Imaginez-vous partir faire un simple reportage sur le football des années 80 et vous retrouver, quelques semaines plus tard, condamné à sept ans de prison ferme dans un pays où vous n’aviez jamais mis les pieds auparavant. C’est exactement ce qui est arrivé à Christophe Gleizes, 36 ans, journaliste français passionné de sport et de terrain. Et aujourd’hui, 3 décembre 2025, son avenir se joue peut-être à Tizi-Ouzou.
Je ne vous cache pas que cette histoire me hante depuis des mois. Parce qu’elle touche à la fois à la liberté de la presse, aux relations compliquées entre États et à cette zone grise où un simple contact peut être requalifié en crime d’État.
Un reportage qui tourne au cauchemar judiciaire
Tout commence par une idée banale : Christophe Gleizes veut raconter l’âge d’or du football kabyle dans les années 80. Il se rend en Algérie, rencontre des anciens joueurs, des supporters, des dirigeants de clubs. Parmi eux, un homme qui a été cadre du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), organisation classée terroriste par Alger depuis 2021.
Pour le journaliste, c’est juste une source parmi d’autres. Pour les autorités algériennes, c’est une preuve irréfutable d’apologie du terrorisme et de propagation de publications nuisibles à l’intérêt national. Résultat : arrestation, détention provisoire interminable, puis condamnation en première instance à sept ans de prison ferme en juin dernier.
Sept ans. Pour avoir parlé à quelqu’un. On a parfois l’impression de lire un scénario des années de plomb, pas une affaire de 2025.
Le cardinal Vesco, une voix rare depuis l’intérieur
Ce qui rend l’affaire encore plus poignante, c’est le témoignage de l’archevêque d’Alger, le cardinal Jean-Paul Vesco. Cet homme discret a obtenu l’autorisation exceptionnelle de rendre visite à Christophe Gleizes à trois reprises dans sa prison. Et ses mots sont lourds.
« Il force le respect. Vraiment. »
Le cardinal Jean-Paul Vesco, après sa troisième visite
Le religieux décrit un détenu qui ne se plaint jamais, qui reste digne, qui lit beaucoup, qui s’inquiète surtout pour sa famille restée en France. Un homme qui refuse la haine, même quand on pourrait comprendre qu’elle monte.
« J’espère que les juges percevront qu’il n’y a aucune animosité en lui », confie encore le cardinal. « Christophe est complètement en dehors des débats politiques entre États. Ce n’est pas son monde. »
Un climat diplomatique qui s’adoucit… vraiment ?
Depuis l’été, les signaux sont plus encourageants. La grâce accordée mi-novembre à l’écrivain Boualem Sansal, condamné lui aussi pour des motifs politiques, a été perçée comme un geste d’apaisement. Les relations franco-algériennes, tendues depuis des années, semblent entrer dans une phase moins électrique.
Mais sur le terrain judiciaire, rien n’est jamais acquis. Les proches de Christophe Gleizes restent prudents. Ils savent que la justice algérienne fonctionne avec ses propres logiques, parfois très éloignées des standards européens.
- Le procès en appel se tient à Tizi-Ouzou, en pleine Kabylie, région particulièrement sensible pour le pouvoir central.
- Les chefs d’accusation n’ont pas changé : apologie du terrorisme et atteinte à l’intérêt national.
- Aucune preuve matérielle concrète n’a été présentée publiquement, hormis la rencontre avec l’ancien responsable du MAK.
Derrière les barreaux : la réalité quotidienne
Ce que le cardinal raconte des conditions de détention n’a rien de dramatique au sens spectaculaire du terme. Pas de torture physique décrite, pas de violences. Mais une usure lente. Une cellule partagée, des repas frugaux, l’attente interminable, l’isolement relatif.
Christophe Gleizes a perdu du poids. Il lit tout ce qu’on lui apporte – des livres, des journaux quand c’est possible. Il écrit aussi. Beaucoup. Des lettres à sa compagne, à ses parents. Des carnets qu’il remplit méthodiquement.
Et surtout, il garde cette ligne de conduite qui impressionne même ses geôliers : pas de plainte, pas d’amertume affichée, juste une volonté farouche de comprendre ce qui lui arrive.
La Kabylie, éternel point de friction
Pour comprendre pourquoi cette affaire prend de telles proportions, il faut remonter à la question kabyle. Région berbère fière, la Kabylie a toujours entretenu une relation complexe avec le pouvoir central algérien. Le MAK, créé en 2001, réclame l’autodétermination – pacifiquement selon ses partisans, par des actions séparatistes selon Alger.
Depuis 2021 et la classification du mouvement comme organisation terroriste, toute personne soupçonnée de sympathie peut être poursuivie. Même un journaliste français qui pose trois questions pour un papier sur le foot.
C’est cette surenchère sécuritaire qui a transformé un reportage anodin en affaire d’État.
Et maintenant ?
Au moment où j’écris ces lignes, l’audience a commencé à Tizi-Ouzou. Les avocats de Christophe Gleizes plaident la relaxe pure et simple. Ils insistent sur l’absence d’intention criminelle, sur le caractère strictement professionnel de la rencontre incriminée.
Du côté français, la diplomatie reste discrète publiquement mais active en coulisses. On sait que le Quai d’Orsay suit le dossier de très près. Mais personne ne veut brusquer une justice algérienne jalouse de son indépendance.
Alors on croise les doigts. On espère que le climat plus apaisé entre les deux pays jouera en faveur du journaliste. On se dit que sept ans pour un reportage, c’est hors de proportion avec la réalité des faits.
« Ce n’est pas son univers », répète le cardinal Vesco. Et il a tellement raison.
Christophe Gleizes n’est pas un militant. Il n’est pas un activiste kabyle. Il n’est même pas un spécialiste du Maghreb. C’est un gars de 36 ans qui aime le foot, les belles histoires, le terrain. Un journaliste, tout simplement.
Et c’est peut-être ça le plus terrifiant dans cette histoire : n’importe qui, demain, pourrait se retrouver à sa place pour avoir simplement fait son métier.
Je terminerai sur cette phrase du cardinal qui me trotte dans la tête depuis hier : « Il force le respect. »
Dans un monde où beaucoup se plaignent pour un rien, un homme enfermé depuis des mois à des milliers de kilomètres de chez lui refuse la victimisation et garde sa dignité intacte.
Si la justice algérienne veut faire un geste fort aujourd’hui, elle sait ce qu’il lui reste à faire.
Libérer Christophe Gleizes.
