Vous est-il déjà arrivé de retenir votre souffle devant un vote parlementaire comme on retient son souffle avant un penalty en finale de Coupe du monde ? C’est exactement l’ambiance qui règne en ce moment à l’Assemblée nationale. Mardi, les députés vont se prononcer sur l’ensemble du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Et franchement, on n’a rarement vu un texte aussi fragile passer aussi près du précipice.
Un vote sous haute tension qui peut tout faire basculer
Imaginons la scène. Après plus de 120 heures de débats acharnés – oui, vous avez bien lu, plus de cinq jours complets de discussions –, le gouvernement joue son va-tout. Le volet recettes a été adopté de justesse vendredi. Reste maintenant le plat de résistance : le texte global. Et là, rien n’est joué.
La majorité relative rend chaque voix précieuse. Les Républicains sont divisés. Horizons, le parti d’Édouard Philippe, fait planer la menace d’un vote contre. Même au sein de la coalition, ça grince sévère. Bref, on est loin du long fleuve tranquille.
La question qui brûle toutes les lèvres : Lecornu va-t-il sauter ?
Depuis quelques jours, la rumeur enfle : si le budget de la Sécu est rejeté, le Premier ministre présentera-t-il sa démission ? La réponse est tombée samedi soir, nette et sans appel, par la voix de la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon.
« Une démission n’aurait pas de sens. Sinon, il aurait engagé la responsabilité du gouvernement » en utilisant le 49.3.
Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement
Traduction : hors de question de jouer la carte du sacrifice pour débloquer la situation. Et franchement, on comprend la logique. Utiliser le 49.3 aurait été perçu comme un aveu de faiblesse. Ne pas l’utiliser et perdre le vote serait un camouflet terrible. Alors on marche sur une corde raide, en espérant que personne ne pousse.
Ce qui est plus qu’une simple question de personne. C’est toute la stratégie gouvernementale qui est en jeu. Accepter une démission maintenant, ce serait ouvrir la boîte de Pandore : instabilité maximale, discussions budgétaires interrompues, et un signal désastreux envoyé aux Français.
Pourquoi une démission « ajouterait de la crise à la crise »
Maud Bregeon l’a dit sans détour : une chute du gouvernement en ce moment serait « ajouter de la crise à la crise ». Et elle n’a pas tort. On sort à peine d’une séquence politique mouvementée. Les Français n’ont pas envie d’un énième remaniement ou, pire, d’une dissolution.
Et puis il y a l’argument technique, et il pèse lourd : sans budget voté, c’est la perte de contrôle totale du pilotage de la Sécurité sociale. Plus de marge de manœuvre sur les dépenses de santé, les retraites, les arrêts maladie… Un cauchemar pour n’importe quel gouvernement.
- Risque de blocage des remboursements
- Impossibilité de mettre en œuvre les mesures nouvelles
- Paralysie complète des comptes sociaux
- Signal catastrophique pour les marchés et les agences de notation
Personne ne veut ça. Ni la majorité, ni l’opposition responsable, ni les partenaires sociaux. D’où cette pression énorme sur les députés pour trouver un compromis, même au dernier moment.
Les concessions douloureuses qui ont permis d’aller jusque-là
Ce qu’on oublie souvent, c’est le chemin parcouru. Le gouvernement a déjà lâché du lest. Beaucoup de lest. La suspension de la réforme des retraites, par exemple ? Une concession énorme, presque historique, arrachée après des négociations intenses avec une partie de la gauche.
La porte-parole l’a reconnu elle-même : ce fut « une concession douloureuse ». Mais elle a un argument massue : maintenant que cette suspension est acquise sur le papier, encore faut-il que le budget soit voté pour qu’elle devienne réalité dans la vie des Français. Sinon, tout ça pour rien.
C’est un peu le marché implicite : on vous donne satisfaction sur les retraites, vous nous laissez passer le budget. Sauf que rien n’est jamais aussi simple en politique.
Édouard Philippe, l’invité qui fait tanguer la barque
Et puis il y a lui. L’ancien Premier ministre, président d’Horizons, probable candidat en 2027, qui déclare tout de go que « en l’état », son parti ne votera pas le texte. Boom. C’est le genre de déclaration qui fait l’effet d’une petite bombe dans un gouvernement de coalition.
