Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller un dimanche matin tranquille et d’apprendre qu’un pays entier bascule dans l’inconnu en quelques minutes ? C’est exactement ce qui s’est passé aujourd’hui au Bénin. Moi qui suis l’actualité africaine depuis plus de quinze ans, j’avoue que cette nouvelle m’a laissé sans voix pendant quelques secondes. Des militaires qui débarquent à la télévision publique pour annoncer qu’ils démettent le président en exercice… On croirait revivre les années 70 ou 80, mais nous sommes en 2025.
Un dimanche matin qui tourne au cauchemar politique
Vers 8 heures ce matin, heure de Cotonou, la télévision nationale béninoise a brutalement interrompu ses programmes habituels. À l’écran, plusieurs officiers supérieurs en treillis, l’air grave, ont pris la parole. Leur message était clair et glacial : le président Patrice Talon est « démis de ses fonctions avec effet immédiat ».
Je me souviens encore de la dernière fois où j’ai vu une scène similaire. C’était au Mali, puis au Burkina, puis au Niger… Mais le Bénin ? Ce petit pays d’Afrique de l’Ouest qu’on présentait souvent comme un modèle de stabilité démocratique dans la région ? Franchement, personne ne l’avait vu venir à ce point.
« Par mesure de sécurité, nous vous invitons à rester à votre domicile jusqu’à nouvel ordre »
Message officiel de l’ambassade de France aux ressortissants français au Bénin, 7 décembre 2025
Cette phrase, envoyée par SMS à des milliers de Français vivant au Bénin, en dit long sur la gravité de la situation. Quand une ambassade prend la peine d’envoyer un tel message un dimanche matin, c’est que les choses sont sérieuses. Très sérieuses.
Que sait-on exactement à cette heure ?
Les informations arrivent au compte-gouttes, et c’est bien ça le plus inquiétant. Voici ce que l’on peut considérer comme acquis pour le moment :
- Des coups de feu ont été entendus très tôt ce matin près du Camp Guezo, une caserne stratégique située à proximité immédiate de la résidence présidentielle
- La télévision d’État a diffusé une déclaration signée par plusieurs hauts gradés de l’armée béninoise
- L’accès à Internet semble fortement perturbé dans tout le pays (beaucoup d’observateurs parlent d’une coupure volontaire)
- Les frontières terrestres et l’aéroport international de Cotonou seraient fermés
- Aucune image du président Talon n’a été diffusée depuis hier soir
Pour l’instant, les militaires putschistes (appelons un chat un chat) n’ont pas précisé s’ils ont le président en leur pouvoir ou s’il a réussi à s’échapper. Cette incertitude alimente toutes les spéculations.
Patrice Talon, l’homme qui dérangeait trop ?
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut revenir un peu en arrière. Patrice Talon, magnat du coton devenu président en 2016, puis réélu en 2021 dans des conditions très controversées, ne s’est jamais fait que des amis.
Souvenez-vous : en 2021, son principal opposant, Reckya Madougou, avait été emprisonnée avant même le scrutin. Joël Aïvo, autre figure de l’opposition, avait subi le même sort. Beaucoup parlaient alors d’une dérive autoritaire. Moi le premier, j’avais trouvé que le Bénin prenait un virage inquiétant.
Mais Talon avait aussi ses défenseurs. Il faut lui reconnaître une chose : économiquement, le pays a connu une croissance impressionnante sous sa présidence. Les infrastructures se sont multipliées, le port de Cotonou s’est modernisé, les recettes du coton ont explosé. Pour certains Béninois, c’était le prix à payer pour le développement.
Le problème, c’est que cette réussite économique semble avoir masqué une réalité plus sombre : une concentration croissante du pouvoir entre les mains d’un seul homme et de son cercle proche.
L’armée béninoise, cette grande muette qui ne l’était plus
Ce qui surprend le plus dans cette affaire, c’est le rôle de l’armée. Historiquement, les militaires béninois n’ont jamais été très portés sur les coups d’État. Depuis l’indépendance, le pays n’a connu que deux brèves parenthèses militaires, et encore, dans des contextes très différents.
Alors qu’est-ce qui a poussé ces officiers à franchir le Rubicon aujourd’hui ? Plusieurs hypothèses circulent :
- Une tentative de Talon de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat (rumeur persistante depuis plusieurs mois)
- Des tensions internes à l’armée après la nomination de proches du président à des postes stratégiques
- La crainte d’une contagion régionale : avec le Mali, le Burkina et le Niger déjà sous régime militaire, certains officiers auraient voulu « prendre les devants »
- Des motivations plus personnelles ou financières (c’est toujours possible, malheureusement)
Personnellement, je penche pour une combinaison des points 1 et 2. L’histoire nous a montré que les armées africaines réagissent souvent quand elles se sentent menacées dans leurs prérogatives ou quand le pouvoir civil veut trop les contrôler.
