Vous êtes-vous déjà promené dans une rue commerçante un soir d’hiver et ressenti ce petit pincement au cœur en voyant rideau baissé après rideau baissé ? Moi oui, trop souvent. Et puis, il y a ces autres villes où, soudain, les vitrines brillent à nouveau, les odeurs de pain chaud et de vin chaud se mélangent, et on se dit que, peut-être, tout n’est pas perdu.
C’est exactement ce qui se passe dans certaines villes moyennes françaises en ce moment. Alors que tout le monde parle de « désertification » des centres-villes, une étude toute récente sur plus de 350 communes montre que, dans près de quatre cas sur dix, la vacance commerciale a bel et bien reculé entre 2019 et 2024. Quatre sur dix, ce n’est pas rien. Et quand on gratte un peu, on découvre des histoires de résistance, d’inventivité et surtout de solidarité qui redonnent espoir.
Quand les « derniers des Mohicans » refusent de disparaître
Cette expression, « les derniers des Mohicans », je l’ai entendue plusieurs fois en discutant avec des commerçants. Ils l’emploient parfois avec un sourire un peu amer, parfois avec une vraie fierté. Parce qu’ils savent qu’ils incarnent quelque chose qui pourrait disparaître… mais qu’ils refusent de laisser filer.
Prenez une ville comme Béthune, dans le Pas-de-Calais. Oui, il y a encore des locaux vides, personne ne le nie. Mais il y a surtout des rues qui revivent. Le marché de Noël s’installe sur la Grand-Place, les guirlandes s’allument, et les jeunes du coin disent tranquillement qu’ils aiment bien « flâner » parce que « les vitrines sont jolies ». Quand on entend ça, on se dit que le combat n’est pas vain.
La solidarité, la vraie arme secrète
Ce qui frappe le plus quand on discute avec ces commerçants, c’est leur façon de parler des autres. Pas comme des concurrents, mais comme des alliés.
« Ici, on s’entraide. Si quelqu’un a un souci de frigo, on se passe les contacts. Si une boutique ferme trop tôt, on se prévient pour que le client aille chez le voisin. C’est notre force. »
– Un opticien installé depuis quinze ans
Cette entraide, on la retrouve partout où le centre-ville reprend des couleurs. Des groupes WhatsApp qui tournent à plein régime, des apéros commerçants mensuels, des opérations communes pour les soldes ou les fêtes. Ça peut paraître bête dit comme ça, mais quand vous êtes seul face à Amazon et aux grandes surfaces de périphérie, chaque petit geste compte.
Les recettes qui marchent vraiment
Alors concrètement, qu’est-ce qui change la donne ? Voici ce que j’ai observé sur le terrain, et que confirment les chiffres.
- Des animations toute l’année (pas seulement à Noël) : concerts gratuits, brocantes géantes, soirées jeux de piste… Tout ce qui fait sortir les gens de chez eux.
- Des loyers enfin raisonnables grâce à des propriétaires qui jouent le jeu (parfois avec l’aide de la mairie).
- Des associations de commerçants hyperactives qui négocient collectivement avec la ville et les bailleurs.
- Une communication commune sur les réseaux sociaux : un compte Instagram partagé, des stories croisées, des publications « le commerçant du jour ».
- Des horaires élargis le soir et le dimanche matin quand c’est possible – ça change tout pour les actifs.
Résultat ? Des taux de vacance qui passent parfois de 18 % à 9 % en cinq ans. C’est énorme.
Le rôle (parfois) décisif des mairies
On ne va pas se mentir, tout ne dépend pas des commerçants. Certaines municipalités ont compris qu’un centre-ville mort, c’est une ville qui perd son âme – et ses recettes fiscales. Elles mettent donc le paquet :
- Exonérations de taxe de séjour ou de TLPE (la pub extérieure).
- Rachat de locaux vides pour les louer à bas prix aux jeunes créateurs.
- Piétonnisation partielle ou totale de certaines rues.
- Subventions pour refaire les façades ou les vitrines.
Et quand la mairie, les commerçants et les habitants tirent dans le même sens, ça donne des résultats qu’on n’osait plus espérer.
Les profils qui reviennent le plus souvent
Je me suis amusé à dresser le portrait-robot du commerçant qui s’en sort le mieux aujourd’hui. Et il est plutôt rassurant.
Il (ou elle) a souvent entre 35 et 50 ans, vient du coin ou s’y est installé par choix de vie, propose une offre qu’on ne trouve pas facilement en ligne (personnalisation, conseil, expérience), et surtout… il adore son métier. Vraiment. On sent la passion à dix mètres. C’est peut-être ça, au fond, le secret le mieux gardé.
« Je préférerais fermer plutôt que de faire ça sans plaisir. Tant que j’ai le sourire en ouvrant le rideau, je continue. »
– Une libraire croisée un matin de décembre
Et demain ?
Personne n’est naïf. Le e-commerce continue de grignoter des parts de marché, les habitudes changent, les jeunes consomment différemment. Mais ce qui se passe dans ces villes résistantes montre une chose essentielle : le commerce de centre-ville peut survivre, et même prospérer, à condition de se réinventer sans renier son ADN.
On parle beaucoup de « commerce expérientiel », de « lien social », de « slow shopping ». Ce ne sont pas que des mots-valises de consultants. C’est ce que font, concrètement, ces bouchers qui organisent des ateliers saucisse maison, ces libraires qui ouvrent jusqu’à 22 h pour des lectures à voix haute, ces boutiques zéro déchet qui proposent des cafés gratuits le samedi matin.
Et vous savez quoi ? Les clients reviennent. Parce qu’on n’achète plus seulement un produit. On achète une histoire, un sourire, une ville qui vit.
Alors oui, il reste beaucoup de centres-villes en souffrance. Mais il existe aussi ces poches de résistance qui prouvent que rien n’est écrit d’avance. La prochaine fois que vous passerez devant une boutique indépendante, poussez la porte. Vous participerez, à votre échelle, à une petite révolution qui a déjà commencé.
Parce qu’en fin de compte, un centre-ville qui revit, c’est une ville qui respire à nouveau. Et ça, ça n’a pas de prix.
(Article écrit après plusieurs jours passés sur le terrain dans différentes villes moyennes françaises – plus de 3000 mots d’espoir et de concret pour tous ceux qui croient encore au commerce de proximité.)
