Imaginez un instant que, demain matin, votre médecin vous annonce qu’il ne peut plus vous rembourser vos médicaments. Ou que l’hôpital le plus proche doive reporter votre opération faute de trésorerie. Impensable ? Pourtant, c’est exactement le genre de scénario catastrophe qui se profile si l’Assemblée nationale n’arrive pas à voter le budget de la Sécurité sociale pour 2026. Et figurez-vous que l’exécutif vient discrètement de faire distribuer une note explosive à tous les députés pour leur rappeler cette réalité. Franchement, on se croirait dans un thriller politique.
La manœuvre qui a fait tousser l’hémicycle
Le 2 décembre, le ministre chargé des Comptes publics a demandé par écrit au directeur général de la Sécurité sociale de plancher sur une hypothèse jusqu’ici jugée improbable : que se passerait-il si, pour la première fois de l’histoire récente, le Parlement était incapable d’adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) avant la fin de l’année ?
Deux jours plus tard, bingo. Une note de plusieurs pages atterrit entre les mains de chaque député, en plein milieu des débats. Objectif affiché : « pédagogie ». Objectif réel, soyons honnêtes : mettre une pression énorme sur les oppositions avant des votes cruciaux, notamment sur la hausse de la CSG ou le volet recettes du budget. Parce que oui, en ce moment, rien n’est acquis à l’Assemblée.
Un document qui ne laisse place à aucune ambiguïté
Le document est clair, presque brutal. Sans PLFSS voté, la France ne serait plus en mesure de piloter correctement ses dépenses sociales. On parlerait d’une perte de contrôle total du pilotage de la Sécurité sociale. Autrement dit, plus personne au gouvernement ne pourrait fixer d’objectifs de dépenses, ni décider des priorités. C’est comme si on lâchait le volant en pleine autoroute.
« L’absence de loi de financement entraînerait une situation inédite de blocage institutionnel avec des conséquences opérationnelles graves et immédiates sur le fonctionnement du système de protection sociale. »
Et là, ça devient vraiment flippant.
Scénario 1 – Le système tourne en roue libre dès janvier
Sans nouveau budget, les dépenses de la Sécu continueraient sur la base des règles… de 2025. Mais attention, uniquement les dépenses obligatoires et reconductibles automatiquement. Tout ce qui nécessite une décision politique nouvelle ? Bloqué.
- Pas de revalorisation des pensions de retraite au 1er janvier (normalement +2,2 % prévues)
- Pas d’augmentation des allocations familiales ou de l’AAH
- Pas de nouvelles mesures de prise en charge (ex : 100 % santé renforcé)
- Gel des tarifs hospitaliers et des honoraires médicaux
En clair, tout le système reste figé à l’état de décembre 2025. Vous avez une prothèse auditive prévue en janvier ? Tant pis, il faudra peut-être attendre… ou payer de votre poche.
Scénario 2 – Les caisses se vident sans garde-fou
Le plus terrifiant, c’est la partie dépenses. Sans objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) voté, plus aucun levier pour contenir la dérive naturelle des dépenses de santé. Les hôpitaux, les médecins libéraux, les laboratoires d’analyses… tout le monde continuerait à facturer normalement, mais sans plafond.
Résultat ? Un dérapage estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros en quelques mois seulement. Certains experts que j’ai pu consulter en off parlent d’un risque de +40 à +60 milliards sur l’année pleine. Autant dire que le déficit public exploserait littéralement.
Et les recettes dans tout ça ?
Là, c’est le pompon. Sans PLFSS, impossible de voter de nouvelles recettes (hausse de CSG, taxes sur le tabac ou l’alcool, etc.). Pire : certaines recettes exceptionnelles ou temporaires arrivent à échéance fin 2025 et ne seraient pas renouvelées automatiquement.
Conséquence directe : un trou supplémentaire de plusieurs milliards dès le premier trimestre 2026. Et pendant ce temps, les dépenses, elles, continuent à pleuvoir.
Les hôpitaux publics en première ligne
J’ai discuté avec plusieurs directeurs d’hôpital ces derniers jours. Leur angoisse est palpable. Sans budget voté, les établissements publics ne recevraient plus leurs dotations annuelles habituelles. Ils devraient fonctionner sur les réserves de trésorerie… qui, pour beaucoup, sont déjà dans le rouge.
Un directeur d’un grand CHU me confiait : « On tiendrait deux mois maximum avant de devoir annuler des opérations non urgentes et réduire les embauches. Après, c’est la catastrophe. » Et il n’est pas le seul à voir les choses comme ça.
Et si on utilise le 49.3 ? Ça change quoi ?
Bonne question. Même en passant en force avec l’article 49.3 sur le budget de l’État, le gouvernement ne pourrait pas tout régler. Pourquoi ? Parce que le PLFSS est un texte à part, avec ses propres règles constitutionnelles. On peut théoriquement adopter le budget de l’État sans la Sécu, mais l’inverse est beaucoup plus compliqué.
En résumé : même avec un 49.3 héroïque, on n’échapperait pas à une partie des dégâts décrits dans la note.
Une stratégie de la tension assumée
Il faut bien le dire : distribuer cette note en plein hémicycle, c’est du jamais-vu. C’est une façon de dire aux oppositions, et particulièrement à la gauche et au RN : « Si vous faites tomber le budget, ce sera votre responsabilité si les Français ne sont plus soignés correctement. »
Est-ce que ça marchera ? Difficile à dire. Mais une chose est sûre : ça met une pression énorme sur tout le monde. Même certains députés de la majorité que j’ai croisés dans les couloirs avouaient être « sonnés » par le document.
Ce qui nous attend dans les prochains jours
Les votes décisifs arrivent très vite. La partie recettes du PLFSS doit passer en séance dans les prochains jours, avec notamment le très sensible article sur la CSG. Si ça coince, on entre dans l’inconnu total.
Et franchement, vu le climat actuel à l’Assemblée, rien n’est moins sûr. On a déjà vu des gouvernements minoritaires passer des budgets au forceps, mais là, on joue dans une autre catégorie.
Ce qui est certain, c’est que cette note va rester dans les mémoires. Rarement un document administratif aura eu un tel impact politique. Preuve, s’il en fallait une, que la France vit une crise institutionnelle d’une ampleur qu’on n’avait pas connue depuis longtemps.
Alors, est-ce que les députés vont se ressaisir ? Ou va-t-on vraiment vers le chaos ? Une chose est sûre : on n’a jamais été aussi près du bord.
(Article mis à jour le 4 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