Parce qu’Horizons, ce n’est pas rien. C’est une trentaine de députés. Suffisamment pour faire basculer un vote serré. Et quand le leader du parti joue sa carte personnelle à moins de deux ans de la présidentielle, ça complique sérieusement la donne pour le locataire actuel de Matignon.
On sent la manœuvre : se démarquer, montrer qu’on n’est pas inféodé, préparer le terrain pour 2027. Classique. Mais diablement efficace quand on est dans la majorité tout en voulant apparaître comme une alternative crédible.
Les Républicains, l’autre épée de Damoclès
Et puis il y a la droite traditionnelle. Celle qui se targue d’incarner le « sérieux budgétaire ». Sauf que même là, ça coince. Vendredi, lors du vote sur les recettes, le groupe LR s’est littéralement coupé en deux. Une partie a voté pour, l’autre contre ou s’est abstenue.
Pourquoi ? Parce qu’on leur demande de voter un budget qui suspend la réforme des retraites – une réforme qu’ils ont eux-mêmes portée ou soutenue sous Macron premier mandat. Dur à avaler pour les plus orthodoxes.
Résultat : personne ne sait vraiment mardi comment ils vont se positionner. Et chaque voix comptera.
Le miracle est-il encore possible ?
Pourtant, du côté du gouvernement, on veut y croire. Maud Bregeon répète qu’on peut y arriver ». Et elle avance un argument qui a du poids : le gouvernement aurait pu dégainer le 49.3 à quatre reprises différentes. Il ne l’a pas fait. Preuve, selon elle, que le dialogue fonctionne.
120 heures de débat sans 49.3, c’est déjà un petit exploit dans le contexte actuel. Ça montre que, malgré les apparences, des discussions ont lieu dans les couloirs, que des amendements passent, que des compromis se dessinent dans l’ombre.
Mais suffira-t-il ? Mystère. Ce qui est sûr, c’est que ce vote va marquer un tournant. Soit le gouvernement passe l’obstacle et gagne un répit précieux jusqu’au budget 2027. Soit il échoue et entre dans une zone de turbulences inédite.
Ce que ce vote nous dit de la politique française en 2025
Au-delà du cas Lecornu, ce moment est révélateur d’une ère politique nouvelle. Fini les majorités absolues tranquilles. Place aux coalitions fragiles, aux compromis permanents, aux concessions qui font grincer des dents.
On est dans une forme de cohabitation interne à la majorité. Chaque texte devient une épreuve. Chaque vote, un numéro d’équilibriste. Et le moindre faux pas peut tout faire basculer.
Est-ce tenable jusqu’en 2027 ? La question est posée. Certains y voient un système à l’allemande ou à l’italienne, où gouverner, c’est négocier en permanence. D’autres prédisent l’explosion en vol dès le prochain gros texte conflictuel.
Une chose est sûre : on n’a jamais vu une législature aussi incertaine depuis bien longtemps. Et quelque part, c’est aussi passionnant qu’angoissant à observer.
Et nous, dans tout ça ?
Parce qu’au final, ce n’est pas qu’une histoire de députés et de calculs politiciens. Ce budget, c’est le vôtre. C’est celui qui finance vos remboursements de lunettes, vos arrêts maladie, vos futures pensions.
Quand on parle de « perte de contrôle du pilotage de la Sécu », ce n’est pas du jargon. C’est la possibilité ou non d’avoir une politique de santé cohérente, de maîtriser le déficit, de préparer l’avenir face au vieillissement de la population.
Alors oui, les jeux d’appareils et les ego peuvent agacer. Mais derrière, il y a des enjeux très concrets. Et mardi, chaque député portera une part de responsabilité dans l’histoire.
On croisera les doigts. Ou pas. Mais une chose est sûre : on vivra un moment rare de vérité politique. Et ça, ça ne arrive pas tous les jours.
Alors, verdict mardi soir ? Sauvé in extremis ou crash retentissant ? L’histoire est en train de s’écrire sous nos yeux. Et quelque part, on a tous une petite place dans la salle.
