Franchement, quand j’ai entendu Olivier Faure dire qu’il allait demander à son groupe de voter le budget de la Sécurité sociale, je me suis frotté les yeux. Sérieusement ? Le même Olivier Faure qui, il y a encore quelques mois, incarnait la ligne dure du NFP et refusait tout compromis avec la majorité relative ? Eh bien oui, les temps changent vite en politique.
On est début décembre 2025, le pays tangue toujours sans majorité claire depuis les législatives de 2024, et voilà que le patron des socialistes annonce qu’il voit dans ce projet de loi de financement une « copie passable » qu’on peut assumer. Pas un chef-d’œuvre, entendons-nous, mais quelque chose de suffisamment raisonnable pour mériter un vote positif. C’est du jamais-vu depuis longtemps.
Un virage à 180° ou une simple prise de responsabilité ?
Pour comprendre l’ampleur du moment, il faut se replonger un peu dans le contexte. Depuis l’été 2024, la France vit sous perfusion de 49.3 et de textes adoptés dans la douleur. Le gouvernement minoritaire avance à tâtons, la droite classique joue les trouble-fête, et la gauche, elle, oscille entre opposition frontale et recherche d’une troisième voie. Olivier Faure, lui, semble avoir choisi son camp : celui de l’utilité.
Il l’a dit sans détour sur un plateau télé ce matin-là : il voit bien « ce qui se passe à droite », avec des figures qui, selon lui, « ingénierisent le chaos ». Et il place Édouard Philippe en tête de liste des perturbateurs. Le message est clair : face à ceux qui préfèrent faire tomber le texte pour des raisons tactiques, le PS doit montrer qu’il est capable de prendre ses responsabilités.
« Je pense que nous, nous devons prendre notre responsabilité, accepter l’idée que pour la première fois nous votions un projet de loi parce qu’il est l’objet d’un compromis. »
Olivier Faure, décembre 2025
Pourquoi maintenant ? Les raisons d’un « oui » historique
Plusieurs éléments expliquent ce positionnement. D’abord, le texte lui-même. Même si personne ne le trouve parfait, il contient des avancées que la gauche défendait depuis longtemps : des efforts sur les déserts médicaux, une meilleure prise en charge de certaines pathologies chroniques, un peu plus de moyens pour l’hôpital public. Rien de révolutionnaire, mais mieux que ce qu’on aurait pu craindre dans le climat actuel.
Ensuite, il y a la réalité arithmétique. Sans les voix socialistes (même une partie), le texte risque de ne pas passer ou de passer au forceps via un énième 49.3. Et là, tout le monde perd : le gouvernement s’use encore plus, la droite marque des points politiques, et les Français, eux, restent avec un budget adopté dans la tension maximale. Voter pour, c’est aussi éviter ce scénario perdant-perdant.
- Éviter un nouveau 49.3 qui abîmerait encore la démocratie parlementaire
- Montrer que la gauche peut être constructive quand le texte va dans le bon sens
- Se démarquer d’une opposition systématique qui commence à lasser une partie de l’électorat
- Préparer le terrain pour d’éventuels futurs compromis (budget 2026 général, par exemple)
À l’intérieur du PS : unité ou tempête en vue ?
Tous les socialistes ne sautent pas de joie, soyons honnêtes. Certains députés, plus à gauche ou plus marqués par la dynamique NFP, risquent de grincer des dents. On parle déjà de possibles abstentions, voire de quelques votes contre. Mais Olivier Faure a l’habitude de ces tensions internes ; il sait que l’unité parfaite n’existe pas dans un groupe de trente-et-quelques élus.
Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne présente pas ça comme une capitulation. Au contraire, il le vend comme une forme de maturité politique. « On n’est plus dans l’opposition frontale systématique », semble-t-il dire entre les lignes. Et dans le contexte actuel, où la gauche cherche désespérément une stratégie gagnante pour 2027, ce positionnement peut faire sens.
Et les autres forces de gauche dans tout ça ?
Chez les écologistes, c’est plutôt la réserve polie. On sent que certains aimeraient bien suivre, mais la discipline de groupe et la peur d’être accusés de trahir le NFP les retiennent. Chez les communistes, c’est non presque unanime. Quant à l’aile gauche du NFP, on imagine déjà les communiqués incendiaires qui vont pleuvoir dans les heures qui viennent.
Ce qui est sûr, c’est que ce vote, s’il a lieu, va créer une brèche. Pour la première fois depuis longtemps, on verra peut-être une partie de la gauche voter un texte budgétaire avec la majorité. Symboliquement, c’est énorme. Politiquement, c’est une bombe à retardement pour les équilibres futurs.
Le précédent qui fait peur (ou qui inspire)
Il y a eu des précédents, bien sûr. Souvenez-vous du vote des socialistes sur le CICE en 2014, ou sur certaines lois travail sous Hollande. À chaque fois, ça a laissé des traces. Mais la situation n’est plus la même : on n’est plus au pouvoir, on est dans une configuration où chaque vote compte pour exister face à l’extrême droite et face à une droite qui joue le pourrissement.
Olivier Faure le sait. Il joue gros. S’il obtient une majorité de son groupe derrière lui, il pourra revendiquer le rôle de « gauche de gouvernement » ou du moins de « gauche responsable ». S’il échoue, il sortira affaibli et le PS continuera sa lente descente dans les sondages.
Ce que ça dit de l’état de la vie politique française
Au fond, ce moment en dit long sur notre pauvre Parlement. On en est réduit à célébrer comme un exploit le fait qu’un groupe d’opposition accepte de voter un texte qui va dans le sens de l’intérêt général. C’est à la fois triste et révélateur. Triste parce que ça montre à quel point la culture du clash a remplacé celle du compromis. Révélateur parce qu’il y a peut-être, enfin, une petite fenêtre qui s’ouvre.
J’ai personnellement toujours pensé que la gauche française souffrait d’un syndrome d’opposition permanente. Voter pour un texte, même imparfait, quand il améliore un peu la vie des gens, ce n’est pas trahir. C’est faire de la politique autrement. Et si demain il faut revoter contre parce que le texte est mauvais, on le fera. Mais là, pour une fois, il y a matière à dire oui.
Et après ? Les conséquences possibles
- Le texte passe sans 49.3 → victoire symbolique pour tout le monde
- Le PS se repositionne comme force de proposition crédible
- La droite LR perd un argument (« tout le monde nous fait tomber »)
- Ouverture possible pour d’autres compromis (retraites, budget État 2026…)
- Fracture durable au sein du NFP et accélération de l’éclatement de la gauche
On le saura très vite. Le vote est prévu dans les prochains jours, et les tractations vont bon train dans les couloirs de l’Assemblée. Une chose est sûre : ce qui se joue là n’est pas qu’un simple budget de la Sécu. C’est une page qui pourrait s’écrire différemment pour la gauche française. Ou pas.
En attendant, moi je trouve ça plutôt sain. Après des mois de blocage, voir un responsable politique assumer un vote positif sur un texte imparfait mais perfectible, ça fait du bien. Ça rappelle que la politique, ce n’est pas seulement dire non. C’est aussi, parfois, savoir dire oui quand c’est utile aux Français.
À suivre, donc. Très attentivement.
