Vous savez ce moment où tout le monde retient son souffle dans une salle, comme avant un penalty en finale de Coupe du monde ? C’est exactement l’ambiance qu’il y avait ce vendredi après-midi à l’Assemblée nationale. Après des heures de tractations dans les couloirs, de SMS échangés sous les bancs et de cafés avalés à la chaîne, les députés ont fini par voter la partie « recettes » du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Et franchement, personne n’aurait misé un euro là-dessus il y a encore quarante-huit heures.
Un vote qui tient du miracle politique
166 voix pour, 140 contre. Le score est serré, presque indécent pour un texte aussi crucial. Mais dans le contexte d’une majorité relative et d’une Assemblée plus fragmentée que jamais, c’est presque une victoire éclatante. La présidente de l’Assemblée n’a d’ailleurs pas caché sa satisfaction – et son soulagement – juste après le vote.
« J’ai toujours cru en cette Assemblée et je continue à y croire. »
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale
Quand on entend ça, on sent presque l’émotion dans sa voix. Parce qu’en réalité, tout le monde savait que l’échec était jouée. Un rejet de la partie recettes aurait équivalu à faire tomber tout le PLFSS. Et là, bonjour le chaos : pas de budget pour la Sécu avant le 31 décembre, recours possible au 49.3 (que le gouvernement jure ne pas vouloir utiliser), et crise politique majeure à quelques mois des municipales.
Ce qui a fait basculer le vote
Les concessions, évidemment. Le gouvernement a lâché du lest sur plusieurs points brûlants :
- Gel des franchises médicales (pas d’augmentation en 2026)
- Aménagements sur la CSG des revenus du capital
- Revalorisation plus généreuse qu’initialement prévue de l’objectif de dépenses d’assurance maladie (Ondam)
- Promesses de discussions sur les retraites complémentaires et les petites pensions
Ces gestes ont suffi à rallier une partie des députés de la droite républicaine et quelques socialistes « constructifs ». Jérôme Guedj, notamment, n’a pas caché sa satisfaction :
« Ce n’est pas le budget idéal, mais c’est un budget de compromis qui ne fait pas peser d’effort supplémentaire sur nos concitoyens. »
Traduction : on a évité le pire, même si on n’a pas obtenu que la moitié de ce qu’on voulait. C’est ça, la nouvelle donne parlementaire depuis 2022.
Ceux qui ont dit non… et pourquoi
À l’extrême gauche comme à l’extrême droite, on a voté contre. Sans surprise.
La France insoumise a dénoncé un texte « plein de trous » et des recettes « largement insuffisantes ». Le Rassemblement national, lui, a parlé d’un « budget de sauvetage de sièges » et d’une « trahison » de certains élus de droite ayant négocié avec le gouvernement. Eric Ciotti est même allé jusqu’à accuser publiquement Laurent Wauquiez d’avoir « négocié avec le PS ». Ambiance.
Le plus drôle – ou le plus triste, selon le point de vue – c’est que les deux extrêmes se retrouvent à dire la même chose avec des mots presque identiques : « plus d’impôts », « austérité déguisée », « abandon des Français ». Preuve que, parfois, les extrêmes se rejoignent plus qu’ils ne veulent bien l’admettre.
Et maintenant ? La partie dépenses, le vrai test
Parce que oui, on n’a voté que la partie recettes. La partie dépenses, elle, sera examinée à partir de cet après-midi et jusqu’à mardi, date du vote final sur l’ensemble du texte.
Et là, attention, ça risque de coincer sévère. Car si tout le monde arrive plus ou moins à s’entendre sur « d’où vient l’argent », la question « à quoi on le dépense » est infiniment plus clivante. Les économies sur les arrêts maladie, la chasse aux fraudeurs, la maîtrise des dépenses hospitalières… Tous ces sujets vont revenir sur la table avec leur lot de passions.
Le gouvernement le sait et continue d’afficher son optimisme. La porte-parole répétait encore ce matin qu’il existe « une majorité absolue de députés qui souhaitent le compromis ». On veut bien la croire, mais on a vu des majorités se défaire en une nuit dans cet hémicycle.
Pourquoi ce vote est historique (même si personne ne le dit)
J’ai suivi les débats parlementaires depuis 2017, et je peux vous dire que ce qu’on vit en ce moment est inédit. Pour la première fois depuis des décennies, un budget de la Sécurité sociale se négocie vraiment, article par article, amendement par amendement, avec des allers-retours entre groupes qui n’ont rien à voir idéologiquement.
On est loin des époques où une majorité godillots votait tout en bloc à 3 heures du matin. Aujourd’hui, chaque voix compte. Vraiment. Un député des Républicains de Normandie ou un socialiste de l’Essonne peut, à lui seul, faire basculer un texte qui pèse 600 milliards d’euros. C’est à la fois terrifiant et fascinant.
Et le plus fou ? Ça fonctionne. Pas parfaitement, pas joliment, mais ça fonctionne. On légifère dans la douleur, dans le bruit et dans la fureur, mais on légifère. Et en démocratie, c’est déjà énorme.
Ce que ça dit de la France en 2025
Ce vote, c’est aussi le reflet d’un pays qui n’arrive plus à se mettre d’accord sur grand-chose, mais qui refuse de sombrer dans le chaos institutionnel. On râle, on crie, on s’insulte dans l’hémicycle, mais au final, on trouve un terrain d’entente. Même minime. Même imparfait.
C’est peut-être ça, la maturité politique à la française : accepter de faire un pas de côté quand tout nous pousse à camper sur nos positions. Accepter que le compromis n’est pas une trahison, mais parfois la seule solution.
Alors oui, le budget 2026 de la Sécu ne sera pas gravé dans le marbre des grands textes sociaux. Mais il aura au moins le mérite d’exister. Et dans le contexte actuel, c’est déjà une forme de victoire.
La suite dès cet après-midi avec la partie dépenses. Je vous tiens au courant en temps réel si ça part en vrille (et quelque chose me dit que ça risque). En attendant, bravo à cette Assemblée qui, contre toute attente, a su prouver qu’elle pouvait encore fonctionner. Même à l’arrache.
