jusqu’à la corde. Mais force est de constater que, sur la défense, il reste difficile de le contrer totalement. Parce que quand ton voisin menace de t’envahir et que ton allié d’outre-Atlantique regarde ailleurs, tu n’as plus trop le luxe de faire le malin avec les comptes publics.
La seule question qui reste, c’est : jusqu’où est-on prêt à aller ? 3 % du PIB ? 4 % ? Plus ?
La réponse, on l’aura en 2026. Et elle risque de faire mal au portefeuille.
En attendant, une chose est sûre : le débat sur la défense ne sera plus jamais un sujet technique réservé aux spécialistes. Il est devenu, whether we like it or not, le grand débat de société des années à venir.
Et vous, vous en pensez quoi ? La France doit-elle se réarmer à marche forcée, ou faut-il d’abord remettre de l’ordre dans les finances ?
La parole est à la nation.
