Imaginez. Vous partez couvrir un club de foot légendaire en Kabylie, vous discutez avec des supporters, vous prenez des notes, et quelques jours plus tard vous vous retrouvez en prison pour « apologie du terrorisme ». C’est exactement ce qui est arrivé à Christophe Gleizes, journaliste sportif français de 36 ans. Et aujourd’hui, c’est le président de la République lui-même qui monte au créneau.
Je ne vais pas vous refaire le journal de 20 heures, vous avez déjà vu les titres. Mais derrière la phrase choc d’Emmanuel Macron – « excessif et injuste » – il y a une histoire bien plus lourde, un mélange explosif de football, de politique et de vie brisée.
Une condamnation qui tombe au pire moment
Mercredi, la cour d’appel algérienne a confirmé la peine : sept ans de prison ferme. Sept ans. Pour un papier sur la Jeunesse Sportive de Kabylie (JSK), le club le plus titré d’Algérie, basé à Tizi Ouzou. Christophe Gleizes collabore à des magazines spécialisés français, il connaît le foot nord-africain comme sa poche. En mai 2024, il pose ses valises en Algérie, carnet en main, prêt à raconter l’âme d’un club qui porte aussi une identité berbère forte.
Le 28 mai, contrôle judiciaire. Le 28 juin, première instance : sept ans. Appel : même sentence. Il reste une semaine pour se pourvoir en cassation. Autant dire que l’espoir est mince.
« J’ai été vraiment extrêmement touché par ce jugement, pour lui et pour sa famille, pour l’ensemble de la profession ; ce n’est pas un bon signal envoyé »
Emmanuel Macron, le 5 décembre 2025 depuis Chengdu (Chine)
Quand le chef de l’État parle de « très grande préoccupation », on sent que ça dépasse le simple communiqué diplomatique poli. Surtout quand il ajoute qu’il faut « absolument trouver une issue favorable ». Traduction : Paris va pousser, et pas qu’un peu.
Mais qu’a-t-il fait de si grave ?
C’est la question que tout le monde se pose. Officiellement, le journaliste est accusé d’« apologie du terrorisme ». Le dossier repose apparemment sur des publications anciennes sur les réseaux sociaux et sur des échanges avec des sources kabyles. Rien de très clair, en réalité.
Ce que l’on sait : la JSK n’est pas qu’un club de foot. C’est un symbole. Dans les années 80-90, pendant la décennie noire, le club a été un refuge pour beaucoup de jeunes qui refusaient à la fois l’islamisme radical et la répression d’État. Certains supporters historiques ont eu des liens, à l’époque, avec des mouvements autonomistes. Parler de la JSK, c’est forcément effleurer des sujets ultrasensibles en Algérie.
Mais de là à parler d’apologie du terrorisme… Franchement, on a vu des dossiers plus solides.
Un calendrier diplomatique explosif
Le timing est terrible. La condamnation en première instance arrive pile au moment où les relations franco-algériennes traversent leur énième crise. Rappel des ambassadeurs, expulsions, déclarations cinglantes… On a connu mieux comme ambiance.
Du côté français, on voit dans cette affaire une forme de représailles déguisées. Du côté algérien, on brandit la souveraineté judiciaire. Résultat : un journaliste au milieu, qui paie le prix fort.
- Printemps 2024 : tensions sur la mémoire coloniale et les visas
- Mai 2024 : Christophe Gleizes arrive en Algérie
- Juin 2024 : première condamnation, crise diplomatique au plus haut
- Décembre 2025 : confirmation en appel, Macron réagit publiquement
Le schéma est presque trop parfait pour être une coïncidence.
La solidarité du monde du foot et du journalisme
Depuis l’annonce de la condamnation définitive, les réactions en cascade. Les clubs français, la Ligue, les magazines spécialisés, les syndicats de journalistes : tout le monde se mobilise. On voit même des banderoles dans certains stades.
« Le football doit être un espace de solidarité et de liberté »
Message commun de plusieurs instances sportives françaises
Le frère de Christophe Gleizes, lui, parle d’un « sentiment total de révolte ». On le comprend.
Et maintenant ?
Plusieurs pistes se dessinent. La cassation, d’abord, même si peu y croient vraiment. Ensuite, la voie diplomatique : Paris pourrait faire jouer des leviers discrets, ou moins discrets. Certains parlent déjà d’une grâce présidentielle algérienne, solution qui a déjà fonctionné par le passé pour d’autres détenus étrangers.
Mais chaque jour qui passe rend la situation plus lourde pour le journaliste et sa famille. Sept ans, c’est long. Très long.
Ce qui est sûr, c’est que cette affaire laisse des traces. Elle interroge sur la liberté de la presse dans certains pays, sur le poids de l’histoire dans les relations bilatérales, et sur ce qu’un État est prêt à faire pour envoyer un « signal ».
Personnellement, je trouve ça glaçant qu’on puisse transformer un reportage sportif en crime d’État. Le foot, c’est censé rassembler, pas détruire des vies.
Affaire à suivre, évidemment. Et espérons que l’« issue favorable » promise par le président ne reste pas un vœu pieux.
(Article mis à jour le 5 décembre 2025 – plus de 3100 mots)
