Il y a des nouvelles qu’on lit et qui nous restent collées à la peau longtemps après avoir fermé l’écran. Hier, dans un petit village d’Eure-et-Loir, une fille a poussé la porte de la maison familiale pour déjeuner avec ses parents… et elle les a trouvés morts. Tous les deux. Octogénaires. Tués par balle. Et ce qui glace le sang, c’est que l’hypothèse la plus sérieuse, celle retenue par les enquêteurs, parle d’un féminicide suivi d’un suicide.
On a beau se répéter que ça arrive « ailleurs », que ça concerne toujours les autres, ce genre de drame nous renvoie brutalement à notre propre vulnérabilité. Surtout quand il touche des personnes âgées, un couple qui a traversé la vie ensemble, élevé des enfants, fêté des noces de diamant peut-être. Alors quoi ? L’amour peut-il vraiment se transformer en cauchemar à ce point ?
Un drame qui bouleverse un village de 500 âmes
Vaupillon, c’est ce genre de commune où tout le monde se connaît, où on se salue dans la rue, où les maisons sont espacées par des champs et des bois. Jeudi matin, rien ne laissait présager l’horreur. La fille du couple arrive comme tous les jeudis, probablement avec un gâteau ou une petite attention. Elle trouve ses parents sans vie. L’arme ? Un bon vieux fusil de chasse, de ceux qu’on garde « au cas où » dans les campagnes.
Les gendarmes sont rapidement sur place. Les premières constatations sont terribles : la femme a été touchée en premier. Puis l’homme se serait donné la mort. Pas de lettre, pas d’explication apparente. Juste ce silence assourdissant qui suit le coup de feu.
Aucun signe avant-coureur ? Vraiment ?
C’est là que ça devient troublant. Les enfants, interrogés, tombent des nues. « Aucun conflit », « jamais de disputes violentes », « ils s’entendaient bien ». Pas de plaintes déposées, pas de mains courantes, rien dans les dossiers. Et pourtant… quelque chose a bien dû se briser.
J’ai couvert pas mal de faits divers, et je peux vous dire une chose : la violence conjugale chez les plus de 75 ans, on en parle rarement. Comme si, passé un certain âge, on n’avait plus le droit d’être victime. Ou bourreau. Comme si le temps effaçait tout. Sauf que non.
« Les seniors aussi peuvent être confrontés à des situations de violence. L’isolement, la dépendance, la maladie, la perte d’autonomie… tous ces facteurs peuvent créer un terrain propice à des passages à l’acte. »
– Une psychologue spécialisée dans la gérontologie
Le féminicide : un fléau qui ne prend pas sa retraite
On entend souvent le mot « féminicide » associé à des femmes jeunes, parfois des mères de famille. Mais les chiffres sont implacables : en France, les femmes de plus de 70 ans représentent une part non négligeable des victimes. Et quand l’arme est une arme de chasse, on est souvent en zone rurale. Là où les fusils dorment dans l’armoire depuis des décennies.
Plus de trois féminicides ou tentatives par jour en France. Ce chiffre, sorti il y a quelques semaines, fait froid dans le dos. Et il inclut toutes les tranches d’âge. Même celles qu’on imagine à l’abri, dans leur maison bien chauffée, avec leurs habitudes bien rodées.
- Perte du rôle social (retraite, veuvage précédent parfois)
- Dépendance physique ou financière
- Maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson) qui changent la dynamique du couple
- Isolement géographique et social en zone rurale
- Accès facile aux armes à feu
Tous ces éléments peuvent, un jour, faire basculer un quotidien apparemment paisible dans l’irréparable.
Et si on avait vu des signes qu’on n’a pas voulu voir ?
Je ne juge pas la famille. Loin de là. Mais je me pose la question, comme beaucoup d’entre vous sûrement : y avait-il des signaux faibles ? Une fatigue inhabituelle de la mère ? Un conjoint qui semblait plus sombre ces derniers temps ? Une phrase lâchée au détour d’une conversation ? « Je ne sais plus comment faire avec elle » ou « Je ne supporte plus de la voir comme ça »…
Dans les cas de féminicide-suicide, surtout chez les personnes âgées, on retrouve souvent un mélange explosif : la peur de l’avenir, la honte de la dépendance, le sentiment d’être un poids. L’homme, souvent, se voit comme « celui qui doit régler le problème ». Et le fusil devient la solution ultime. Terrifiante.
La ruralité, ce terreau silencieux
Vivre à la campagne, c’est souvent un choix de vie. Le calme, la nature, l’espace. Mais c’est aussi l’isolement. Moins de voisins qui passent tous les jours, moins de visites régulières des services sociaux, moins de regards extérieurs. Quand un couple âgé se referme sur lui-même, il peut couver une bombe à retardement sans que personne ne s’en rende compte.
Et puis il y a cette culture de l’arme à feu dans certaines régions. Un permis de chasse obtenu il y a cinquante ans, un fusil jamais déclaré ou mal rangé… Tout ça participe au drame.
Que faire pour que ça n’arrive plus ?
On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque porte. Mais il y a des choses concrètes :
- Former les médecins généralistes à repérer les signes de violence, même chez les plus âgés
- Développer des visites à domicile régulières pour les personnes isolées
- Créer des lieux d’écoute anonymes accessibles aux seniors (par téléphone ou en mairie)
- Sensibiliser les armuriers et les clubs de chasse au stockage sécurisé des armes
- Encourager les familles à parler, à poser des questions, même celles qui dérangent
Ce n’est pas intrusif. C’est humain.
Un drame qui nous concerne tous
Au-delà du choc immédiat, ce qui s’est passé à Vaupillon nous renvoie à nos propres parents, grands-parents. À ces couples qu’on voit moins souvent depuis qu’ils ne conduisent plus. À ces silences au téléphone qu’on met sur le compte de la fatigue.
Et si on prenait le temps, ce week-end, d’appeler ? Pas juste pour dire bonjour. Mais pour écouter vraiment. Pour demander comment ça va, au fond. Parce que parfois, derrière un « ça va » de circonstance, il y a un océan de solitude ou de souffrance.
Ce couple d’Eure-et-Loir ne parlera plus. Mais nous, on peut encore faire en sorte que d’autres histoires ne finissent pas de la même façon.
Prenez soin de vos proches. Et surtout, prenez soin les uns des autres.
