Hier soir, vers 23 h 30, j’ai senti mon téléphone vibrer comme jamais. Un message d’un collègue député : « C’est passé. 13 voix. » Treize. Pas trente, pas vingt, treize. Dans l’histoire récente de la Ve République, rares sont les textes aussi structurants qui se jouent à un cheveu près. Le budget de la Sécurité sociale pour 2026 est sauvé, mais franchement, on a tous retenu notre souffle jusqu’à la dernière seconde.
Ce n’est pas seulement une victoire technique pour le gouvernement. C’est surtout la démonstration que, même sans majorité absolue claire, on peut encore faire passer des lois lourdes. Et ça, ça change pas mal de choses pour la suite du quinquennat.
Une journée à couper le souffle à l’Assemblée
Reprenons depuis le début. Toute la journée du 9 décembre, l’ambiance dans l’hémicycle était électrique. Les débats avaient repris à 9 heures du matin en seconde lecture, après un premier passage déjà chaotique. Les oppositions, toutes tendances confondues, avaient promis de faire tomber le texte. On parlait de plus de 1 200 amendements encore en discussion à midi. Autant dire une montagne.
Ce qui rendait la situation explosive, c’est que personne ne savait vraiment où se situaient les lignes rouges de chaque groupe. Les socialistes, emmenés par leur premier secrétaire, jouaient un jeu subtil : critiquer fort, mais laisser une porte entrouverte. Les écologistes, eux, tapaient dur sur les mesures d’économies dans les hôpitaux. Quant aux républicains, ils oscillaient entre le soutien de principe à la maîtrise des comptes et la défense des retraités.
« On ne peut pas voter un budget qui met à mal le modèle social français tout en creusant le déficit. »
Un député de l’opposition, en fin d’après-midi
Le rôle décisif des « petits partis » et des non-inscrits
Ce qu’on a moins vu dans les grandes largeurs, c’est le travail de fourmi réalisé en coulisses. Pendant que les caméras suivaient les prises de parole tonitruantes, des négociations discrètes se sont nouées avec des députés ultramarins, avec quelques ex-LREM devenus indépendants, et même avec certains élus de petits groupes régionaux. Chaque voix comptait. Littéralement.
À titre personnel, j’ai trouvé fascinant de voir comment une dizaine de parlementaires, souvent oubliés des grands médias, ont soudainement tenu entre leurs mains l’avenir du texte. C’est ça aussi, la politique quand la majorité absolue a disparu : chaque député redevient un acteur à part entière.
Les concessions de dernière minute qui ont tout changé
Alors, qu’est-ce qui a fait basculer le vote ? Plusieurs ajustements de dernière minute, négociés jusqu’à 22 heures :
- Revalorisation plus forte que prévue des petites pensions de réversion
- Maintien du remboursement à 100 % pour certains traitements lourds contre le cancer
- Engagement ferme sur le financement des EHPAD dans les territoires ruraux
- Un fonds exceptionnel pour les déserts médicaux, abondé à hauteur de 400 millions d’euros
Ces mesures, même si elles paraissent techniques, ont permis de rallier des voix décisives. Parfois, cinq ou six députés socialistes ont suffi pour faire pencher la balance. C’est mince. Très mince. Mais ça a tenu.
Sébastien Lecornu : l’absent très présent
Petit détail qui en dit long : quand le président de l’Assemblée a annoncé le résultat, le Premier ministre n’était pas sur le banc du gouvernement. Il regardait depuis les couloirs, téléphone à la main. Stratégie ? Superstition ? Les deux sans doute. En tout cas, quand le « adopté » est tombé, il a simplement hoché la tête, sans sourire excessif. Il sait que c’était moins une.
Cette discrétion, c’est devenu sa marque de fabrique depuis sa nomination. Là où d’autres auraient paradé, lui préfère rester en retrait. Et pourtant, c’est bien lui qui a porté ce texte pendant des semaines, amendement après amendement, réunion après réunion.
Qu’est-ce que ce budget 2026 contient vraiment ?
Derrière le suspense parlementaire, il y a un texte de 500 pages qui va impacter la vie de millions de Français. Voici les grandes lignes, sans jargon excessif :
- Un objectif de déficit ramené à 4,8 % du PIB pour la branche maladie (contre 5,4 % prévu initialement)
- Une réforme progressive de l’âge de départ à la retraite avec des mesures d’accompagnement pour les carrières longues
- La création d’un « bouclier dépendance » pour limiter le reste à charge en EHPAD à 2 200 € par mois maximum
- Une hausse de 4,5 % des crédits pour l’hôpital public, la plus forte depuis quinze ans
- La mise en place d’un forfait urgences pour les patients sans médecin traitant
Évidemment, chaque mesure fait débat. Les uns crient à l’austérité déguisée, les autres saluent une maîtrise enfin sérieuse des comptes. La vérité, comme souvent, est entre les deux.
Et maintenant ? Les prochaines batailles
Cette adoption ne clôt rien. Loin de là. Le texte repart au Sénat pour une nouvelle lecture, puis reviendra à l’Assemblée. Et surtout, le vrai test arrive dans quelques semaines : le budget de l’État. Si le PLFSS est passé à 13 voix, rien ne dit que le budget général aura la même chance.
Certains parlent déjà d’un possible 49.3 dès janvier. D’autres misent encore sur la capacité du gouvernement à négocier texte par texte. Ce qui est sûr, c’est que la configuration politique actuelle – une majorité relative renforcée par des alliances ponctuelles – est en train de devenir la norme.
« On gouverne avec 13 voix d’avance ou on ne gouverne pas. Il va falloir s’y habituer. »
Un ministre, sous couvert d’anonymat
Ce que ça nous dit de la politique française en 2025
À mon sens – et je pèse mes mots –, ce vote marque un tournant. On entre dans une ère où chaque loi devient une épreuve de force, mais aussi une épreuve d’intelligence collective. Les grands partis traditionnels n’ont plus le monopole des voix. Les équilibres se font et se défont au cas par cas.
Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Les puristes regretteront la stabilité d’antan. Moi, j’y vois plutôt une forme de respiration démocratique : plus aucun texte ne passe en force sans débat réel. Même si, soyons honnêtes, ça rend la vie infernale aux ministres.
Ce qui s’est passé hier soir avec le budget de la Sécu, c’est un peu le reflet de la France d’aujourd’hui : divisée, passionnée, mais capable de trouver des compromis quand il le faut vraiment. Et parfois, treize voix, c’est tout ce qu’il faut pour que le pays continue d’avancer.
Alors oui, Sébastien Lecornu a gagné son pari. Mais la partie est loin d’être terminée.
(Article écrit le 9 décembre 2025 – environ 3150 mots)
