Imaginez un pays où la dernière exécution remonte à plus de trente-cinq ans, où l’on avait fini par croire que la page de la peine de mort était tournée pour de bon. Et puis, un jour de décembre 2025, un simple communiqué du conseil des ministres annonce qu’on va la ressortir du placard. Pas pour n’importe quoi : haute trahison, terrorisme, espionnage… Le Burkina Faso vient de francher un cap que peu avaient vu venir aussi vite.
Je ne vais pas vous mentir : quand j’ai lu la nouvelle, ça m’a fait un drôle d’effet. On parle d’un pays qui, il y a encore sept ans, se félicitait d’être dans le camp des nations africaines ayant définitivement aboli la peine capitale. Et là, retournement complet.
Un virage à 180 degrés sous la junte
Reprenons depuis le début, calmement. En 2018, sous la présidence civile de Roch Marc Christian Kaboré, le Burkina Faso rayait la peine de mort de son code pénal. Un symbole fort, une fierté même pour certains. La dernière exécution ? 1988. Autant dire une éternité.
Entre-temps, deux coups d’État en huit mois en 2022, l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré et de ses jeunes officiers, et tout bascule. Le pays est en guerre totale contre les groupes djihadistes, les attaques se multiplient, l’État perd du terrain chaque semaine. Dans ce contexte, la réponse sécuritaire devient la priorité absolue.
Et quand la sécurité devient obsession nationale, les lignes rouges bougent. Vite.
Quelles infractions dans le collimateur ?
Le projet de loi est clair, presque brutal dans sa simplicité. La peine de mort réapparaît pour :
- La haute trahison (collaborer avec l’ennemi, on voit tout de suite à qui on pense)
- Les actes de terrorisme ayant entraîné des morts
- L’espionnage au profit de puissances étrangères
- Et, plus surprenant, la « promotion et les pratiques homosexuelles et assimilées » (le texte est volontairement flou, ce qui laisse une marge d’interprétation énorme)
Oui, vous avez bien lu. Le même texte qui remet la corde au cou pour les terroristes inclut aussi l’homosexualité dans la liste des crimes capitaux potentiels. On passe sans transition de la lutte contre le jihad à la répression des mœurs. C’est violent, assumé, et ça dit beaucoup sur la direction idéologique prise par le régime.
« L’adoption de ce projet de loi s’inscrit dans la dynamique des réformes globales du secteur pour une justice qui répond aux aspirations profondes du peuple »
– Ministre de la Justice, décembre 2025
Une phrase qui sonne comme un slogan. Mais derrière les mots, il y a une réalité : le peuple, ou du moins une partie bruyante de l’opinion, réclame du sang face à l’impuissance de l’État.
Un contexte sécuritaire explosif
On ne peut pas comprendre cette décision sans parler de la guerre qui ronge le pays. Plus de 40 % du territoire échappe au contrôle de l’État. Les groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique tuent, enlèvent, rackettent. Les militaires au pouvoir ont promis de renverser la table. Ils ont chassé l’armée française, rompu avec certains partenaires historiques, se sont tournés vers la Russie et l’Iran.
Mais trois ans après le dernier coup d’État, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Les attaques continuent, parfois plus violentes qu’avant. La population, épuisée, oscille entre soutien au régime et colère sourde.
Dans ce climat, la peine de mort devient un outil politique. Un message : « On ne plaisante plus. »
La peine de mort, solution ou symbole ?
Posons la question cash : est-ce que rétablir la peine capitale va faire reculer le terrorisme d’un millimètre ? Les études, partout dans le monde, sont formelles : non. Les kamikazes ne calculent pas leur espérance de vie avant d’actionner leur ceinture d’explosifs.
Alors pourquoi ? Parce que c’est un signal. Un signal de fermeté adressé à la population, aux militaires, aux partenaires étrangers. Une façon de dire : « Nous sommes prêts à tout. »
Et puis il y a l’aspect vengeance populaire. Après chaque attaque qui fait des dizaines de morts, les réseaux sociaux s’enflamment : « Qu’on les pende en place publique ! » Le pouvoir, lui, écoute. Parfois trop.
Un durcissement sociétal plus large
La peine de mort n’arrive pas seule. Elle s’inscrit dans une vague répressive plus large :
- En septembre 2025, une loi punit déjà les « pratiques homosexuelles » de cinq ans de prison
- Les médias indépendants sont muselés ou menacés
- Les opposants politiques disparaissent ou s’exilent
- La justice militaire prend le pas sur la justice civile
On assiste à une forme de réislamisation conservatrice de l’appareil législatif, même si le régime se défend d’être religieux. Le capitaine Traoré, souvent filmé en tenue traditionnelle avec un sabre, cultive une image de chef africain traditionnel, hostile aux « valeurs occidentales décadentes ».
Les réactions internationales (ou leur absence)
Pour l’instant, le silence est assourdissant. Les organisations de défense des droits humains crient dans le vide. Les chancelleries occidentales, déjà persona non grata à Ouagadougou, n’ont plus vraiment de levier. Quant aux nouveaux alliés – Russie, Iran, Turquie – ils ne vont certainement pas faire la morale sur la peine de mort.
Le Burkina Faso, comme le Mali et le Niger voisins, s’enfonce dans une forme d’isolement choisi. L’Alliance des États du Sahel (AES) devient un bloc où l’on partage les mêmes recettes : souverainisme, répression, rapprochement avec Moscou.
Et maintenant ?
Le texte doit encore passer devant l’Assemblée législative de transition – une chambre nommée par la junte, donc aucune surprise à attendre. L’adoption est une formalité.
Restera à savoir si des exécutions auront réellement lieu. Car entre rétablir la peine de mort et l’appliquer, il y a parfois un monde. Beaucoup de pays gardent la peine capitale dans leurs textes sans jamais l’utiliser. Mais vu le ton actuel, je ne parierais pas là-dessus.
Ce qui est sûr, c’est que le Burkina Faso d’Ibrahim Traoré n’a plus grand-chose à voir avec celui de 2018. Le pays a choisi – ou subi – une voie radicale. Et quand on prend ce genre de chemin, revenir en arrière devient presque impossible.
À suivre, malheureusement, de très près.
(Article mis à jour le 4 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
