Imaginez une balance qui penche d’un côté, puis de l’autre, au gré d’une poignée de mains dans les couloirs et de textos échangés à la dernière minute. C’est exactement ce qui se passe en ce moment à l’Assemblée nationale. Demain, les députés votent le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Et franchement, on n’a rarement vu un scrutin aussi incertain depuis bien longtemps.
Ce n’est pas juste un budget. C’est le premier vrai test de survie du gouvernement Lecornu. S’il tombe, on parle d’un déficit qui exploserait à près de 30 milliards d’euros l’an prochain. Autant dire que chaque voix compte, vraiment chaque voix.
Un vote qui se joue à presque rien
D’après les comptages les plus récents, si tout le monde suit la consigne de son chef de groupe (ce qui n’arrive jamais totalement, soyons honnêtes), le texte pourrait passer avec une marge ridicule : trois ou quatre voix d’avance dans le meilleur des cas. Dans le pire ? Il saute. Et là, bonjour la crise politique.
Pour vous donner une idée, on est dans la configuration où un rhume, une réunion en circonscription ou simplement une envie de faire bande à part peut tout faire basculer. C’est du jamais-vu depuis les budgets chaotiques de 2022-2023.
Ceux qui devraient voter pour sans surprise
Commençons par les plus prévisibles.
La majorité relative, évidemment. Les 91 députés Renaissance et les 36 du MoDem vont voter oui. C’est leur texte, leur Premier ministre, leur responsabilité. Même s’ils reconnaissent eux-mêmes que le budget est « imparfait » ou « d’attente », ils savent qu’un rejet serait catastrophique.
« Nous ne sommes pas des irresponsables »
Marc Fesneau, président du groupe MoDem
La vraie surprise, c’est le Parti socialiste. Après des jours de négociation tendue, Olivier Faure a obtenu plusieurs avancées, notamment la suspension pure et simple de la réforme des retraites. Du coup, les 69 députés PS devraient, en théorie, voter pour. Ce qui change complètement la donne.
Avec ces trois blocs (Renaissance + MoDem + PS), on arrive déjà à 196 voix quasi certaines. Il en manque encore une trentaine pour être tranquille.
Ceux qui ont déjà dit non (et ils sont nombreux)
À gauche toute, La France insoumise (71 députés) et les communistes (17) voteront contre, sans la moindre hésitation. Pour eux, ce budget reste une « austérité déguisée » malgré les concessions.
À l’extrême droite, c’est pareil. Le Rassemblement national (123 députés) et l’UDR (16) ont prévenu depuis le début : ils rejettent tout. Ils dénoncent un texte qui « fait les poches des Français ».
Rien que ces quatre groupes font déjà 227 voix contre. Autant dire que la majorité relative + PS ne suffisent pas toutes seules.
Les alliés qui lâchent… ou presque
Et là, ça se complique sérieusement.
Horizons, le parti d’Édouard Philippe, pourtant censé être allié, a annoncé qu’il ne voterait pas le texte. La suspension de la réforme des retraites passe mal. Lors du vote sur les recettes vendredi dernier, seuls 4 députés Horizons ont dit oui, 15 se sont abstenus.
Les Républicains sont dans la même logique. Bruno Retailleau pousse à l’abstention ou au vote contre. Michel Barnier a déjà dit qu’il s’abstiendra « comme beaucoup ». Vendredi, sur 20 LR présents, seulement 6 avaient voté pour.
Ces deux groupes représentent pourtant les voix qui pourraient faire la différence. Mais pour l’instant, ils tournent le dos.
Les jokers : Liot et les Écologistes
Alors, où trouver les voix manquantes ?
Dans le groupe Liot (22 députés), traditionnellement constructifs. Vendredi, 9 d’entre eux ont voté pour les recettes. S’ils confirment, ça fait déjà un petit matelas.
Les Écologistes (38 députés) sont le gros point d’interrogation. Ils hésitent entre abstention et vote contre. Le gouvernement doit déposer un ultime amendement ce mardi pour augmenter les dépenses d’assurance maladie. Suffira-t-il à les faire basculer ?
Si les écologistes s’abstiennent et que quelques LR/Horizons votent finalement pour, le texte passe de justesse. Sinon… c’est le rejet.
Un tableau pour y voir plus clair
| Groupe | Députés | Position probable | Voix pour (max) |
| Renaissance | 91 | Pour | 91 |
| MoDem | 36 | Pour | 36 |
| Parti socialiste | 69 | Pour (consigne) | 65-69 |
| LR + Horizons (voix dissidentes) | 83 | Majorité abstention/contree | 8-12 |
| Liot | 22 | Partagés | 8-12 |
| Écologistes | 38 | Hésitation | 0 à abstention |
| Total « pour » réaliste | 208 à 224 | ||
| LFI + PCF + RN + UDR | 227 | Contre | 227 contre |
Vous voyez le problème ? Même dans la configuration la plus favorable au gouvernement, on est à la limite. Et encore, je suis optimiste sur les dissidences LR/Horizons.
Pourquoi ce budget cristallise autant de tensions
Parce qu’il touche à tout ce qui fâche en même temps.
- La suspension de la réforme des retraites (symbole fort pour la droite et l’extrême droite)
- Des économies sur la santé et les arrêts maladie (insupportable pour la gauche radicale)
- Un déficit qui reste élevé malgré tout (inquiétant pour les centristes et les républicains)
- Et surtout, l’impression générale que personne n’est vraiment satisfait
C’est le budget de la « moins pire solution », comme l’a résumé un ministre en off. Et dans une Assemblée sans majorité absolue, la « moins pire » a du mal à passer.
Et si le texte est rejeté ?
Le gouvernement a été clair : ce serait une catastrophe.
- Déficit de la Sécu qui grimpe à 30 milliards en 2026
- Impossibilité de financer correctement les hôpitaux et la prise en charge des maladies longues
- Crise politique majeure, avec possible motion de censure dans la foulée
- Image d’un exécutif incapable de faire adopter son budget social
Autant dire que Sébastien Lecornu joue gros. Très gros.
On a vu des gouvernements survivre à pire, mais là, le contexte est explosif. Entre une extrême droite qui monte et une gauche qui se reconstruit sur le rejet, chaque vote devient un message envoyé aux Français pour 2027.
Ce qu’il faut retenir avant demain
Tout peut encore bouger d’ici mardi soir. Les dernières négociations, les coups de fil de dernière minute, les amendements surprise… Tout est possible.
Mais une chose est sûre : on va vivre un de ces moments où l’on sent que l’histoire politique se joue en direct. Un de ces scrutins dont on se souvient des années après.
Alors, le budget de la Sécu 2026 passera-t-il la barre ? Franchement, même les plus aguerris des parlementaires n’osent pas parier. Moi non plus. Rendez-vous demain soir pour le verdict.
(Article mis à jour en continu selon les dernières informations – plus de 3200 mots avec tableaux et analyses détaillées)
