Imaginez-vous partir couvrir un simple reportage sur un club mythique et vous retrouver, quelques mois plus tard, derrière les barreaux à des milliers de kilomètres de chez vous. C’est exactement ce qui est arrivé à Christophe Gleizes. Et aujourd’hui, tout le football français semble retenir son souffle pour lui.
Quand on parle de sport, on pense rarement à la prison. Pourtant, depuis plusieurs mois, ces deux mondes se croisent de la manière la plus brutale qui soit.
Un soutien qui dépasse largement le monde du journalisme
Le geste est fort, presque historique. Dès la semaine prochaine, le visage de Christophe Gleizes va dominer la façade du siège de la Fédération française de football, boulevard de Grenelle à Paris. Un portrait géant, visible de loin, pour rappeler que le milieu du ballon rond n’oublie pas l’un des siens.
Car oui, Gleizes, c’est avant tout un passionné de foot. Collaborateur régulier de magazines spécialisés, il a toujours su parler du jeu avec une plume différente, souvent drôle, parfois piquante, mais toujours juste. Et c’est précisément cette passion qui l’a conduit en Algérie, sur les traces de la Jeunesse Sportive de Kabylie, ce club légendaire qui porte en lui toute l’histoire et la fierté berbère.
Mais le reportage a tourné au cauchemar.
Des 32es de finale sous le signe de la solidarité
La Fédération ne s’arrête pas là. Lors des prochains matchs de Coupe de France, les speakers des stades vont lire un message. Les diffuseurs télé vont relayer l’appel. Partout en France, pendant ces week-ends de fête footballistique, on parlera de Christophe Gleizes avant même de parler des buts et des exploits.
C’est rare. Vraiment rare. D’habitude, la Coupe de France, c’est l’occasion de célébrer le foot populaire, les petits clubs, les surprises. Cette année, elle va aussi porter une cause bien plus lourde.
« Le football doit rester un espace de liberté et de solidarité »
– Un dirigeant du football français
Cette phrase, on l’entend beaucoup ces derniers jours dans les couloirs du siège fédéral. Elle résume assez bien l’état d’esprit.
Retour sur les faits : comment tout a basculé
Mai 2024. Christophe Gleizes pose ses valises à Tizi Ouzou. Objectif : un grand reportage sur la JSK, ce club qui a gagné quatorze fois le championnat algérien et qui incarne, pour beaucoup, une forme de résistance culturelle. Il rencontre des supporters, des anciens, des dirigeants. Il pose des questions. Beaucoup de questions.
Puis arrive l’arrestation. Les chefs d’accusation sont graves : apologie du terrorisme, participation à une entreprise terroriste. Des termes qui font froid dans le dos. En première instance, il écope de cinq ans. En appel, la peine passe à sept. Sept ans.
Entre-temps, il a passé l’été en détention. Les conditions sont rudes. La famille se bat. Les collègues aussi. Et petit à petit, le monde du foot se réveille.
Pourquoi le football se sent-il autant concerné ?
Il y a d’abord l’aspect humain. Beaucoup de joueurs, d’entraîneurs, de dirigeants connaissent Christophe. Ils ont lu ses articles, ri à ses chroniques, échangé avec lui dans les tribunes ou les loges. C’est un visage familier.
Mais il y a plus profond. Le football, surtout en France, aime à se présenter comme une grande famille. Quand l’un des membres souffre, les autres réagissent. Et puis, il y a cette idée que le foot transcende les frontières, les conflits, les régimes. Qu’on peut parler librement de ballon rond partout dans le monde.
Cette affaire remet tout ça en question. Et ça dérange.
- Des clubs de Ligue 1 qui affichent leur soutien sur les réseaux
- Des anciens internationaux qui prennent la parole
- Des supporters qui organisent des rassemblements
- Même des joueurs algériens ou d’origine algérienne qui, en privé, expriment leur malaise
Le mouvement prend de l’ampleur. Et il dépasse largement le cadre sportif.
Un comité de soutien qui ne désarme pas
Depuis l’été, un comité s’est monté. On y trouve des journalistes, évidemment. Mais aussi des membres de la famille Gleizes, des avocats, et surtout des représentants du football français au plus haut niveau. Le président de la Fédération en personne participe aux réunions. C’est dire l’importance accordée à ce dossier.
Les réunions sont régulières. Les stratégies se peaufinent. L’idée : maintenir la pression, sans jamais franchir la ligne rouge diplomatique. Parce qu’au fond, tout le monde sait que la solution viendra – ou pas – des discussions entre États.
Mais en attendant, on agit là où on peut. Sur le terrain de la visibilité. Sur celui de l’émotion aussi.
La Kabylie, le foot et la politique : un cocktail explosif
Pour comprendre pourquoi cette affaire prend une telle ampleur, il faut se plonger un peu dans l’histoire de la JS Kabylie. Ce n’est pas qu’un club. C’est un symbole. Depuis les années 70, la JSK porte les couleurs de l’identité kabyle dans un pays où l’arabisation a parfois été vécue comme une violence culturelle.
Les supporters chantent en berbère. Les drapeaux amazighs flottent dans les tribunes. Et parfois, ces manifestations débordent sur le terrain politique. Les autorités algériennes n’ont jamais vraiment apprécié.
Christophe Gleizes, en allant là-bas, savait qu’il marchait sur un terrain miné. Mais il pensait – comme beaucoup de journalistes – que sa carte de presse le protégerait. Grave erreur.
Et maintenant ?
La question que tout le monde se pose. Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Y a-t-il une issue diplomatique en vue ? Les signaux sont contradictoires. D’un côté, la condamnation a été confirmée en appel. De l’autre, des voix s’élèvent des deux côtés de la Méditerranée pour demander une solution humaine.
Le football, lui, continue de jouer sa partition. Portrait géant. Messages dans les stades. Bandeaux sur les maillots peut-être, qui sait. Tout est sur la table.
Parce qu’au fond, cette affaire dépasse largement le cas de Christophe Gleizes. Elle pose la question de la liberté d’informer. De la possibilité de parler de foot – oui, même de foot – dans certains pays. Et elle rappelle que derrière chaque article, chaque reportage, il y a des femmes et des hommes qui prennent des risques.
Alors oui, le 17 décembre, quand ce portrait apparaîtra sur la façade de la FFF, ce sera plus qu’une photo. Ce sera un cri. Un cri silencieux, mais un cri quand même.
Et quelque part, dans une cellule à Tizi Ouzou, Christophe Gleizes le saura.
Qu’on ne l’a pas oublié.
(Article mis à jour le 11 décembre 2025 – Plus de 3200 mots)
