Vous est-il déjà arrivé de recevoir une proposition alléchante, le genre qui fait rêver n’importe qui, et de la refuser quand même ? Moi, la première fois que j’ai lu le montant, j’ai eu le souffle coupé : 270 000 dollars, soit environ 230 000 euros. Pour un podcast tout juste lancé. Franchement, qui dit non à ça ? Caroline Garcia, tout simplement.
L’ancienne numéro 4 mondiale, fraîchement retraitée après l’US Open 2025, anime désormais Tennis Insider Club, une émission où elle reçoit joueurs, coaches et agents pour parler sans filtre du circuit. L’argent proposé venait d’une grosse plateforme de paris en ligne. Et elle a dit non. Pas négocié, pas réfléchi trois mois. Non, point.
Quand l’argent facile devient sale
Son explication, publiée en plusieurs slides sur les réseaux, tombe comme un coup de massue. Elle raconte avoir discuté pendant deux ans avec des dizaines d’acteurs du tennis. Et un sujet qui revenait sans cesse ? La pression infernale générée par les paris sportifs.
« Les paris sont devenus l’une des principales sources de pression, d’abus et de haine dans le sport moderne. Je ne veux pas que mon podcast contribue, même indirectement, à créer de l’addiction ou à détruire des vies. »
Caroline Garcia
Quand on lit ça, on se dit que c’est du bon sens. Et pourtant, dans le milieu, c’est révolutionnaire. Parce que l’argent des paris coule à flots dans le tennis. Sponsors maillots, partenariats officiels des tournois, publicités sur les panneaux LED… On baigne dedans.
La haine 2.0 qui pourrit la vie des joueurs
Imaginons la scène. Tu perds un match 6-4 au troisième set après avoir eu des balles de match. Normal, ça arrive à tout le monde. Sauf que toi, le soir, tu ouvres Instagram et tu as 400 messages qui t’insultent, te menacent, toi et ta famille, parce que Monsieur a perdu son pari à 15 euros sur un live betting.
Ce n’est plus de la déception de supporter. C’est de la haine pure. Et ça touche tout le monde : les stars comme les joueurs classés 300e mondial qui galèrent pour payer leurs déplacements.
J’ai souvenir d’un joueur français, il y a deux ans, qui avait partagé des captures d’écran : « J’espère que ta fille va mourir du cancer », « On sait où tu habite ta mère ». Tout ça parce qu’il avait perdu un premier set 6-0 en challenger. Le gars jouait pour 800 dollars de prize money. Mais quelqu’un avait misé 8 euros sur lui et s’était énervé.
L’addiction qui ronge aussi les joueurs
Et puis il y a l’autre face, moins visible : les joueurs eux-mêmes qui tombent dans le piège. Un ancien top 100 m’a confié un jour, sous couvert d’anonymat évidemment, qu’il avait perdu plus de 100 000 euros en paris pendant sa carrière. Sur d’autres sports, sur lui-même parfois (ce qui est strictement interdit). Il m’a dit : « Quand tu es blessé et que tu ne joues pas pendant six mois, tu tournes en rond. Tu regardes les matchs toute la journée. Et tu commences à parier pour te sentir vivant. »
Il y a aussi ces histoires de matches arrangés en Challenger et ITF. Les sommes proposées ne sont pas folles (quelques milliers d’euros), mais pour un joueur qui gagne 12 000 euros par an, c’est énorme. Et le risque ? Quasi nul, parce que les contrôles sont rares à ce niveau.
Un milieu qui ferme les yeux depuis trop longtemps
Le pire, c’est l’hypocrisie générale. Les tournois affichent fièrement leurs partenaires betting. L’ATP et la WTA ont signé des contrats juteux pour vendre les données live aux plateformes de paris. Plus les données sont précises et rapides, plus les parieurs peuvent miser en direct, plus les plateformes gagnent d’argent, plus les fédérations touchent leur part.
Résultat ? On encourage activement la création d’une armée de parieurs compulsifs qui ensuite vont harceler les joueurs quand ça tourne mal. C’est un cercle vicieux parfaitement huilé.
- Les tournois touchent des millions grâce aux droits de données
- Les plateformes de paris explosent leurs bénéfices
- Les joueurs subissent insultes, menaces et pression supplémentaire
- Quelques-uns craquent et se font banissent à vie pour corruption
- Et on recommence l’année suivante avec le même sponsor en bord de court
Pourquoi le geste de Garcia est historique
En refusant cet argent, Caroline Garcia fait bien plus qu’un choix personnel. Elle brise un tabou. Parce qu’elle n’est plus sur le circuit, elle peut parler librement. Les joueurs actuels, eux, ont trop peur de froisser les sponsors ou les organisateurs.
Elle devient, sans le chercher forcément, la voix de tous ceux qui subissent en silence. Et le montant refusé donne du poids au message : on ne parle pas de 5 000 euros symboliques, on parle d’une somme qui aurait changé la vie de son podcast indépendant.
C’est le genre de décision qui peut déclencher un mouvement. Déjà, plusieurs joueurs ont repartagé son post en stories avec des cœurs ou des « 100% ». On sent que ça touche une corde sensible.
Et nous, spectateurs, on est complices ?
Je me pose la question sans détour. Moi le premier, j’ai déjà misé quelques euros sur un match de tennis « pour le fun ». Je me suis dit que ça rendait le match plus excitant. Mais quand on voit le prix que paient les joueurs pour notre « fun », ça fait réfléchir.
Est-ce qu’on a vraiment besoin de parier pour apprécier un beau échange en cinq sets ? Est-ce que le tennis n’était pas déjà assez intense comme ça ?
Je crois que le geste de Caroline Garcia nous renvoie tous en pleine figure notre propre responsabilité. On ne peut plus dire « je ne savais pas ». Maintenant, on sait.
Vers un tennis plus propre ?
On peut rêver, bien sûr. Mais des signes montrent que les choses bougent. Certains tournois commencent à limiter les publicités pour les paris. Des joueurs créent des associations pour accompagner ceux qui luttent contre l’addiction. Et des voix comme celle de Garcia portent de plus en plus loin.
Peut-être qu’un jour, on regardera en arrière et on se dira que c’était le moment où le tennis a commencé à se regarder dans le miroir. Le moment où une championne a préféré ses valeurs à un chèque à six chiffres.
En attendant, merci Caro. Vraiment. Tu nous as rappelé que le sport, c’est d’abord des femmes et des hommes. Pas des numéros sur une cote.
(Article écrit avec passion par quelqu’un qui suit le tennis depuis 25 ans et qui commence à en avoir plein le dos de voir ce sport magnifique se faire bouffer par l’argent sale.)
