Hier soir, tard, j’ai éteint la télé vers une heure du matin avec cette sensation bizarre qu’on ne vit plus tout à fait la même politique qu’il y a encore quelques mois. Le budget de la Sécurité sociale pour 2026 vient de passer à l’Assemblée nationale, à treize petites voix près. Treize voix. Dans une chambre où personne n’a la majorité absolue, ça veut dire tout et son contraire à la fois.
Et pourtant, le Premier ministre en sort grandi. Pas de 49.3, pas de passage en force. Juste un vote, un vrai. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça sur un texte aussi explosif.
Un vote à haut risque qui change la donne
Reprenons depuis le début. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le fameux PLFSS, c’est chaque année le texte le plus sensible après le budget de l’État. Retraites, hôpitaux, remboursements, arrêts maladie… tout y passe. En 2025, avec un déficit qui flirte toujours avec des sommets, l’exercice était carrément périlleux.
Beaucoup, même dans le camp présidentiel, conseillaient au locataire de Matignon d’utiliser l’arme nucléaire constitutionnelle : le 49.3. Moins de risque, censure improbable. Mais il a tenu bon. Et il a eu raison.
247 pour, 234 contre. Le texte est adopté en nouvelle lecture. Treize voix d’écart, c’est rien et c’est énorme. Ça veut dire que des oppositions, ou du moins une partie, ont franchi le Rubicon.
Le rôle décisif (et controversé) des socialistes
À gauche, c’est la guerre ouverte dès le lendemain matin. D’un côté, le Parti socialiste se félicite d’avoir « sauvé le Parlement » en votant le texte. De l’autre, les insoumis hurlent à la trahison historique.
« Cette victoire, elle est d’abord celle du Parlement lui-même. »
Olivier Faure, premier secrétaire du PS
Traduction : une partie des députés socialistes a voté oui, ou du moins s’est abstenue de façon stratégique, permettant au texte de passer. Sans eux, c’était plié. Le gouvernement n’avait pas les voix.
J’ai suivi les débats toute la semaine, et franchement, on sentait venir le coup. Les socialistes négociaient depuis des jours des amendements sur les retraites, sur les déserts médicaux, sur les petites pensions. Ils ont obtenu quelques concessions. Pas la lune, mais assez pour justifier un vote positif devant leurs électeurs.
Pourquoi les insoumis crient au scandale
Pour La France insoumise, c’est simple : tout ce qui vient du gouvernement actuel est à rejeter en bloc. Point. Alors voir leurs anciens camarades socialistes tendre la main, même partiellement, c’est l’hérésie suprême.
On entend déjà les slogans : « PS = nouveau parti des retraités aisés », « alliance objective avec la macronie », etc. Ça va faire mal lors des prochaines européennes ou municipales.
Mais soyons honnêtes deux minutes : rejeter systématiquement tout texte social quand on est dans l’opposition, c’est confortable. Ça évite de se salir les mains. Voter un budget imparfait mais qui évite le chaos, c’est une autre paire de manches.
Ce que contient vraiment ce budget 2026
Parce qu’on parle beaucoup de la forme, mais le fond, lui ? Voici les points qui ont fait débat toute la semaine :
- Maintien de l’âge de départ à 64 ans (pas de retour en arrière)
- Revalorisation des petites retraites (+2,8 % en moyenne)
- Plan massif pour les déserts médicaux (400 millions supplémentaires)
- Prise en charge à 100 % de certains soins dentaires et optiques
- Durcissement sur les arrêts maladie longs (contrôles renforcés)
- Objectif de ramener le déficit sous les 60 milliards en 2027
Imparfait ? Évidemment. Mais bloquer tout sous prétexte que ce n’est pas la révolution, c’est aussi condamner des millions de Français à ne rien avoir du tout.
Lecornu sort renforcé, et maintenant ?
Depuis sa nomination il y a trois mois, on sentait que le nouveau Premier ministre jouait gros. Ce vote, c’est son baptême du feu réussi. Il peut désormais se présenter comme l’homme qui fait fonctionner les institutions dans une Assemblée ingouvernable.
Attention cependant : ce n’est pas une majorité stable qui est née hier soir. C’est une majorité de circonstance. Demain, sur l’immigration, sur le budget de l’État, sur l’écologie, rien ne dit que les mêmes députés voteront dans le même sens.
Mais pour l’instant, il a gagné. Et en politique, gagner un vote aussi symbolique sans 49.3, c’est un signal fort envoyé à tout le monde : président, oppositions, partenaires européens.
Et la droite dans tout ça ?
Petite précision qui a son importance : une partie des Républicains a aussi voté pour. Pas tous, loin de là. Mais assez pour faire basculer le vote. On reparle donc de cette vieille lune : l’alliance objective entre le centre et la droite modérée.
Ce qui est sûr, c’est que l’hémicycle ressemble de plus en plus à un jeu d’alliances à géométrie variable. On vote avec les socialistes un jour, avec les Républicains le lendemain. C’est épuisant, mais c’est peut-être la seule façon de faire avancer le pays quand personne n’a 289 voix.
Ce que ça dit de la France politique fin 2025
À mon avis – et je pèse mes mots –, on assiste à la fin d’un cycle. Celui du « tout ou rien », du bloc contre bloc. Les Français en ont marre des blocages. Ils veulent que ça avance, même lentement, même imparfaitement.
Ce vote du PLFSS, c’est un peu le laboratoire de ce que pourrait être la politique des prochaines années : des compromis, des concessions, des majorités de projet plutôt que d’appareil.
Est-ce que ça va durer ? Rien n’est moins sûr. Mais pour la première fois depuis longtemps, on a vu hier soir que c’était possible. Et franchement, ça fait du bien.
Alors oui, il y aura des cris, des communiqués rageurs, des tweets assassins. C’est le jeu. Mais au bout du compte, des millions de retraités auront leur revalorisation, des territoires oubliés auront des médecins, et le pays aura évité une nouvelle crise institutionnelle.
Parfois, en politique, gagner modestement, c’est déjà une forme de victoire.
(Article mis à jour le 10 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
