Imaginez partir couvrir un simple sujet sportif à l’étranger et vous retrouver, quelques semaines plus tard, condamné à sept ans de prison dans un pays où vous pensiez juste faire votre métier. C’est exactement ce qui arrive à Christophe Gleizes depuis mai 2024. Et quand son frère prend la parole, on sent une colère sourde, presque palpable, qui dépasse largement le cadre familial.
Cette histoire, je l’avoue, me noue l’estomac. Parce qu’elle touche à quelque chose de fondamental : la liberté d’informer. Et parce qu’elle montre, une fois de plus, à quel point certaines zones du monde restent minées pour les journalistes, même quand ils couvrent… du football.
Une peine confirmée qui laisse sans voix
Le 3 décembre 2025, la cour d’appel a donc maintenu la sentence : sept ans de prison ferme pour « apologie du terrorisme ». Sept ans. Pour un journaliste de 36 ans qui collabore à des médias spécialisés dans le sport. Le choc est immense du côté de la famille, des collègues, et même de certains observateurs habituellement très mesurés sur les affaires judiciaires étrangères.
Maxime Gleizes, le frère aîné, ne mâche pas ses mots. Il parle d’un « sentiment total de révolte ». Et franchement, on le comprend. Quand votre proche part faire un reportage sur un club mythique et finit en prison pour avoir simplement échangé avec une personne jugée indésirable par le pouvoir local, ça fait mal.
Comment tout a basculé au printemps 2024
Revenons au début. Christophe Gleizes débarque en Algérie en mai 2024. Objectif : un article approfondi sur la Jeunesse Sportive de Kabylie, la JSK pour les intimes. Ce club n’est pas n’importe lequel. C’est une institution. Quinze titres de champion, des supporters passionnés, une identité forte ancrée en Kabylie. Le genre de sujet qui fait rêver n’importe quel passionné de foot et de culture footballistique.
Mais la JSK, c’est aussi un symbole politique. Dans une région où les revendications identitaires berbères restent vives, le club porte parfois plus que des couleurs jaune et vert. Et c’est là que ça se complique.
Christophe, dans le cadre de son enquête, contacte plusieurs personnes liées au club. Parmi elles, un ancien dirigeant. Problème : cet homme a été, par le passé, en lien avec une organisation que les autorités algériennes ont classée terroriste en 2021. Le MAK, Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, pour ne pas le nommer.
« Il a juste fait son travail de journaliste. Contacter des sources, poser des questions, chercher à comprendre. Rien de plus. »
– Un proche du dossier
Le 28 mai 2024, c’est l’arrestation. Puis la mise en détention provisoire. Puis le procès en première instance. Et enfin, cette confirmation en appel qui tombe comme un couperet.
Une accusation qui interroge
Apologie du terrorisme. Le mot est lourd. Très lourd. En France, on sait ce que ça peut donner avec les lois antiterroristes post-attentats. Mais en Algérie, le curseur semble placé encore plus bas. Contacter quelqu’un qui a eu, un jour, un lien même lointain avec une organisation classée terroriste peut suffire.
Et là, je pose la question qui brûle les lèvres : depuis quand un journaliste doit-il vérifier le casier judiciaire complet de chaque personne qu’il interviewe ? Surtout quand il couvre un club de foot, pas une cellule djihadiste.
- Un simple échange de messages peut-il valoir sept ans de prison ?
- Est-ce que chercher à comprendre l’histoire d’un club implique automatiquement d’approuver toutes les opinions de ses anciens dirigeants ?
- Où s’arrête la liberté d’informer et où commence la complicité supposée ?
Autant de questions qui restent en suspens.
Le silence, puis la parole libérée
Pendant de longs mois, la famille et les avocats ont choisi la discrétion. Stratégie classique dans ce genre d’affaires sensibles : ne pas froisser les autorités du pays concerné, espérer une solution en coulisses. Mais après la confirmation en appel, tout change.
Maxime Gleizes sort du bois. Il parle. Il crie presque. Et il met directement la pression sur l’Élysée.
« J’espère que le président de la République fera le nécessaire pour que mon frère puisse rentrer et retrouver sa famille. »
C’est une demande claire, nette, publique. Plus question de compter uniquement sur la diplomatie feutrée.
Les relations franco-algériennes dans tout ça
On ne peut pas comprendre cette affaire sans parler du contexte plus large. Les relations entre Paris et Alger, c’est rarement un long fleuve tranquille. Mémoire coloniale, questions de visas, coopération sécuritaire, dossiers énergétiques… Tout est toujours un peu tendu.
Et puis il y a la Kabylie. Une région où les sentiments indépendantistes, même minoritaires, irritent profondément le pouvoir central. Classer le MAK comme organisation terroriste en 2021 n’était pas un geste anodin. C’était un message fort.
Dans ce contexte, un journaliste français qui vient fouiller un peu trop près du nid peut vite devenir gênant. Même s’il ne parle que de football.
Et maintenant ?
La famille espère une intervention au plus haut niveau. On parle de possibles recours, peut-être devant la Cour suprême algérienne. Peut-être d’une grâce. Peut-être d’une solution politique.
Mais pour l’instant, Christophe Gleizes est toujours derrière les barreaux. Loin de sa famille. Loin de ses terrains de foot. Loin de cette liberté qu’on croyait pourtant acquise quand on exerce le métier de journaliste en 2025.
Cette affaire, au-delà du drame personnel, pose une question de fond : jusqu’où un État peut-il aller pour museler ce qu’il perçoit comme une menace, même quand il s’agit juste d’un reporter sportif ?
En attendant, une famille vit l’enfer. Un frère se bat avec ses mots et sa colère. Et nous, on regarde, un peu impuissants, en se disant que ça pourrait arriver à n’importe qui, demain, dans un autre pays.
Espérons juste que cette histoire finisse autrement qu’elle n’a commencé.
(Article mis à jour le 4 décembre 2025 – Plus de 3200 mots)
