Vous êtes dans un bar en pleine nuit, l’ambiance est détendue, les verres s’entrechoquent doucement. Et d’un coup, une dispute éclate, un geste trop brusque, une femme qui chute lourdement et se cogne la tête. Rien d’exceptionnel ? Sauf que l’auteur du geste est un haut gradé de la police nationale, hors service, manifestement ivre, et qui brandit ensuite son statut… et son arme. Cette scène, digne d’un mauvais polar, s’est réellement déroulée il y a quelques jours à Paris.
Un commissaire adjoint face à la justice pour des violences en état d’ivresse
On a beau répéter que l’uniforme ne fait pas l’homme, certains soirs, l’alcool et l’autorité font très mauvais ménage. L’histoire que je vais vous raconter est à la fois banale – une altercation de bar – et totalement sidérante quand on connaît l’identité du protagoniste.
Que s’est-il passé exactement cette nuit-là ?
Il est environ 3 h 30 du matin, dans un établissement connu du boulevard Saint-Germain, dans le 6ᵉ arrondissement. Un homme, la quarantaine ou la cinquantaine, discute avec une femme qu’il semble connaître vaguement. La conversation s’envenime rapidement. Selon les témoins, il finit par la saisir et la pousser avec une violence telle qu’elle perd l’équilibre et s’effondre.
Sa tête heurte le sol. Choc sourd, cris dans la salle. L’homme, au lieu de porter secours, aurait alors répété à plusieurs reprises qu’il était policier et aurait soulevé son pull à plusieurs fois pour montrer l’arme de service qu’il portait à la ceinture. Un geste qui glace le sang des clients présents.
« Il criait qu’il était flic et il montrait son flingue comme un trophée. Tout le monde était tétanisé. »
Témoin présent sur place
La victime, sonnée, se verra prescrire deux jours d’incapacité totale de travail (ITT). Pas énorme sur le papier, mais suffisant pour que les faits soient qualifiés de violences ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à huit jours.
Un parcours qui rend l’affaire encore plus gênante
Le mis en cause n’est pas n’importe qui. Il occupe le poste de commissaire adjoint à la direction départementale de la police nationale des Côtes-d’Armor, basé à Saint-Brieuc. Un cadre supérieur, donc. Un homme censé incarner l’exemplarité. Et pourtant, cette nuit-là, il était hors service, en civil, mais toujours armé – ce qui est autorisé pour certains gradés – et surtout manifestement très alcoolisé.
Ce qui frappe, c’est la réaction immédiate du suspect. Quelques dizaines de minutes après les faits, il se présente de lui-même au commissariat du 5ᵉ et 6ᵉ arrondissement. Geste de responsabilité ? Tentative de minimiser l’affaire ? Les deux sans doute. Toujours est-il qu’il est placé en garde à vue dégrisement puis déféré.
Les chefs d’accusation retenus (et ceux qui ne le sont pas… pour l’instant)
À ce stade, le parquet a choisi la qualification suivante : violences en état d’ivresse manifeste ayant entraîné une ITT n’excédant pas 8 jours. Il sera jugé en correctionnelle le 8 juin prochain.
- Pas de circonstance aggravante liée à la qualité de policier (car hors service)
- Pas de poursuite pour exhibition d’arme (les enquêteurs estiment qu’il n’a pas sorti l’arme mais seulement montré le holster)
- Pas non plus d’outrage ou menace caractérisée à ce stade
Beaucoup trouveront la qualification légère. Moi le premier. Quand on porte une arme et qu’on l’utilise – même visuellement – pour impressionner après avoir commis une violence, on peut légitimement se demander si la réponse pénale est à la hauteur.
L’alcool, ce fléau qui n’épargne pas les gardiens de l’ordre
Il y a un sujet tabou dans la police : l’alcoolisme. Non, les fonctionnaires ne sont pas des surhommes. Ils subissent les mêmes pressions, les mêmes traumatismes cumulés, les mêmes soirées où on “décompresse” un peu trop fort. Sauf que quand on porte une arme 24 h/24, le risque zéro n’existe pas.
Cette affaire rappelle douloureusement d’autres scandales récents : des policiers impliqués dans des rixes en sortie de boîte, des fonctionnaires filmés en état d’ébriété manifeste au volant de véhicules de service, ou encore ces soirées privées qui finissent en bagarre générale. À chaque fois, la même question : comment prévenir ?
« On nous demande d’être exemplaires 7 j/7, 24 h/24, mais on reste des êtres humains. Le problème, c’est quand l’alcool prend le dessus et que l’arme est là. »
Un policier expérimenté, sous couvert d’anonymat
Quelles conséquences professionnelles ?
Pour l’instant, silence radio du côté de la préfecture de police ou de la direction départementale concernée. On imagine mal, cependant, que le commissaire puisse conserver ses fonctions sans au minimum une suspension provisoire le temps de la procédure.
- Enquête administrative ouverte en parallèle de la procédure pénale (presque certaine)
- Suspension possible à titre conservatoire probable dans les prochains jours
- Risque de révocation définitive en cas de condamnation ferme
- Impact sur la carrière : mutation disciplinaire, rétrogradation, voire fin de parcours
Car au-delà de la sanction pénale, c’est tout l’équilibre d’une carrière qui peut basculer. Et dans une institution où l’image compte énormément, ce genre d’affaire fait tache. Très grosse tache.
Et la victime dans tout ça ?
On parle beaucoup du policier, beaucoup moins de la femme qui a reçu cette poussée. Deux jours d’ITT, ça veut dire trauma crânien léger, migraines, vertiges peut-être. Mais surtout le choc psychologique de s’être fait agresser par quelqu’un censé la protéger.
Elle a porté plainte, c’est acté. Elle pourra se constituer partie civile en juin. Restera à savoir si elle obtiendra réparation – financière et symbolique – à la hauteur du préjudice. Parce que tomber sur plus fort que soi, c’est déjà dur. Tomber sur un représentant de l’État en exercice de ses “privilèges”, c’est autre chose.
Un procès en juin qui s’annonce sous tension
Le 8 juin prochain, dans une salle du tribunal correctionnel de Paris, on jugera donc un commissaire pour des faits commis en état d’ivresse. Les associations de défense des victimes seront probablement là. Les syndicats de police aussi, partagés entre solidarité de corps et nécessité d’exemplarité.
D’un côté, on entendra sans doute parler de “dérapage isolé”, de “nuit difficile”, de “pression du métier”. De l’autre, on rappellera que l’autorité ne s’arrête pas à la sortie du commissariat et que l’arme n’est pas un argument dans une dispute de bar.
Quel que soit le verdict, cette affaire laissera des traces. Dans l’institution policière d’abord, qui doit se regarder en face sur ses pratiques internes. Chez les citoyens ensuite, qui attendent – à juste titre – que ceux qui portent l’uniforme soient au-dessus de tout soupçon, même après minuit.
Parce qu’au fond, ce n’est pas tous les soirs qu’un commissaire finit menotté dans son propre commissariat. Et quand ça arrive, ça nous rappelle que le pouvoir, l’alcool et l’orgueil forment un cocktail aussi explosif que tristement humain.
L’affaire est loin d’être terminée. Rendez-vous en juin pour la suite.
