Vous souvenez-vous de ce frisson quand, gamin, vous regardiez la Coupe de France en vous disant que n’importe qui pouvait battre n’importe qui ? Ce samedi-là, dans un stade de Seine-Saint-Denis trempé par la pluie d’hiver, on a cru revivre ça. Un club de quartier face à une équipe normande bien installée en National 2, un scénario à suspense, des tirs au but… et puis, deux jours plus tard, bam : réclamation déposée. L’histoire d’amour entre le football amateur et la magie de la Coupe prend parfois des tournures un peu amères.
Quand la joie laisse place au doute
Reprenons depuis le début. Samedi après-midi, 8e tour de la Coupe de France. Le FC Montreuil, qui évolue en Régional 1, reçoit l’US Granville, pensionnaire de National 2. Sur le papier, le favori est clair. Dans les faits, les joueurs en blanc vont tenir tête, égaliser en fin de match et arracher la qualification aux tirs au but, 4-3. Scènes de liesse, selfies avec les gamins du quartier, les réseaux sociaux s’enflamment : Montreuil devient le dernier rescapé de Seine-Saint-Denis et rêve déjà d’un gros au tour suivant.
Mais dimanche matin, l’ambiance change du tout au tout.
Le club normand, encore sonné par l’élimination, épluche les feuilles de match et les historiques de suspension. Et là, coup de tonnerre interne : plusieurs joueurs adverses figureraient sur la liste des suspendus et n’auraient donc jamais dû fouler la pelouse. Lundi, communiqué sec et dossier envoyé à la Fédération. L’affaire est lancée.
Que reproche exactement Granville ?
Sans rentrer dans les noms – ce serait trop facile et surtout pas fair-play – les Normands affirment avoir repéré des cartons oubliés, des matchs de suspension non purgés, bref tout ce qui peut arriver quand on gère des effectifs à la main dans le football amateur. Vous savez, ces fameux « troisième carton jaune en moins de dix matchs » ou « expulsion en coupe régionale qui entraîne un match ferme ». Des détails qui paraissent anodins quand on prépare un exploit, mais qui peuvent tout faire basculer après coup.
« Disposant d’éléments concrets, nous avons transmis dès ce matin l’ensemble de notre dossier aux autorités compétentes. »
Extrait du communiqué officiel de l’US Granville
Le ton est posé, presque administratif. Pas d’attaque personnelle, juste des faits. Et c’est peut-être ça le plus inquiétant pour Montreuil : quand un club sort un communiqué comme celui-là, c’est rarement du bluff.
Le règlement ne pardonne pas
En Coupe de France, aligner un joueur suspendu, c’est la sanction automatique : défaite sur tapis vert, 3-0. Point final. On l’a vu des dizaines de fois. Parfois ça concerne des clubs pros (souvenez-vous de certains 32es où des recours ont fait parler), mais c’est encore plus fréquent chez les amateurs où les secrétaires bénévoles jonglent entre trois compétitions et où une erreur d’inattention arrive vite.
- Cartons accumulés en championnat régional
- Expulsion en coupe départementale oubliée
- Match de suspension reporté à tort
- Mauvaise interprétation du règlement sur les « matchs à risque »
Toutes ces petites lignes dans les règlements que personne ne lit avant qu’il soit trop tard. Et quand ça arrive, c’est toujours la même chanson : « On pensait que… », « On nous avait dit que… ». Sauf que la commission de discipline, elle, ne fonctionne pas aux états d’âme.
Montreuil, le petit poucet qui fait rêver le 93
De l’autre côté, le silence. Pour l’instant en tout cas. Le club de Montreuil n’a pas répondu publiquement. Et on peut le comprendre. Quand vous venez d’éliminer un club de N2 après une séance de tirs au but folle, la dernière chose que vous voulez, c’est parler paperasse. Vous voulez fêter, rêver au tirage, imaginer recevoir le PSG ou Rennes devant 3000 personnes dans votre stade rénové il y a deux ans.
Montreuil, c’est un peu le symbole de ce football de quartier qui résiste. Un club historique du 93, des éducateurs qui bossent dur, des gamins qui viennent de partout. Arriver en 32es de finale, pour eux, c’est déjà énorme. Perdre ça sur une erreur administrative ? Ce serait cruel. Vraiment.
Mais le foot amateur, c’est aussi ça : la passion chevillée au corps et, parfois, les pieds dans la réalité administrative.
Et maintenant ?
La Fédération va étudier le dossier dans les prochains jours. Le tirage au sort du 9e tour a lieu ce lundi soir au Parc des Princes, mais Montreuil pourrait très bien figurer « sous réserve ». On l’a déjà vu par le passé : des clubs qualifiés un soir, disqualifiés une semaine plus tard.
Pire, si la réclamation est acceptée, Granville récupère la place et se retrouve dans le chapeau avec les clubs de Ligue 1. Ironie du sort.
J’ai un peu mal au cœur en écrivant ça, je l’avoue. Parce que dans cette histoire, il n’y a pas de méchant. Il y a juste deux clubs qui se sont battus comme des lions sur le terrain et qui, maintenant, se retrouvent dans les méandres du règlement. Le football, parfois, c’est aussi ça : un sport magnifique qui peut se jouer dans les bureaux autant que sur la pelouse.
Ces précédents qui font réfléchir
Ce n’est pas la première fois qu’une qualification se joue après le coup de sifflet final. Rappelez-vous il y a quelques années un 7e tour où un club avait aligné un joueur muté trop tard. Ou cette autre affaire où un gardien suspendu avait joué… parce que le secrétaire avait mal lu la date. À chaque fois, la sanction tombe. Inflexible.
Et pourtant, à chaque fois, on se dit la même chose : est-ce que c’est vraiment l’esprit de la Coupe de France ? Cette compétition qui est censée faire rêver, récompenser l’abnégation, le cœur… doit-elle se terminer sur une faute de frappe dans un tableur Excel ?
Je ne sais pas. Peut-être que oui, parce que les règles sont les règles. Peut-être que non, parce qu’on parle de bénévoles qui donnent tout pour leur club. En attendant, une chose est sûre : ce soir, au moment du tirage, beaucoup de supporters de Montreuil vont retenir leur souffle.
Un épilogue encore incertain
Alors oui, Granville a parfaitement le droit de réclamer. Ils ont perdu sur le terrain, mais le règlement leur donne une porte de sortie. C’est légal, c’est sportif dans le sens administratif du terme. Montreuil, de son côté, va sûrement plaider la bonne foi, l’erreur matérielle, tout ce qu’on peut plaider dans ces cas-là.
La commission tranchera. Peut-être avant Noël, peut-être après. En attendant, le football amateur continue de nous rappeler qu’il est à la fois le plus beau et le plus dur des mondes. Parce qu’ici, on peut battre plus fort que soi… mais on peut aussi tout perdre sur un oubli.
Et quelque part, c’est aussi pour ça qu’on l’aime.
Quelle que soit l’issue, cette histoire restera comme un symbole. Celui d’une Coupe de France où tout peut arriver, même après le match. Et ça, finalement, c’est peut-être la plus belle des leçons.
