Imaginez-vous à 65 ans, fatigué mais encore vaillant, en train de recevoir votre relevé de pension. Le chiffre qui s’affiche est correct… mais nettement moins confortable que ce que vos parents touchaient à votre âge. C’est la réalité qui nous pend au nez, et c’est exactement pour essayer d’éviter ce scénario – ou du moins l’atténuer – que s’ouvre ce matin même la grande conférence sur le travail, l’emploi et surtout les retraites.
Franchement, on a l’impression de revivre le même film tous les cinq ans. Sauf que cette fois, le gouvernement a décidé de passer la patate chaude aux partenaires sociaux avant même de dégainer une nouvelle loi controversée. Malin ou simplement prudent ? Un peu des deux, sans doute.
Une conférence sous très haute tension démographique
Le décor est planté au Conseil économique, social et environnemental, ce bel endroit où l’on discute beaucoup pour, parfois, accoucher d’une souris. Mais cette fois, le sujet est brûlant : comment financer les retraites quand la population active fond comme neige au soleil et que les baby-boomers partent massivement à la retraite ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. D’ici 2030, le ratio cotisants/retraités va passer sous la barre des 1,5 dans plusieurs régimes. Autrement dit, il y aura bientôt moins d’un actif et demi pour payer la pension d’un retraité. Vous voyez le problème ? Moi, très clairement.
Pourquoi maintenant, et pas après la présidentielle ?
Bonne question. Officiellement, c’est pour « construire ensemble » et trouver des consensus avant 2027. En réalité, personne n’a envie de porter seul le prochain projet de réforme qui, quoi qu’on fasse, sera impopulaire. Mieux vaut partager la responsabilité – et les critiques.
Le calendrier est d’ailleurs révélateur : six mois de discussions, des groupes de travail thématiques, et une restitution finale au printemps 2026. Juste assez tôt pour que les propositions (ou l’absence de propositions) pèsent lourd dans la campagne présidentielle. Stratégie classique.
Les sujets qui vont forcément fâcher
On ne va pas se mentir : certains thèmes vont revenir sur la table, qu’on le veuille ou non. Et ils ont tous un point commun – ils touchent au porte-monnaie ou à l’âge de départ.
- L’âge légal de départ : 64 ans aujourd’hui, mais pour combien de temps ? Beaucoup d’experts estiment qu’il faudra aller vers 65, voire 66 ans d’ici dix à quinze ans.
- La durée de cotisation : déjà 43 ans pour la génération 1973, elle continuera d’augmenter mécaniquement.
- Le niveau des pensions : la fameuse « désindexation partielle » sur l’inflation refait surface dans les couloirs. Traduction : les retraites augmenteraient moins vite que les prix.
- Les régimes spéciaux : toujours dans le viseur, même si la réforme précédente en a déjà supprimé beaucoup pour les nouveaux entrants.
- L’emploi des seniors : seulement 56 % des 55-64 ans travaillent en France, contre plus de 70 % dans certains pays voisins. Un gisement énorme… mais qui demande de changer profondément les mentalités en entreprise.
« On ne peut plus se permettre de mentir aux Français sur la soutenabilité du système. »
Un haut responsable syndical, en off
Les pistes qui pourraient (presque) faire consensus
Parce qu’il n’y a pas que des mauvaises nouvelles. Certaines idées circulent et rencontrent un écho plutôt favorable, même chez des acteurs habituellement opposés.
Par exemple, développer massivement l’épargne retraite individuelle. Le Plan d’Épargne Retraite (PER) existe depuis 2019, mais il reste sous-utilisé, surtout chez les classes moyennes et populaires. Baisser les frais, simplifier les sorties, rendre le dispositif plus attractif : tout le monde semble d’accord là-dessus.
Autre sujet qui avance : la pénibilité. Après des années de blocage, on commence à reconnaître que tous les métiers ne sont pas égaux face à l’usure professionnelle. Un compte pénibilité réellement opérationnel, avec des départs anticipés financés autrement que par les seules entreprises ? Ça pourrait passer.
