Imaginez-vous au milieu d’une grande avenue, sous un soleil encore timide de fin novembre. Autour de vous, des centaines de voix scandent des slogans pour la liberté. Et là, tout devant, une femme sourit pour les selfies tout en scrutant nerveusement les alentours. Elle sait que le danger rôde. Quelques minutes plus tard, deux silhouettes encapuchonnées l’empoignent. Cette scène, c’est celle de l’arrestation de Chaïma Issa, le 29 novembre dernier à Tunis. Une arrestation qui résume à elle seule le climat lourd qui pèse sur la Tunisie depuis plusieurs années.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu parler d’elle. C’était il y a deux ou trois ans, quand les images de ses interventions passionnées circulaient sur les réseaux. Une voix claire, directe, qui n’hésitait pas à pointer du doigt les dérives du pouvoir. Aujourd’hui, elle paie cher ce courage : vingt ans de prison, et une grève de la faim entamée dès son incarcération. Vingt ans. Difficile de réaliser ce que cela représente quand on défend simplement des idées.
Chaïma Issa, une opposante qui dérange profondément
Chaïma Issa n’est pas une figure sortie de nulle part. Écrivaine, militante, elle s’est imposée peu à peu comme l’une des voix les plus critiques du régime actuel. Ce qui frappe d’abord, c’est sa détermination tranquille. Même quand les menaces s’accumulaient, elle continuait à prendre la parole publiquement, à organiser des rassemblements, à dénoncer ce qu’elle considère comme un recul démocratique majeur.
Dans un pays où beaucoup préfèrent désormais se taire par peur des représailles, elle a choisi l’exact opposé. Et cela agace prodigieusement le pouvoir en place. On l’a qualifiée de « bête noire », celle qui refuse de plier, celle qu’il faut absolument neutraliser pour faire taire toute une frange de l’opposition.
Un méga-procès pour décapiter l’opposition
La condamnation de Chaïma Issa ne sort pas du vide. Elle s’inscrit dans un vaste procès qui a concerné une quarantaine d’opposants. Des peines hallucinantes ont été prononcées : jusqu’à quarante-cinq ans de prison pour certains. Le chef d’accusation ? « Complot contre la sûreté de l’État ». Un terme fourre-tout qui permet, semble-t-il, de régler ses comptes avec tous ceux qui osent critiquer ouvertement la politique menée depuis 2021.
Ce genre de procès massif rappelle parfois les heures les plus sombres d’autres régimes autoritaires. Des audiences expéditives, des preuves souvent fragiles, et surtout une volonté claire d’envoyer un message : celui qui conteste risque gros. Très gros.
Quand on condamne des citoyens à des décennies de prison simplement pour leurs opinions, on ne protège pas l’État, on le fragilise.
Beaucoup d’observateurs internationaux ont dénoncé la teneur politique de ces jugements. Et pourtant, les condamnations tombent, une à une, comme pour vider le paysage politique de toute voix dissonante.
L’arrestation en pleine manifestation : un symbole fort
Le 29 novembre, Chaïma Issa participait à une manifestation contre le durcissement de la répression. Elle marchait en tête, vêtue d’une doudoune bleu clair qui la rendait particulièrement visible. Les images montrent une femme souriante, faisant le V de la victoire, posant avec les manifestants. Et puis, soudain, deux hommes surgissent et l’embarquent.
Cette arrestation en direct, sous Cameras et téléphones portables, a fait le tour des réseaux. Elle illustre parfaitement la stratégie actuelle : frapper fort, publiquement, pour décourager les autres. Mais chez Chaïma Issa, cela semble avoir eu l’effet inverse. À peine arrivée en prison, elle a annoncé une grève de la faim. Un acte désespéré, certes, mais aussi une manière de continuer le combat, même derrière les barreaux.
Qui est vraiment Chaïma Issa ?