La communauté internationale entre stupeur et calculs
À l’heure où j’écris ces lignes, les réactions officielles restent très prudentes. La France, ancienne puissance coloniale et partenaire privilégié du Bénin, s’est contentée de son message de sécurité aux ressortissants. Pas un mot sur la légitimité ou non du mouvement militaire.
L’Union africaine ? Silence radio pour l’instant. La CEDEAO ? On attend la réunion d’urgence qui devrait se tenir dans les prochaines heures. Vous souvenez-vous de leur réaction face aux putschs au Sahel ? Suspensions, sanctions, menaces… mais au final peu d’efficacité.
Et c’est peut-être là que réside le vrai danger. Si la communauté internationale se montre une nouvelle fois incapable de réagir avec fermeté et unité, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui risque de basculer dans une vague de putschs en cascade.
L’Afrique de l’Ouest est devenue ces dernières années le champion du monde des coups d’État. Si le Bénin tombe à son tour, c’est tout l’édifice démocratique régional qui s’écroule.
Un diplomate africain expérimenté qui a requis l’anonymat
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
L’avenir du Bénin se jouera dans les prochaines heures, peut-être les prochains jours. À mon avis, trois scénarios principaux se dessinent :
Scénario 1 : La consolidation rapide du putsch
Les militaires contrôlent déjà les points stratégiques, le président est neutralisé, et dans quelques jours ils annoncent une « transition » de deux ou trois ans. C’est ce qui s’est passé presque partout ailleurs dans la région.
Scénario 2 : La résistance de Talon
Et s’il avait réussi à s’enfuir ? S’il organisait la contre-attaque depuis Porto-Novo ou depuis l’étranger ? Des poches de résistance loyalistes pourraient se former et le pays plonger dans une guerre civile larvée.
Scénario 3 : Le compromis à l’africaine
Les militaires font marche arrière sous pression internationale, Talon accepte de partir « dignement », et on organise des élections anticipées sous contrôle régional. C’est le scénario que tout le monde espère… mais que personne n’ose vraiment croire possible.
Ce que cette crise nous dit de l’Afrique en 2025
Au-delà du cas béninois, cette crise (car c’en est une, quoi qu’il arrive) pose des questions beaucoup plus larges. Comment se fait-il que près de soixante-cinq ans après les indépendances, certains pays africains en soient encore à régler leurs différends politiques par des coups d’État ?
J’ai passé des années à défendre l’idée que l’Afrique progressait, que la démocratie prenait racine, que la nouvelle génération allait tout changer. Force est de constater que la réalité est plus nuancée. Voire carrément déprimante par moments.
Le problème fondamental, à mon sens, reste le même qu’il y a trente ans : l’absence de véritables alternances pacifiques au sommet de l’État. Quand un président s’accroche au pouvoir, modifie la Constitution pour rester, emprisonne ses opposants… il crée les conditions parfaites pour qu’un jour, un colonel mécontent prenne son fusil et dise « assez ».
Le Bénin d’aujourd’hui nous renvoie une image cruelle : même les « bons élèves » de la démocratie africaine peuvent basculer en une nuit.
En attendant la suite des événements…
À l’heure où je termine cet article, la situation reste extrêmement confuse. Les chaînes internationales tournent en boucle sur les mêmes images : des militaires devant le palais, des rues désertes à Cotonou, des habitants qui se terrent chez eux.
Une chose est sûre : ce 7 décembre 2025 restera dans l’histoire du Bénin. Soit comme le jour où le pays a définitivement basculé dans l’ère des juntes militaires. Soit comme celui où il a réussi, contre toute attente, à sauver sa démocratie.
Pour ma part, je reste devant mes écrans, à actualiser frénétiquement les réseaux (quand ils fonctionnent) et à attendre le prochain communiqué. Parce que dans ce genre de situation, tout peut basculer en quelques minutes.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le Bénin va-t-il rejoindre le club tristement célèbre des républiques bananières à uniforme ? Ou allons-nous assister à un sursaut démocratique inattendu ?
L’histoire est en train de s’écrire sous nos yeux. Et quelque part, ça fait peur. Mais ça fascine aussi.
(Article mis à jour en continu selon l’évolution de la situation)