L’emploi des seniors, le grand tabou français
Si je devais parier sur le sujet qui va occuper le plus de temps, c’est bien celui-là. On peut toujours jouer sur l’âge ou les cotisations, mais tant que le taux d’emploi des plus de 55 ans restera aussi bas, le système restera fragile.
Et là, c’est un problème culturel profond. En France, on considère souvent qu’à partir de 55 ans, on est « vieux » pour le marché du travail. Résultat : licenciements déguisés, plans seniors qui servent surtout à pousser vers la sortie, formation continue réservée aux plus jeunes… La liste est longue.
Certains pays ont réussi à inverser la tendance. En Allemagne ou dans les pays nordiques, maintenir les seniors en activité fait partie de la culture d’entreprise. Chez nous ? On préfère souvent embaucher un jeune à moindre coût. C’est humainement compréhensible, économiquement discutable, et surtout catastrophique pour les retraites.
Et les femmes dans tout ça ?
Impossible de parler retraites sans aborder la question de l’égalité femmes-hommes. Aujourd’hui encore, les pensions des femmes sont en moyenne 40 % inférieures à celles des hommes. Interruptions de carrière, temps partiel subi, écarts salariaux… tout concourt à creuser l’écart.
Des mesures existent déjà (majorations pour enfants, trimestres pour maternité), mais elles restent insuffisantes. La conférence pourrait être l’occasion d’aller plus loin : validation automatique des périodes de temps partiel, revalorisation des petites pensions, prise en compte réelle des aidants familiaux… Il y a de la marge.
Le rôle des retraites complémentaires
Petit rappel utile : en France, on a deux étages. Le régime de base (CNAV et assimilés) et les complémentaires (Agirc-Arrco pour le privé). Ces dernières représentent souvent 50 à 60 % de la pension des cadres. Et devinez quoi ? Elles sont gérées paritairement par les partenaires sociaux eux-mêmes.
Du coup, quand on parle de « conférence sociale », c’est aussi l’occasion pour les syndicats et le patronat de montrer qu’ils sont capables de s’entendre sur des mesures difficiles. L’Agirc-Arrco a déjà prouvé par le passé qu’elle pouvait prendre des décisions courageuses (bonus-malus temporaire, fusion des régimes). Va-t-elle remettre la main à la poche ? C’est probable.
Ce qui pourrait vraiment sortir de ces six mois
Soyons réalistes. Personne n’attend une grande réforme clef en main à l’issue de cette conférence. L’objectif affiché est plus modeste : identifier les points de convergence et les sujets qui nécessiteront une loi.
Mais dans les couloirs, on parle déjà d’un possible « pacte retraites-emploi » qui pourrait inclure :
- Des incitations fiscales renforcées pour l’épargne retraite
- Un nouveau contrat seniors en entreprise avec des objectifs chiffrés
- Une refonte du compte pénibilité
- Des mesures spécifiques pour les carrières longues et les petites pensions
- Peut-être – peut-être – un mécanisme automatique d’ajustement de l’âge en fonction de l’espérance de vie (l’idée qui fait hurler à gauche)
Rien n’est acté, bien sûr. Mais l’exercice a au moins le mérite de remettre tout le monde autour de la table avant que la situation devienne vraiment critique.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Personnellement, je trouve que cette conférence arrive au bon moment. On a trop longtemps fait l’autruche sur les retraites, en se contentant de repousser l’âge légal à coups de réformes mal expliquées et mal acceptées.
Cette fois, on a six mois devant nous pour discuter sérieusement, avec les chiffres sur la table et sans tabou. Est-ce qu’on va y arriver ? Franchement, j’ai des doutes. Mais l’espoir fait vivre, et tant qu’on parle, on ne se bat pas dans la rue.
Une chose est sûre : quel que soit le résultat de ces discussions, nos retraites de demain se jouent en grande partie dès aujourd’hui. Alors croisons les doigts pour que la raison l’emporte sur les postures.
Et vous, vous pensez qu’on va enfin trouver un terrain d’entente durable ? Ou c’est encore parti pour six mois de discussions stériles avant une énième réforme imposée ? Dites-le moi en commentaire, ça m’intéresse vraiment.
