Imaginez la scène : il est 15 heures, ce mardi 9 décembre 2025, et plusieurs centaines de députés retiennent leur souffle dans l’hémicycle. Un simple vote, quelques secondes d’affichage sur les écrans géants, et tout peut basculer. Le budget de la Sécurité sociale pour 2026, ce fameux PLFSS, passe ou casse la fragile majorité relative. Franchement, on n’avait pas connu une telle tension depuis bien longtemps à l’Assemblée.
Je ne vous cache pas que, quand on suit la politique au jour le jour, on finit par développer un sixième sens pour ces moments où tout se joue sur un cheveu. Et là, croyez-moi, on y est en plein.
Un scrutin qui sent la poudre dès le petit matin
Déjà vendredi, le volet « recettes » du texte n’est passé qu’à une poignée de voix près, grâce à des compromis arrachés in extremis. On a lâché du lest sur la hausse des franchises médicales (abandonnée) et sur la CSG des retraités modestes (allégée). Mais aujourd’hui, c’est le vote sur l’ensemble du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Et là, plus question de demi-mesure : c’est pour ou contre, point barre.
Pourquoi c’est si tendu ? Parce que la configuration politique actuelle ressemble à une partie de Mikado géante : celui qui bouge le premier fait tout tomber.
Les blocs qui se dessinent… ou pas
Commençons par les certitudes – il n’y en a pas tant que ça.
- Le groupe Renaissance, le MoDem et une bonne partie des indépendants Liot devraient voter pour. C’est la base gouvernementale, même si elle est ric-rac.
- La France insoumise et l’alliance RN-UDR voteront contre, sans surprise.
- Les communistes penchent très majoritairement vers le non.
- Les Républicains ? Divisés comme jamais. Une partie suivra probablement la ligne classique de droite (contre), l’autre pourrait s’abstenir ou même voter pour sur certains points techniques.
Et puis il y a les deux jokers : les écologistes et, surtout, le groupe Horizons d’Édouard Philippe.
« Je proposerai aux députés Horizons de s’abstenir » – la phrase lâchée ce week-end par l’ancien Premier ministre a fait l’effet d’une petite bombe.
Une abstention massive du groupe Horizons, c’est potentiellement 25 à 30 voix qui ne compteront ni pour ni contre. Dans un scrutin où chaque voix compte, c’est énorme. Certains y voient déjà le début d’une crise au sein même de la majorité.
Les écologistes, arbitres malgré eux ?
De leur côté, les Verts n’ont toujours pas tranché officiellement. On sait qu’une partie du groupe est séduite par certaines mesures (hausse des dépenses d’assurance maladie portée à 3 % au lieu de 2 % via un amendement gouvernemental de dernière minute). Mais d’autres trouvent le texte encore trop timide sur la prévention ou les déserts médicaux. Bref, ça discute sec en interne.
Si une dizaine d’écologistes votent pour et que Horizons s’abstient, le texte passe. Si les Verts votent contre ou s’abstiennent en masse… bonjour l’addition politique.
Et si ça ne passe pas ?
Officiellement, on nous dit que le gouvernement dégainera le 49.3 sans hésiter si besoin. Mais utiliser l’arme constitutionnelle dès le premier gros texte social de la législature, ce serait envoyer un signal désastreux. Surtout après les compromis déjà consentis.
Et puis il y a la question Sébastien Lecornu. Le ministre de la Santé porte ce budget depuis des mois. Un rejet pur et simple, même suivi d’un 49.3, serait vécu comme un désaveu personnel. Dans les couloirs, certains murmurent déjà que sa tête pourrait être mise sur la table en cas d’échec trop visible.
Ce qu’il y a vraiment dans ce budget (et pourquoi ça coince)
Pour comprendre les crispations, il faut replonger dans le texte lui-même. Oui, il y a des avancées : abandon de la double franchise, effort supplémentaire sur l’hôpital, meilleure prise en charge de certaines pathologies chroniques. Mais il reste des points de friction majeurs.
- Le déficit prévu reste abyssal : près de 18 milliards d’euros pour la branche maladie seule.
- La trajectoire de retour à l’équilibre repoussée (encore) à… très tard.
- Des mesures d’économie qui, même édulcorées, touchent toujours certains assurés (petite hausse ciblée de certains remboursements, déremboursement partiel de médicaments jugés peu efficaces, etc.).
Pour la gauche, c’est « austérité déguisée ». Pour une partie de la droite et de l’extrême droite, c’est « encore trop dépensier ». Résultat : personne n’est vraiment content, mais tout le monde a besoin que ça passe quand même. Drôle de paradoxe.
L’absentéisme, la grande inconnue
Autre paramètre et pas des moindres : vendredi, l’hémicycle était à moitié vide, notamment chez les oppositions. Beaucoup de députés étaient en circonscription ou en mission. Aujourd’hui, pour le vote solennel, tout le monde a été rappelé. Mais qui sera vraiment là à 15 heures ?
Un absent, c’est une voix qui ne compte pas. Et quand les écarts se jouent à dix ou quinze voix, chaque absence pèse lourd.
Après le vote : Sénat, navette… et peut-être nouveau psychodrame
Même si le texte passe à l’Assemblée (et c’est loin d’être acquis), l’histoire ne sera pas finie. Direction le Sénat, dominé par la droite, qui va remettre une couche d’amendements. Nouvelle navette, nouvelle commission mixte paritaire… et potentiellement nouveau vote solennel début 2026.
Autrement dit, on risque de reparler du budget Sécu pendant encore de longs mois. Passionnant, non ?
Mon pronostic personnel (et je me mouille)
Après avoir retourné le sujet dans tous les sens, discuté avec des députés des deux côtés de l’hémicycle et épluché les dernières tendances de vote, voilà ce que je pense :
Le texte passera. De justesse. Probablement entre 5 et 15 voix d’avance. Grâce à une combinaison d’abstentions constructives (Horizons + quelques LR), d’un vote positif partiel des écologistes et d’une mobilisation maximale de la majorité.
Mais ce sera un passage en force déguisé. Et le signal politique envoyé sera clair : cette législature va être un long chemin de croix budgétaire.
« Gouverner avec 249 députés, c’est possible. Gouverner avec 249 députés et une opposition qui fait bloc, c’est sport. » Un conseiller ministériel résumait ça très bien hier soir.
Alors oui, le budget 2026 de la Sécu finira par être adopté, d’une manière ou d’une autre. Mais chaque vote de ce type laissera des traces. Et la question que tout le monde se pose déjà dans les couloirs du Palais Bourbon, c’est : jusqu’à quand cette majorité bancale va-t-elle tenir ?
Rendez-vous cet après-midi pour le verdict. Je vous tiens au courant en direct, bien sûr. En attendant, croisons les doigts… ou pas, selon vos convictions.
