Il y a des soirs où l’histoire politique se joue à quelques voix près. Ce mardi 9 décembre 2025, à 19h44 précises, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 avec une majorité aussi étroite qu’inattendue : treize petites voix d’écart. Treize. Pas cent, pas cinquante. Treize. De quoi faire trembler n’importe quel gouvernement, même les plus solides.
Et pourtant, à Matignon, personne ne sabre le champagne.
Une Victoire Sans Joie à Matignon
J’ai suivi cette journée comme on suit un thriller politique dont on connaît mal la fin. Toute la journée, les couloirs de l’Assemblée bruissaient de rumeurs contradictoires. Les uns disaient que ça allait passer large, les autres juraient que le texte allait être rejeté et que le gouvernement tomberait avant Noël. À vrai dire, même les plus optimistes du camp présidentiel n’imaginaient pas une adoption aussi serrée.
Dans le bureau du Premier ministre, l’ambiance était glaciale. Sébastien Lecornu, connu pour garder son calme en toutes circonstances, avait pris une précaution rare : il avait rédigé lui-même deux messages pour les réseaux sociaux. L’un pour célébrer une victoire, l’autre pour encaisser une défaite. Les deux étaient prêts, posés côte à côte sur son bureau. Quand la présidente de l’Assemblée a annoncé le résultat, il n’a même pas esquissé un sourire. Juste un regard vers ses collaborateurs. Le boulot n’est pas fini. Loin de là.
« Cette majorité de responsabilité montre que le compromis n’est pas un slogan. Dès demain, il faudra travailler à l’adoption d’un budget pour l’État. Ce sera difficile. Peut-être plus encore que ces dernières semaines. »
Sébastien Lecornu, quelques minutes après le vote
Ce tweet, publié dans la foulée, en dit long. Pas de « mission accomplie », pas de « nous l’avons fait ». Juste une reconnaissance sobre que oui, on a passé une étape. Mais que la suivante risque d’être bien plus périlleuse.
Comment on en est arrivé là
Revenons quelques heures en arrière. Toute la journée du 9 décembre a été une partie d’échecs géante. D’un côté, le gouvernement qui joue sa survie budgétaire. De l’autre, une opposition fragmentée mais déterminée à faire payer cher chaque voix.
Il y a d’abord eu les socialistes. Longtemps annoncés comme les grands absents du vote, ils ont fini par apporter une partie de leurs voix au texte, après des négociations marathon. Leur leader a joué un rôle décisif, acceptant des concessions importantes sur les retraites et la prise en charge de certains soins. Un pari risqué pour eux, mais qui leur permet de revendiquer une forme de « co-construction ».
Puis il y a eu les républicains modérés. Une poignée d’entre eux a franchié le pas, malgré les hurlements de leur aile droite. Et enfin, quelques centristes historiques qui, malgré leurs critiques, ont préféré la stabilité à l’aventure d’un rejet.
- Des socialistes divisés mais décisifs
- Des républicains modérés qui ont franchi le Rubicon
- Des centristes fidèles à leur ligne responsable
- Et surtout, une absence massive des extrêmes des deux bords
C’est cette addition improbable qui a fait basculer le vote. Pas une majorité claire, non. Une majorité de circonstance, forgée dans l’urgence et la pression.
Pourquoi Lecornu refuse le triomphalisme
À ceux qui s’étonnent de cette prudence – frôlant presque l’ingratitude –, il faut rappeler une chose simple : en politique, crier victoire trop tôt peut vous coûter très cher demain.
D’abord parce que le budget de la Sécu, aussi important soit-il, n’est qu’une étape. Le vrai test, le gros morceau, c’est le budget de l’État qui arrive dans les prochaines semaines. Et là, les marges de manœuvre seront encore plus réduites. Les concessions faites aujourd’hui pour faire passer la Sécu risquent de compliquer sérieusement les discussions à venir.
Ensuite parce que cette victoire à l’arrachée montre une chose cruelle : la majorité relative, ce n’est pas tenable indéfiniment. Chaque texte devient un chemin de croix. Chaque vote, une épreuve de survie. Et ça use. Ça use les nerfs des ministres, ça use la patience des Français, ça use même les alliances fragiles qui se nouent au cas par cas.
Le compromis n’est plus une option. C’est une obligation quotidienne.
Lecornu le sait mieux que personne. Lui qui a passé des nuits entières au téléphone, à convaincre un député par ci, à céder sur un amendement par là. Lui qui a dû ravaler sa fierté plus d’une fois pour éviter la rupture.
Ce que ce vote dit de la France politique en 2025
Ce qui s’est passé ce soir-là n’est pas qu’une anecdote parlementaire. C’est un révélateur brutal de l’état de notre démocratie.
On nous avait promis le « dépassement », la fin des clivages. On a surtout le retour en force du ni-ni : ni majorité absolue, ni dissolution immédiate. Un entre-deux épuisant où tout se négocie, tout se marchande, où chaque voix compte et où personne ne gagne vraiment.
Mais il y a aussi quelque chose de profondément nouveau. Pour la première fois depuis longtemps, des socialistes ont voté un budget avec des modérés de droite et des centristes. Pas par amour soudain les uns des autres. Par responsabilité, disent-ils. Par peur du chaos, pensent certains.
Est-ce le début d’une nouvelle forme de gouvernance ? Une sorte de grande coalition à la française, même si personne n’ose prononcer le mot ? Ou juste un sursaut temporaire avant le retour des grandes bagarres idéologiques ? L’avenir le dira. Mais pour l’instant, ça tient. À peine.
Et maintenant ? Le vrai défi commence
Le PLFSS est adopté. Bravo. Et après ?
Après, il y a le budget de l’État. Avec ses 60 milliards d’économies à trouver. Ses mesures sur les retraites qui font déjà hurler. Ses arbitrages douloureux sur les fonctionnaires, les aides sociales, les niches fiscales. Tout ce que le gouvernement a réussi à repousser ou adoucir dans la Sécu va revenir en boomerang.
Et puis il y a 2026. Les municipales qui approchent. Les ambitions présidentielles qui s’aiguisent. Les partis qui vont vouloir se reconstruire sur les ruines de cette législature chaotique. Chaque concession faite aujourd’hui sera un argument demain pour dire : « Vous voyez, ils ont trahi ».
Lecornu le sait. C’est pour ça qu’il reste droit dans ses bottes, le visage fermé, les mots mesurés. Il n’a pas le luxe de savourer. Il a déjà la tête au prochain combat.
Une leçon de réalisme politique
Ce qui frappe, finalement, c’est à quel point cette séquence est loin des grandes déclarations enflammées d’autrefois. Plus de « quoi qu’il en coûte », plus de « nouveau monde ». Juste du pragmatisme brut. De la négociation permanente. De la survie politique au jour le jour.
Est-ce que ça plaît ? Pas vraiment. Est-ce que ça fonctionne ? Pour l’instant, à peine. Mais dans un paysage politique aussi fracturé, c’est peut-être la seule voie possible.
Le chemin est encore long, a écrit Lecornu. Il n’a jamais eu autant raison.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Cette majorité de responsabilité peut-elle durer ? Ou assiste-t-on aux derniers soubresauts d’un système à bout de souffle ? Les prochaines semaines vont être passionnantes. Et épuisantes. Comme toujours en politique française.
