Imaginez-vous en train de marcher dans un quartier qui a tout changé en quinze ans. Des friches industrielles devenues un campus flambant neuf, des milliers d’étudiants et de chercheurs qui débarquent chaque matin, et puis, au milieu de tout ça, un petit bout de verdure qui résiste encore. C’est exactement ce qui se passe porte de la Chapelle, à la limite entre Paris et Aubervilliers. Et aujourd’hui, ce petit bout de parc est menacé par le dernier gros chantier du campus Condorcet. 125 millions d’euros contre quelques hectares d’herbe et d’arbres. La bataille est lancée.
Un campus qui voulait changer la donne… mais à quel prix ?
L’histoire du campus Condorcet, c’est d’abord une ambition folle : créer en banlieue nord le plus grand pôle européen en sciences humaines et sociales. Onze établissements réunis, des milliers de doctorants, des bibliothèques immenses, un quartier pensé comme une ville dans la ville. Quand le projet a été lancé il y a vingt ans, on nous promettait une révolution : sortir la recherche des vieux murs parisiens, ouvrir les portes aux habitants, redynamiser toute une zone oubliée. Franchement, sur beaucoup de points, c’est réussi.
Mais il y a toujours un « mais ». Et ce « mais » s’appelle aujourd’hui le dernier bâtiment prévu. Un immeuble supplémentaire, signé par une agence d’architecture connue pour ses projets audacieux, qui doit accueillir encore plus de chercheurs et de salles. Problème : pour le construire, il faut rogner sur l’un des rares espaces verts du campus. Pas énorme sur le papier, quelques milliers de mètres carrés. Mais dans un quartier où chaque arbre compte, c’est énorme.
Le collectif qui ne lâche rien
Depuis l’annonce du choix de l’architecte, le collectif « Stop Béton à Condorcet » est reparti au combat. Ils étaient déjà là il y a dix ans quand d’autres parcelles avaient été grignotées. Leur argument est simple et difficile à contrer : on nous avait vendu un campus ouvert sur la ville, respirant, avec des espaces verts généreux. Et petit à petit, à chaque nouveau bâtiment, on rogne, on rogne, on rogne.
« On nous parle d’excellence académique, mais qui va profiter de cette excellence si on vit dans un quartier entièrement minéral ? »
– Une riveraine membre du collectif, lors d’une assemblée générale
Leur pétition tourne, les banderoles sont prêtes pour la réunion publique du 3 décembre, et ils ont déjà prévu d’inviter des élus locaux qui commencent à sentir le vent tourner à l’approche des municipales. Parce que oui, en 2026, Aubervilliers va revoter. Et l’écologie pèse lourd désormais dans les urnes.
125 millions reasons de dire oui… ou non
De l’autre côté, la direction du campus ne désarme pas. Pour eux, ce bâtiment n’est pas un caprice. C’est la dernière pièce du puzzle. Sans lui, des laboratoires entiers restent éclatés entre Paris et la banlieue, des chercheurs perdent du temps dans les transports, des collaborations internationales sont moins fluides. Et surtout : l’État a déjà débloqué l’argent. Refuser maintenant, ce serait perdre 125 millions d’euros. Dans le contexte actuel, vous imaginez un peu ? Impensable.
- Un bâtiment de 15 000 m² supplémentaires
- Des espaces de travail pour plusieurs centaines de chercheurs
- Des salles de séminaire dernier cri
- Une livraison prévue pour 2031-2032
- Des travaux qui commencent en 2028
Mais même parmi les universitaires, ça grince. Certains doutent de la nécessité absolue. D’autres, plus discrets, avouent qu’ils auraient préféré voir l’argent servir à rénover des bâtiments existants ou à créer des bourses plutôt qu’à empiler du béton supplémentaire.
Un quartier qui a déjà beaucoup donné
Il faut se rappeler le contexte. La Plaine Saint-Denis et Aubervilliers ont été les grands sacrifiés des trente dernières années. Stade de France, tours de bureaux, village olympique, autoroutes, entrepôts logistiques… À chaque fois, on a dit : « C’est pour le bien commun, c’est pour l’emploi, c’est pour le rayonnement. » Résultat ? Un des secteurs les plus denses d’Île-de-France et un des plus pauvres en espaces verts par habitant.
Le parc du campus Condorcet, même s’il n’est pas immense, c’est un peu le poumon du quartier. L’été, quand il fait 40 °C sur le bitume, c’est le seul endroit où les familles viennent chercher un peu d’ombre. Les étudiants y révisent, les enfants y jouent, les retraités y promènent leur chien. Le supprimer en partie, même pour une « bonne cause » académique, ça passe mal.
Et si on repensait tout simplement le projet ?
Des architectes indépendants commencent à proposer des alternatives. Pourquoi ne pas densifier différemment ? Construire en hauteur sur une emprise plus réduite ? Réhabiliter des friches encore disponibles à deux pas ? Utiliser des terrains déjà artificialisés plutôt que de toucher à ce qui est déjà vert ? Les solutions existent, disent-ils. Mais elles coûtent plus cher en ingénierie et prennent plus de temps. Et le temps, justement, l’État n’en a plus : les crédits sont engagés, le calendrier est bouclé.
« On nous présente toujours le même dilemme : soit on construit vite et pas cher, soit on ne construit pas. Il y a une troisième voie : construire mieux. »
– Un urbaniste spécialisé dans les campus universitaires
La réunion publique qui peut tout faire basculer
Le 3 décembre, tout le monde sera là. La présidence du campus, les architectes, les élus, les associatifs, les habitants. La salle risque d’être pleine à craquer. Ce genre de réunion, on sait comment ça se passe : d’un côté des powerpoints bien rodés avec des visuels magnifiques, de l’autre des pancartes et des prises de parole émues. Entre les deux, des élus qui comptent les voix pour 2026.
Ce qui est sûr, c’est que le sujet dépasse largement le seul campus. C’est toute la question de l’aménagement en banlieue nord qui est posée. Peut-on encore se permettre, en 2025, de sacrifier les derniers bouts de nature au nom du développement ? Ou faut-il enfin apprendre à faire autrement ?
Personnellement, quand je passe dans le quartier, je me dis que les deux camps ont raison. C’est ça le plus dur. On a besoin d’excellence en recherche, on a besoin de grands équipements. Mais on a aussi besoin de respirer. Et quand je vois les gamins jouer dans ce parc l’été, je me demande si on mesure vraiment ce qu’on est en train de leur enlever.
La décision finale n’est pas encore prise. Il reste des recours, des négociations, peut-être des ajustements de dernière minute. Mais une chose est certaine : ce petit bout de parc est devenu le symbole d’un choix de société. Et ce choix, on le fait tous les jours, projet après projet, arbre après arbre.
À suivre, donc. Très attentivement.
