Vous êtes-vous déjà retrouvé nez à nez avec un hérisson blessé au bord de la route, un oiseau incapable de voler ou un faon perdu ? La plupart d’entre nous appellent alors le centre le plus proche, persuadés que quelqu’un va s’en occuper, gratuitement, parce que « c’est normal ». Sauf que, dans l’Oise, ce « normal » est en train de vaciller très sérieusement.
Imaginez la scène : un responsable de centre, la voix tremblante, qui doit refuser un rapace amené par des pompiers parce que la commune d’origine n’a jamais versé un centime. Ça fait mal au cœur, et pourtant c’est désormais la réalité quotidienne d’un des plus grands refuges pour animaux sauvages de France.
Un cri d’alarme qui résonne dans tout le département
Sur sept hectares de verdure, niché près de Bailleul-sur-Thérain, le centre Envol soigne chaque année jusqu’à 1 500 animaux. Hérissons, écureuils, rapaces, chevreuils, renards… Tout ce que la route, les chats, les pesticides ou les accidents domestiques mettent en péril passe par là. Jusqu’à présent, l’association fonctionnait presque exclusivement sur dons privés et bénévolat. Mais la coupe est pleine.
Les frais vétérinaires explosent, le prix de l’alimentation spécialisée suit, le chauffage des nurseries pour les bébés oiseaux en hiver coûte une fortune. Et pendant ce temps, certaines mairies, pourtant promptes à appeler dès qu’un cygne gêne la circulation, répondent « pas de budget » quand on leur parle subvention.
« On ne peut plus tenir comme ça. On a décidé qu’on ne prendrait plus les animaux des communes qui ne participent pas financièrement. »
Le responsable du centre, la gorge serrée, fin novembre
Et le pire ? Il doit annoncer cette décision lui-même, parfois à des particuliers effondrés qui ont conduit quarante minutes pour sauver une petite vie.
Pourquoi maintenant ? Les chiffres qui font mal
Pour vous donner une idée, soigner un seul bébé hérisson peut coûter plus de 300 euros entre lait spécial, antibiotiques, vermifuge et suivi. Un rapace aux ailes fracturées ? On dépasse facilement les 800 euros avec radio et chirurgie. Multipliez par 1 500 et vous comprenez vite le gouffre.
- Coût moyen par animal accueilli : 250 à 1 200 € selon l’espèce
- Augmentation des prix vétérinaires : +18 % en deux ans
- Subventions publiques départementales ou régionales : quasi inexistantes pour ce centre
- Donateurs privés : en baisse depuis la crise inflationniste
Et pendant ce temps, les appels ne diminuent pas. Au contraire. Avec l’urbanisation galopante et les routes toujours plus fréquentées, le nombre d’animaux percutés ou blessés ne fait qu’augmenter.
Une « taxe faune sauvage » qui divise
L’idée est simple, presque brutale : chaque commune qui souhaite que le centre continue à prendre en charge « ses » animaux devra verser une participation annuelle. Un peu comme on paye la fourrière canine, sauf qu’ici il s’agit d’espèces protégées dont la loi impose pourtant la prise en charge.
Certains maires ont déjà répondu positivement, comprenant que 2 000 ou 3 000 euros par an, c’est peanuts face au service rendu. D’autres traînent des pieds, arguant que « la nature doit rester gratuite » ou que ce n’est pas leur compétence. Vraiment ? Quand un chevreuil traverse l’autoroute et provoque un accident, c’est bien la collectivité qui paye les dégâts, non ?
Personnellement, je trouve l’argument un peu court. Sauver la faune sauvage, c’est aussi une mission de service public. Et si les associations mettent la clé sous la porte, qui va ramasser les milliers d’animaux blessés chaque année ? Personne n’a de solution miracle.
Et les habitants dans tout ça ?
Ce qui me touche le plus, ce sont les gens ordinaires. Cette mamie qui a élevé un bébé écureuil au biberon pendant quinze jours avant de l’amener. Ce gamin qui a pleuré en découvrant un oiseau inerte dans le jardin. Ces pompiers qui font des détours pour déposer une chouette blessée.
Ils vont désormais entendre : « Désolé, votre commune ne participe pas ». Et là, c’est la douche froide. Certains risquent de ne plus appeler personne et de laisser l’animal mourir sur place. Triste retour en arrière.
Des solutions existent pourtant
Plusieurs pistes circulent :
- Une ligne budgétaire dédiée au niveau départemental, comme cela existe déjà dans certains départements voisins
- Des conventions triennales avec les communes (beaucoup plus sécurisant que les dons ponctuels)
- Une taxe additionnelle volontaire sur la taxe d’habitation ou foncière (ça existe ailleurs, pourquoi pas ici ?)
- Le développement de partenariats avec les entreprises locales (marrainage d’enclos, etc.)
Mais pour l’instant, rien n’est acté. Et chaque jour qui passe rapproche le centre d’une fermeture partielle, voire totale.
Ce que ça nous dit de notre société
Au-delà du cas particulier, cette histoire est un révélateur. Nous adorons la nature… tant qu’elle reste décorative. Un beau cerf dans un champ, un hérisson mignon sur Instagram, très bien. Mais quand il s’agit de payer pour réparer les dégâts que nous causons (routes, pesticides, chats errants, pollution lumineuse), là c’est une autre histoire.
J’ai parfois l’impression qu’on traite la biodiversité comme un service gratuit qu’on peut appeler en urgence, un peu comme les pompiers, sans jamais contribuer au fonctionnement. Sauf que les pompiers, eux, sont financés par nos impôts.
Alors oui, demander une participation aux communes peut sembler radical. Mais n’est-ce pas simplement logique ? On paye bien pour ramasser nos poubelles, traiter nos eaux usées, entretenir nos routes. Pourquoi la faune sauvage serait-elle le parent pauvre de l’action publique ?
Un espoir malgré tout
Depuis que la nouvelle circule, les dons individuels ont bondi. Des habitants, touchés, envoient 10, 20, 50 euros avec des petits mots adorables. Des entreprises locales commencent à se manifester. Et certains élus promettent de mettre la question à l’ordre du jour du prochain conseil municipal.
Peut-être que cette crise servira d’électrochoc. Peut-être que dans quelques mois, on regardera cette période comme le moment où l’Oise a enfin pris au sérieux la protection de sa faune sauvage.
En attendant, si vous habitez le département et que votre commune n’a jamais soutenu le centre, c’est peut-être le moment de contacter votre maire. Parce qu’un jour, ce sera peut-être votre enfant qui trouvera un oiseau blessé. Et là, vous serez content qu’il existe encore quelqu’un pour le sauver.
La nature nous a prêté ces animaux. On a la responsabilité de les rendre en bon état. Et pour ça, il va falloir mettre la main à la poche. Collectivement.
(Article écrit après plusieurs échanges avec des acteurs de terrain et des élus locaux – décembre 2025)