Derrière la militante, il y a une femme ordinaire devenue extraordinaire par la force des circonstances. Écrivaine, elle a toujours eu le goût des mots justes. Avant 2011, elle était déjà engagée, mais c’est la révolution qui l’a propulsée sur le devant de la scène. Depuis, elle n’a jamais vraiment quitté le terrain.
- Elle a participé à de nombreux collectifs pour la défense des droits humains
- Elle s’est battue pour la liberté d’expression et contre la corruption
- Elle a toujours mis un point d’honneur à soutenir les plus jeunes militants
- Son discours, direct et sans concession, touche particulièrement les femmes tunisiennes
Ce qui rend son parcours touchant, c’est justement cette constance. Année après année, malgré les pressions, elle est restée fidèle à ses convictions. Et aujourd’hui, alors que beaucoup auraient baissé les bras, elle choisit la grève de la faim pour alerter l’opinion publique.
La grève de la faim : un cri dans le silence
Entamer une grève de la faim juste après une condamnation aussi lourde, ce n’est pas anodin. C’est une façon de dire : « Je suis toujours là, je ne capitule pas ». Chaque jour qui passe sans qu’elle ne s’alimente affaiblit son corps, mais renforce paradoxalement sa voix. Les appels à sa libération se multiplient, en Tunisie comme à l’étranger.
Je me demande souvent ce qui pousse quelqu’un à aller aussi loin. Est-ce la colère ? L’espoir ? Probablement un mélange des deux. Ce qui est sûr, c’est que ce genre de geste rappelle les grandes figures de la désobéissance civile. Et en Tunisie, où la mémoire du Printemps arabe est encore vive, cela résonne particulièrement fort.
Un recul démocratique qui inquiète
Depuis plusieurs années, le paysage politique tunisien a bien changé. Ce qui avait commencé comme une exception démocratique dans le monde arabe semble peu à peu s’effriter. Dissolution du parlement, nouvelle constitution votée dans des conditions contestées, référendum boycotté… Et maintenant, ces vagues d’arrestations et de condamnations.
L’aspect le plus inquiétant, c’est peut-être la banalisation de tout cela. Au début, chaque arrestation faisait scandale. Aujourd’hui, elles s’enchaînent presque sans surprise. C’est précisément contre cette résignation que Chaïma Issa se bat. En refusant de se taire, même en prison, elle rappelle que la liberté ne se négocie pas.
Les femmes en première ligne
Il y a quelque chose de particulièrement poignant dans le fait qu’une femme soit devenue l’une des figures les plus visibles de cette opposition. En Tunisie, les femmes ont toujours été en avance sur les droits. Pensez à la législation sur l’égalité successorale, au code du statut personnel dès l’indépendance. Voir aujourd’hui une militante payer si cher son engagement pose question.
Chaïma Issa incarne cette génération de femmes qui refuse de voir les acquis remis en cause. Son combat dépasse largement sa personne ; il concerne toute une société qui craint de voir reculer des libertés chèrement gagnées.
Et maintenant ?
La situation reste tendue. Chaque jour de grève de la faim augmente l’inquiétude pour sa santé. Des appels à la clémence, à la révision du procès, se multiplient. Mais pour l’instant, le pouvoir semble sourd à ces demandes. Reste à savoir jusqu’où ira cette confrontation.
Ce qui est certain, c’est que l’histoire de Chaïma Issa ne laissera personne indifférent. Elle nous rappelle brutalement que la démocratie, même quand elle a semblé solidement installée, reste fragile. Et que parfois, il faut des individus prêts à tout sacrifier pour la défendre.
En suivant son parcours, on ne peut s’empêcher de penser à toutes celles et ceux qui, dans l’ombre, continuent malgré tout à croire qu’un autre avenir est possible. Espérons simplement que ce sacrifice ne sera pas vain.
(Article rédigé à partir d’informations publiques disponibles au 4 décembre 2025. Plus de 3200 mots.)
