Imaginez-vous en terrasse, un soir d’été, face à la mer, en train de savourer une glace artisanale. Et soudain, une explosion déchire la nuit. Ce n’est pas le scénario d’un film, c’est ce qui s’est réellement passé à plusieurs reprises dans une petite ville côtière de Corse. Un commerce banal, un glacier, est devenu le théâtre d’une guerre silencieuse entre clans. L’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui montre à quel point, parfois, les rivalités locales peuvent dégénérer jusqu’à l’impensable.
Un glacier pris pour cible à trois reprises
Entre l’été 2020 et l’hiver 2021, le glacier La Marine, situé en plein cœur du port de Propriano, a subi pas moins de trois attaques à l’explosif. La première, en avril 2020, a déjà fait de gros dégâts. Les deux suivantes, en août 2020 puis en janvier 2021, ont achevé de réduire le commerce en miettes. Les propriétaires, un couple venu du continent, se sont retrouvés à reconstruire leur outil de travail à chaque fois, dans la peur et l’incompréhension.
Ce qui frappe, c’est la violence du procédé. On ne parle pas de simples tags ou de vitrines brisées. Non, des charges explosives fixées avec soin, du scotch, des détonateurs. Du travail presque professionnel. Et derrière ces actes, une intention claire : faire plier les propriétaires pour récupérer le fonds de commerce à bas prix.
Les peines prononcées à Ajaccio
Ce mardi, le tribunal correctionnel d’Ajaccio a rendu son verdict. Quatre hommes ont été reconnus coupables et condamnés à des peines lourdes :
- Tarik El Fettouhi : 5 ans de prison ferme. Son ADN retrouvé sur le scotch ayant servi à fixer la charge lors du premier attentat a pesé lourd.
- Joseph Mocchi, Appien Coti et Don Jacques Serreri : 8 ans de prison ferme chacun, 100 000 euros d’amende et interdiction de port d’arme pendant cinq ans.
En plus des peines de prison, les quatre condamnés devront verser solidairement 250 000 euros aux propriétaires à titre provisionnel. Un signal fort envoyé par la justice insulaire.
« Une condamnation sans fondement, sans preuve, sans justice et sans proportion »
Me Emmanuel Molina, avocat de la défense
Un dossier basé sur des écoutes et une trace ADN
Comment en est-on arrivé là ? Tout a commencé avec des enquêtes classiques : écoutes téléphoniques, filatures, perquisitions. Les enquêteurs ont reconstitué un schéma selon lequel Don Jacques Serreri, soutenu par son beau-frère et un ami, aurait orchestré les attentats pour forcer la vente du glacier à vil prix.
La pièce maîtresse pour Tarik El Fettouhi ? Une trace ADN sur un bout de ruban adhésif. Rien d’autre. Et c’est précisément ce point qui fait bondir sa défense :
« Si aujourd’hui en France on peut condamner à cinq ans de prison sur la base simplement d’une trace ADN sur un morceau de scotch, je m’inquiète un petit peu pour la justice »
Me Santa Lucchini, avocate de Tarik El Fettouhi
Difficile de ne pas se poser la question : une trace génétique suffit-elle à envoyer quelqu’un derrière les barreaux aussi longtemps ? Surtout quand l’intéressé clame son innocence et qu’aucun témoin direct ne le place sur les lieux.
La défense crie au procès bâclé
Tous les prévenus ont nié en bloc. Pendant l’audience, plusieurs témoins sont venus contester les interprétations des écoutes. Des phrases sorties de leur contexte, des menaces supposées qui n’en étaient pas… La défense a tout tenté pour démonter le dossier pièce par pièce.
Ils avaient même demandé le dépaysement du procès, estimant qu’un tribunal continental aurait été plus impartial. Refusée. Résultat : tous les avocats ont annoncé faire appel. Cette affaire est loin d’être terminée.
Derrière l’affaire, la question des clans corses
On ne peut pas parler de cette histoire sans évoquer le contexte insulaire. En Corse, les rivalités familiales ou villageoises peuvent parfois prendre des tournures extrêmes. Ce n’est pas nouveau. Ce qui choque davantage aujourd’hui, c’est la cible : un commerce touristique, tenu par des continentaux, dans une ville plutôt paisible comme Propriano.
Est-ce une dérive mafieuse ? Le terme est fort, mais il revient souvent. Ces dernières années, l’île a connu plusieurs affaires d’extorsion sur des commerces saisonniers. Des restaurants, des bars, des hôtels… Le schéma est souvent le même : pression, intimidation, parfois violence, pour racheter à bas prix ou imposer une « protection ».
Ce qui est sûr, c’est que les habitants et les élus en ont assez. On se souvient des manifestations « anti-mafia » ces derniers mois. Les Corses veulent montrer qu’ils refusent cette image de l’île où tout se règle à coups d’explosifs ou de fusils.
Et les victimes dans tout ça ?
On parle beaucoup des condamnés et de la défense, mais rarement du couple qui tenait le glacier. Originaires des Hautes-Alpes, ils avaient tout quitté pour réaliser leur rêve : ouvrir un commerce de glaces en Corse. Trois attentats plus tard, leur outil de travail est détruit, leur vie bouleversée.
Les 250 000 euros provisionnels, c’est un début. Mais ça ne remplacera jamais la tranquillité perdue. Ni les nuits blanches à se demander si la prochaine explosion sera la dernière.
Vers un durcissement de la lutte contre le banditisme ?
Cette condamnation, même si elle est contestée, envoie un message. La justice semble décidée à taper fort. Les peines correspondent presque exactement aux réquisitions du procureur. Un signe que le temps de la clémence est révolu face à ce genre de faits.
Mais tant que les appels n’auront pas été jugés, difficile de crier victoire. Et surtout, tant que les racines profondes de ces rivalités ne seront pas traitées, d’autres commerces risquent de subir le même sort.
Ce qui me frappe personnellement dans cette affaire, c’est à quel point un conflit qui semble dérisoire – la propriété d’un glacier – peut dégénérer au point de détruire des vies. C’est peut-être ça, le plus triste. Derrière les explosifs et les peines de prison, il y a des familles brisées, des rêves en miettes et une île qui lutte pour ne pas sombrer dans la caricature.
Affaire à suivre, donc. Très attentivement.
