Imaginez la scène. Il est 21 heures, quelque part sur une petite route de l’Oise. Les gendarmes ont installé un contrôle classique, gyrophares allumés, gilets fluo bien visibles sous les lampadaires. Neuf voitures sont déjà passées sans histoire. Et puis arrive ce gros 4×4 Mercedes. Au lieu de ralentir, il accélère. Droit sur les militaires.
Le gendarme qui se trouve sur la chaussée mesure près de deux mètres et pèse 120 kg. Il raconte avoir vu sa vie défiler en une fraction de seconde. Il a juste eu le temps de sauter sur le côté. Le véhicule le frôle et disparaît dans la nuit. C’est le début d’une course-poursuite qui va durer plusieurs kilomètres, en pleine forêt de Laigue, sur des chemins boueux et sinueux.
Une fuite qui aurait pu très mal tourner
Ce genre d’histoire, on en lit malheureusement trop souvent. Mais celle-ci a quelque chose de particulièrement glaçant. Parce qu’il n’y avait pas que les gendarmes en danger. Il y avait aussi un joggeur, croisé au pire moment, qui a dû se jeter dans le fossé pour ne pas finir sous les roues.
Et puis il y a cette gendarme, touchée aux cervicales lors de la collision finale. Cinq jours d’ITT. Rien de dramatique à l’échelle d’une vie, mais quand on porte l’uniforme, on sait que chaque intervention peut basculer.
Un casier judiciaire qui parle de lui-même
Le conducteur, Marc B., a 61 ans. Trente-quatre mentions sur son casier entre 1983 et 2018. Oui, vous avez bien lu : trente-quatre. Parmi elles, un homicide involontaire au volant en 1987, avec délit de fuite en prime. Des refus d’obtempérer à répétition. Un parcours qui fait froid dans le dos.
Ce soir-là, il roule sans permis – évidemment – avec 0,69 mg d’alcool par litre d’air expiré et, selon ses propres dires, après avoir fumé « un ou deux joints ». À ses côtés, son neveu de 27 ans, qui témoignera plus tard : « Il a dit : si je m’arrête, je suis mort ».
« J’ai vu le contrôle, j’ai vu ma vie défiler devant moi et après… trou noir. »
Le conducteur, à la barre
La course en forêt : 5 à 6 km de pure folie
La poursuite s’engage. Le 4×4 file à tombeau ouvert, prend des chemins de terre, glisse dans la boue. Les gendarmes restent au contact. À un moment, le fuyard passe sur une butte, perd le contrôle, traverse un amas de branches et termine encastré contre un arbre.
La voiture de gendarmerie, lancée à sa poursuite, ne peut éviter l’obstacle. Choc. La militaire au volant ressent immédiatement une vive douleur aux cervicales. Direction l’hôpital de Noyon.
- Refus d’obtempérer aggravé
- Mise en danger délibérée de la vie d’autrui
- Conduite sans permis
- Conduite sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants
- Blessures involontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique
Le tableau d’accusation est lourd. Très lourd.
Au tribunal : entre regrets et habitude
Devant le tribunal correctionnel de Compiègne, l’homme baisse la tête. Il répète qu’il est « vraiment désolé », surtout pour la gendarme. Mais les magistrats, eux, regardent le passé. Et le passé parle plus fort que les excuses du moment.
Le procureur ne mâche pas ses mots : on ne peut plus parler d’erreur, mais de récidive caractérisée. Le risque était énorme, pour les forces de l’ordre, pour les usagers, pour le joggeur. Et pour lui-même, finalement.
« Vous avez déjà été condamné pour des faits similaires. À un moment, il faut que ça s’arrête. »
La présidente, lors de l’audience
Verdict : trois ans de prison, dont dix-huit mois ferme. Permis annulé, avec interdiction de le repasser avant cinq ans. Une peine sévère, mais proportionnée au vu du dossier.
Pourquoi prendre autant de risques ?
C’est la question qui revient toujours dans ce genre d’affaires. Pourquoi ne pas s’arrêter ? Pourquoi transformer une simple amende en catastrophe potentielle ?
La réponse est souvent la même : la peur panique de « tomber » quand on sait qu’on n’a plus rien à perdre côté permis. L’alcool et les stupéfiants font le reste. Le cerveau se met en mode survie irrationnelle. Et c’est toute la société qui trinque.
J’ai couvert pas mal de ces dossiers au fil des années. Et à chaque fois, on retrouve les mêmes ingrédients : un casier déjà bien rempli, une consommation excessive, et cette conviction absurde que « ça passera ». Sauf que ça ne passe jamais vraiment.
Les gendarmes, en première ligne
On parle beaucoup des conducteurs dans ces affaires. Mais rarement assez des militaires qui se retrouvent face à des véhicules lancés à pleine vitesse.
Le gendarme qui a dû sauter sur le côté mesure 1m97. Il a eu de la chance. D’autres, avant lui, n’en ont pas eu. En 2024 déjà, plusieurs agents ont été grièvement blessés, voire tués, lors de contrôles routiers.
Derrière l’uniforme, il y a des femmes et des hommes qui rentrent – ou pas – chez eux le soir. Et quand on voit la violence de certains refus, on mesure le courage qu’il faut pour tenir la route, nuit après nuit.
Et maintenant ?
Dix-huit mois derrière les barreaux, ce n’est pas rien à 61 ans. Surtout quand on sait que la détention, pour les profils récidivistes, n’est pas toujours le déclic espéré.
Mais la justice a envoyé un message clair : on ne joue plus. Ni avec la vie des gendarmes, ni avec celle des usagers de la route.
Quant à la gendarme blessée, elle gardera sans doute une douleur sourde dans la nuque à chaque changement de temps. Un rappel quotidien que le métier qu’elle a choisi peut basculer en une seconde.
Cette affaire dans l’Oise n’est hélas pas isolée. Elle ressemble à tant d’autres. Mais elle nous rappelle aussi que derrière chaque fait divers, il y a des vies bouleversées. Celles des victimes, bien sûr. Mais parfois aussi celle d’un sexagénaire qui, en une soirée, a tout perdu pour une bière et un joint de trop.
La forêt de Laigue, elle, a repris ses droits. Les arbres ont déjà refermé leurs branches sur les traces de pneus. Comme si rien ne s’était passé.
Mais pour certains, la nuit du 8 décembre restera gravée à jamais.
