Imaginez-vous suspendu à une corde, à plus de cent mètres sous la surface, dans une obscurité totale où le moindre faux pas peut être le dernier. Et puis, d’un coup, la glissade. La chute. Le choc. C’est exactement ce qui est arrivé à un jeune spéléologue de 27 ans, samedi dernier, dans les entrailles du massif des Bauges en Savoie. Onze heures d’angoisse pure avant de revoir la lumière du jour.
Je vais vous raconter cette histoire comme si j’y étais – parce que, franchement, quand on lit les détails, on s’y croirait presque. Et croyez-moi, ça donne des frissons dans le dos.
Un accident qui aurait pu tourner au drame
Ce n’était pourtant pas une sortie improvisée. Le jeune homme faisait partie d’une équipe expérimentée chargée de contrôler les équipements d’un gouffre très fréquenté : le Fitoja Express. Un classique du coin, mais un classique qui ne pardonne rien.
Vers 15 h 30, alors qu’il progresse dans une zone où la rivière souterraine coule abondamment, il change de corde. Un geste mille fois répété. Sauf que cette fois-là, le sol est trempé, la prise manque, et c’est la chute. Cinq à huit mètres plus bas, directement sur les rochers.
Le pire ? Il est médecin. Dès qu’il touche le sol, il comprend tout de suite la gravité : « J’ai le bassin en miettes ». Quand on connaît le corps humain comme lui, on ne se raconte pas d’histoires.
« Il était dans l’eau, emporté par le courant, et il a sauté une petite cascade. Le choc a été violent. »
– Un membre de l’équipe présent sur place
L’alerte et les premières minutes critiques
Dans ces moments-là, chaque seconde compte. Deux compagnons restent auprès du blessé, sortent la tente de survie, l’installent pour le protéger du froid et de l’eau qui ruisselle partout. Les deux autres remontent en urgence vers la surface. Comptez large : une heure trente de progression technique pour atteindre l’entrée et donner l’alerte.
Pendant ce temps, en bas, le thermomètre plonge. L’hypothermie guette. On parle d’une température à peine au-dessus de 5 °C, avec l’humidité à 100 %. Autant dire que le corps se refroidit très vite.
Une mobilisation exceptionnelle
Une fois l’alerte donnée, c’est tout le dispositif de secours spéléo de la région qui se met en branle. Et quand je dis tout, c’est vraiment tout :
- 42 spéléologues-secouristes (bénévoles ultra-formés)
- 18 sapeurs-pompiers
- 7 CRS spécialisés montagne
- 10 radioamateurs pour assurer les liaisons sous terre
Soit plus de 60 personnes mobilisées dans la nuit savoyarde. Un poste de commandement est même installé dans la salle communale du petit village d’Arith, juste au-dessus du gouffre.
À 20 h 30, les premiers secours atteignent enfin le blessé. Cinq heures après la chute. Cinq heures où il a lutté contre la douleur et le froid, soutenu moralement par ses deux collègues restés à ses côtés.
L’évacuation : un véritable parcours du combattant
L’évacuation commence à 22 heures. Et là, on entre dans le vif du sujet. Imaginez : il faut remonter 120 mètres de dénivellation, dans des galeries parfois très étroites, avec des passages où l’on passe à peine avec une civière classique.
Les équipes utilisent d’abord une civière rigide, puis passent à une demi-civière souple pour franchir les ressauts les plus délicats. Chaque mètre est négocié, chaque mouvement calculé au millimètre.
- Tyroliennes improvisées
- Contre-poids humains pour soulager la charge
- Pauses régulières pour réchauffer le blessé avec des couvertures de survie et des bouillottes chimiques
- Coordination parfaite entre les équipes en surface et sous terre
À certains moments, les secouristes doivent progresser dans l’eau jusqu’à la taille. Le bruit de la rivière souterraine couvre presque les ordres. C’est physique, c’est technique, c’est épuisant.
« On a fait plusieurs pauses pour le réchauffer. Il était conscient tout le temps, il nous parlait, il nous guidait même parfois. Un mental d’acier. »
– Un secouriste engagé dans l’opération
3 heures du matin : la délivrance
Vers 3 heures du matin, enfin, la tête de la civière apparaît à l’entrée du gouffre. Onze heures et demie après l’accident. Le blessé est immédiatement pris en charge par les équipes médicales et transporté à l’hôpital de Chambéry.
Diagnostic : double fracture du bassin. Grave, bien sûr, mais son état est stable et les médecins se montrent rassurants. Avec le temps et une bonne rééducation, il remarchera.
Ce que cet accident nous rappelle cruellement
La spéléologie, ce n’est pas une promenade. Même pour des pratiquants expérimentés, même sur un réseau connu et équipé, le risque zéro n’existe pas. Une seconde d’inattention, une prise mouillée, et tout bascule.
Mais cet accident montre aussi quelque chose de magnifique : la solidarité incroyable de cette communauté. Des bénévoles qui laissent tout tomber un samedi soir pour aller sauver l’un des leurs, au péril de leur propre vie parfois. Des pros et des amateurs qui bossent main dans la main, avec une efficacité redoutable.
La préfète de Savoie n’a d’ailleurs pas manqué de saluer « l’engagement exceptionnel » de tous ces secouristes, professionnels comme bénévoles.
Et après ?
Le jeune médecin, lui, va entamer une longue convalescence. Mais connaissant le personnage – et le milieu spéléo en général –, je parie qu’il sera de retour sous terre un jour. Plus prudent peut-être. Plus humble sûrement. Mais toujours aussi passionné.
Parce que c’est ça aussi, la spéléo : une passion qui vous colle à la peau, même quand elle vous en fait voir de toutes les couleurs.
Prenez soin de vous là-haut… et surtout là-dessous.
Nota bene : toutes les informations de cet article proviennent de témoignages directs et de sources officielles du secours en montagne. Aucun détail n’a été inventé.
