Imaginez la scène. Une piste immense, 100 000 spectateurs qui retiennent leur souffle dans la longue ligne droite de Tokyo, deux chevaux lancés à plus de 60 km/h dans un duel à couper le souffle. Et puis, au bout de l’effort, un Français qui lève le poing. Calandagan vient d’entrer dans l’histoire. Pas juste une victoire : une page qui se tourne après trente-huit ans d’attente.
Franchement, quand on suit les courses depuis des années, on sait que certaines épreuves ont quelque chose de sacré. La Japan Cup, c’est ça. Créée en 1981 pour ouvrir le Japon au monde, elle est devenue le Graal absolu des 2400 mètres sur gazon. Et depuis presque quatre décennies, aucun tricolore n’y avait remis les sabots.
Un exploit qui dépasse le simple sport
Dimanche 30 novembre 2025 (heure française), Calandagan a fait plus que gagner. Il a écrit un chapitre que l’on racontera encore dans vingt ans. Premier européen vainqueur depuis 2005, premier français depuis Le Glorieux en 1987. Et il l’a fait en pulvérisant le record de la course. Rien que ça.
Je me souviens encore de la dernière fois où un cheval français avait fait vibrer Tokyo. J’étais gamin, on regardait les images en noir et blanc à la télé. Trente-huit ans plus tard, on a eu droit à la haute définition, aux ralentis, et surtout à La Marseillaise qui résonne sous le soleil couchant japonais. J’avoue, j’ai eu la gorge nouée.
Un parcours déjà hors norme avant même Tokyo
Pour bien comprendre l’ampleur du truc, il faut revenir quelques mois en arrière. Calandagan, c’est ce cheval qui a tout raflé en 2025. Regardez plutôt :
- Grand Prix de Saint-Cloud en juillet, facile
- King George VI & Queen Elizabeth Stakes, où il devient seulement le deuxième cheval de l’histoire à réussir le doublé avec les Champion Stakes la même année
- Et bien sûr, le clou du spectacle : le Prix de l’Arc de Triomphe début octobre avec son compagnon d’écurie Daryz qui complète le doublé pour la casaque Aga Khan
Quand on aligne ça, on se dit que le cheval est déjà une légende vivante. Mais aller chercher la Japan Cup chez les Japonais, sur leur terrain, avec leurs phénomènes… là on passe dans une autre dimension.
Une course tactique maîtrisée de bout en bout
Mickaël Barzalona, le jockey, a été magistral. Dès le départ, il colle à la croupe du grand favori local, Masquerade Ball (monté par un certain Christophe Lemaire, excusez du peu). Il reste là, calme, à l’affût. Et quand la ligne droite arrive – cette fameuse ligne droite interminable de Fuchu – il lance son cheval.
Ce qui suit, c’est du grand art. Un mano a mano terrible, une accélération foudroyante, et Calandagan qui passe le poteau une encolure devant. Le chronomètre s’arrête sur un temps canon, record de l’épreuve battu. On parle là d’un des meilleurs chronos jamais réalisés sur 2400 mètres gazon dans le monde. Point final.
« Quand il a démarré, j’ai su que c’était gagné. Il avait encore tellement sous le pied… »
– Un membre de l’équipe après course, encore ému
Francis-Henri Graffard, l’homme aux 14 Groupes 1 en 2025
On parle beaucoup du cheval et du jockey – à juste titre – mais il y a un homme qui vit une année absolument dingue : Francis-Henri Graffard. L’entraîneur de Chantilly décroche avec cette Japan Cup sa quatorzième victoire de Groupe 1 en 2025. Un record historique pour un entraîneur français.
Quatorze. Laissez ça poser deux secondes. Certains entraîneurs passent toute leur carrière sans en avoir autant. Lui, il les empile en une seule saison. Et pas des petits Groupes 1 de province : Arc, King George, Champion Stakes, Japan Cup… On est sur du très très lourd.
Et maintenant ? Le débat qui va (re)surgir
Il y a un sujet qui revient systématiquement quand un hongre (cheval castré) brille au plus haut niveau : doit-on continuer à les interdire dans le Prix de l’Arc de Triomphe ? Calandagan, hongre, vient de battre les meilleurs entiers du monde sur 2400 mètres. Et plutôt deux fois qu’une.
Je ne vais pas vous refaire le débat ici, mais avouez que ça commence à faire beaucoup. Quand un cheval de cette trempe doit regarder l’Arc depuis son box parce qu’il n’a plus ses attributs… on est en droit de se poser des questions, non ? Les performances parlent d’elles-mêmes.
Certains diront tradition, élevage, etc. D’autres répondront que le sport évolue et que le meilleur doit courir contre le meilleur, point. Moi je trouve que Calandagan, avec son parcours 2025, apporte une réponse assez claire à la question.
Pourquoi cette victoire dépasse largement le cadre français
La Japan Cup, c’est plus qu’une course. C’est un symbole. Les Japonais l’ont créée pour s’ouvrir au monde, et pendant longtemps, les étrangers galéraient sévère. Puis sont arrivés les Européens dans les années 2000, et maintenant on assiste à une vraie bagarre au sommet.
En gagnant là-bas, Calandagan montre que le gazon européen peut rivaliser – et dominer – les meilleurs produits japonais sur leur propre sol. C’est énorme pour l’image des courses en Europe, et particulièrement en France où on a parfois l’impression de courir après le train en marche.
Et puis il y a cette image : 100 000 Japonais qui applaudissent un cheval français, La Marseillaise qui retentit à Tokyo. Dans un monde parfois un peu trop divisé, le sport a encore ce pouvoir-là. Celui de rassembler, de faire vibrer ensemble.
Que retenir de cette année 2025 ?
Si je devais résumer 2025 en une phrase dans les courses plates : c’est l’année où la France a remis la main sur le monde. Deux chevaux de la même casaque dans l’Arc (Daryz et son compagnon), puis Calandagan qui va chercher la Japan Cup en terrain hostile. On n’avait plus vu ça depuis… jamais, en fait.
Et ce n’est pas fini. Parce qu’un cheval comme Calandagan, à 5 ans, en pleine maturité, il a encore de belles pages à écrire. Hong Kong ? Dubai ? Breeders’ Cup ? Tout est possible. Et franchement, après ce qu’il vient de faire, je ne parierais contre lui sous aucun prétexte.
Alors oui, on peut parler chiffres, chronos, records. Mais au fond, ce qu’on retient, c’est l’émotion. Celle d’un jockey qui lève le poing, d’un entraîneur au bord des larmes, d’un propriétaire légendaire qui sourit comme un gamin. C’est ça aussi, la magie des courses.
Calandagan n’a pas seulement gagné une course dimanche. Il a rappelé au monde entier que quand le talent, le travail et un peu de folie se rencontrent, même trente-huit ans d’attente peuvent s’effacer en 2 minutes 21 secondes.
Et quelque part, c’est beau.
